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http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/artic … _3238.htmlCannabis : parler plutôt que traquer© LE MONDE | 08.05.10 | 14h47 • Mis à jour le 08.05.10 | 14h47
En vente libre sur Internet depuis le mois de février, un test qui évalue la quantité de
cannabis dans les urines, suscite une controverse. Il s'adresse surtout aux parents qui soupçonnent leurs enfants d'usage de drogue ou qui veulent pouvoir les dépister régulièrement. La plupart des psychiatres et des addictologues y sont plutôt hostiles, comparant ce procédé à une intrusion dans
l'intimité du jeune qui risque de crisper la relation.
Disponible sur le site Internet Testdrogue.fr et commercialisé (8,90 euros) par la société française NarcoCheck, il permet de mesurer trois paliers de consommation : de la faible présence de
THC - le tétrahydrocannabinol, une molécule
psychotrope présente dans le
cannabis - à une très forte concentration, en passant par une présence significative. Son usage est apparemment simple. Il
suffit de le tremper dans les urines de l'intéressé(e).
"Le test est pleinement efficace si on l'utilise à deux ou trois reprises à une semaine d'intervalle", explique le gérant et fondateur de la NarcoCheck, Frédéric Rodzynek. Un premier dépistage sert de référence ; les suivants visent à constater la baisse ou l'augmentation du niveau de
THC. Le
cannabis est détectable dans les urines pendant quelques jours pour les consommateurs
occasionnels et plusieurs semaines pour les usagers chroniques.
Ouvert en avril 2009, le site -Testdrogue.fr propose divers tests de détection de drogues illicites à partir de la salive, des urines ou encore des tests de détection de surface. Le fondateur du site affirme avoir vendu plusieurs milliers de tests par mois depuis le début de l'année 2010. La clientèle se répartit à parts égales entre parents et consommateurs. "Le test de dépistage
n'est pas une solution en soi, insiste Frédéric Rodzynek. C'est un simple outil qui va s'intégrer dans le cadre d'une prévention globale. Il ne peut remplacer l'information et le dialogue. Ça marche à partir du moment où votre enfant comprend que vous avez besoin d'être rassuré sur le problème."
Nombre de jeunes expérimentent le
cannabis sous la pression du groupe. "Si les parents pensent que leur gamin ne pourra pas dire non de lui-même, ce test leur donne une arme pour pouvoir le faire", considère le gérant de NarcoChek. Le jeune serait en mesure de pouvoir plus facilement dire non.
Pour la plupart des psychiatres, ce procédé est jugé contre-productif. "C'est dramatique, considère Daniel Bailly, pédopsychiatre, professeur de psychiatrie à l'université d'Aix-Marseille. On risque de stigmatiser un comportement, d'enfermer l'adolescent dans une impasse en lui collant une étiquette dont il n'arrivera pas à se débarrasser. Du coup, le jeune risque de multiplier les
conduites à risque."
Aujourd'hui, près d'un jeune sur deux expérimente le
cannabis, mais tous ne tombent pas dans la dépendance. Seulement 3 % des jeunes de 17 ans déclarent fumer quotidiennement. "Fumer un
joint fait partie d'un rite quasi obligatoire chez les adolescents, considère Marcel Rufo, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent (Hôpitaux Sud, Marseille). Ce n'est pas le
haschichqui crée la vulnérabilité. C'est un révélateur." Pour les spécialistes, un jeune dépendant au
cannabis est avant tout un jeune qui va mal et ce mal-être s'accompagne de signes visibles : troubles des conduites, agressivité, fléchissement scolaire, repli sur soi...
"En faisant ce test, on dramatise la consommation de
cannabis, qui en soi ne dit rien de l'état du jeune, considère Marc Valleur, psychiatre à l'hôpital Marmottan, à Paris, et responsable de la consultation d'addictologie. La plupart des gamins fument au moins une fois de manière récréative. Que fait-on en cas de test positif ? De tels procédés induisent un climat de suspicion, de paranoïa.
Pourquoi pas installer des caméras vidéo dans la chambre de ses enfants ?" A l'hôpital Mamottan, on n'utilise pas de tests pour le
cannabis. "On travaille sur ce que nous dit le jeune, dans la confiance, même s'il arrive qu'il nous mente", poursuit l'addictologue.
Très réservé, Daniel Marcelli, pédopsychiatre, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent au CHU de Poitiers, dénonce l'emprise sur le corps de l'autre que suppose ce procédé. "Un adolescent est dans une recherche d'appropriation de son corps. En cas de tests réguliers, les parents imposent une emprise face à laquelle le jeune a deux possibilités : soit se soumettre et
renoncer à s'approprier la maîtrise de son corps, ce qui en fera un adulte craintif et névrosé ; soit se révolter en se mettant en situation de risque." Le seul cas, à ses yeux, où il peut s'avérer utile, c'est quand un adolescent, pour calmer l'angoisse de parents inquiets, fait un test pour leur prouver qu'effectivement il ne fume pas de
joint.
Pour Philippe Jeammet, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'université Paris- René-Descartes, le test, d'un maniement délicat, peut avoir un intérêt dans le cadre d'un suivi thérapeutique qui impliquerait les parents. Il peut aussi aider à un certain moment le jeune à ne pas se raconter des histoires et à objectiver sa consommation. "Il faut que les parents le
présentent comme un moyen de savoir où on en est, un moyen d'arrêter de se raconter des histoires et de restaurer une sorte de confiance." Mais si le jeune refuse, attention à ne pas tomber dans le conflit de pouvoir qui pourrait conduire à une rupture totale du dialogue.
Martine Laronche.
Les garçons, principaux consommateurs
En 2008, 42,2 % des jeunes de 17 ans déclarent avoir déjà fumé au moins une fois du cannabis, selon l'enquête Escapad réalisée par l'Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT) avec la direction du service national. Ces chiffres, en baisse depuis 2003, sont parmi les plus élevés au niveau européen. Le phénomène touche plus les garçons (46 %) que les filles (38 %).
Tous ceux qui expérimentent le cannabis ne deviennent pas des fumeurs réguliers et l'on compte 7,3 % de jeunes de 17 ans déclarant avoir eu dix épisodes de consommation dans les trente derniers jours (10,7 % pour les garçons, 3,9 % pour les filles). Quant aux consommateurs quotidiens, leur proportion tombe à 3,2 % (4,8 % pour les garçons, 1,7 % pour les filles). Si la consommation de cannabis montre une récente diminution, celle de cocaïne et d'amphétamines augmente. La proportion de jeunes qui expérimentent ces drogues est passée de 1 % en 2000 à
environ 3 % en 2008.
Article paru dans l'édition du 09.05.10