Film Québec 1998 - Quiconque meurt, meurt à douleur.
Par Jean-François Vandeuren
Une
descente est organisée dans une piquerie de Montréal. Une meute de policiers accompagnés d'un caméraman de télévision enfoncent la porte des lieux, confiant de pouvoir maîtriser la situation en un temps record. Mais surprise! Les junkies présents à l'intérieur sont également armés et la mission est un échec retentissant. Deux policiers, dont un grièvement blessé, sont pris en otage, de même que le caméraman, que les occupants croient pouvoir utiliser pour éventuellement partager leur vision des choses. Passé maître dans l'art de la subjectivité et de l'oscillation entre la réalité et la fiction, Robert Morin construit le récit de son Quiconque meurt, meurt à douleur à partir de ce que le caméraman de son histoire a été autorisé à filmer durant la période couverte par le film. Les toxicomanes locataires de la piquerie virent en cet outil d'une puissance inégalable l'occasion de faire enfin valoir leur existence. Si cette simulation diffère complètement de l'image que l'on nous pousse bien souvent à avoir de ces individus, elle se veut d'autant plus frappante en toute fin de parcours où le cinéaste québécois nous montre de quoi il en retourne réellement lorsque ce genre d'information est traitée et nourrie au public.
Entre temps, Robert Morin nous emprisonne l'ittéralement dans cet appartement délabré rappelant celui de la Mère supérieure dans Trainspotting tout en suivant une structure narrative aussi animée et brutale que celle de C'est arrivé près de chez vous. Ceux désignés comme étant marginaux, pour ne pas dire des nuisances, par la société et ses membres les plus assidus prennent donc les dessus pour se faire entendre sans accumuler les détails inutiles. À cet effet, la mise en scène de Morin se veut d'une précision radicale. Ce dernier se sert d'ailleurs d'une façon extrêmement révélatrice de l'emprise qu'ont ses personnages sur l'image. Le cinéaste effectue ainsi un portrait brillant de vérité sur la toxicomanie tout en questionnant la place qui doit être accordée à ce problème souvent laissé sans solution. Mais il s'agit du problème de qui, au fait? Dans son plaidoyer, Morin critique sans gène la manière dont les autorités ne s'attaquent qu'aux cibles les plus faciles sans apporter une aide concrète. Le réalisateur nous confronte ainsi avec aplomb à la situation des gens fréquentant ce genre d'endroits qui ne cherchent finalement qu'un moyen déchapper à leur misère loin des regards indiscrets. Quiconque meurt, meurt à douleur effectue par le fait même un portrait pour le moins percutant des différentes tournures que peut prendre cette forme de dépendance par rapport aux motivations dont elle découle et la façon dont elle est perçue et gérée.
Même si l'on parle ici d'une fiction à part entière, tout a néanmoins été orchestré de façon à ce que le résultat final soit aussi près que possible de la réalité. Contrairement aux autres films de Robert Morin filmés en caméra subjective, ici ce nest pas celui qui contrôle l'image qui nous mène à travers le récit. Ce détachement permet d'ailleurs à l'effort de progresser aux abords d'un niveau de tension palpable émanant principalement des relations qu'entretiennent les différents personnages entre eux, mais surtout avec la drogue. Quiconque meurt, meurt à douleur révèle également l'une des factures visuelles les plus brutes de la filmographie du réalisateur québécois, mais aussi l'une des plus effectives. C'est cependant le choix des comédiens qui permit véritablement la réussite de cette entreprise. Morin travailla en ce sens avec des interprètes possédant avant tout une expérience de vie. Oeuvrant pour la plupart pour le journal L'Itinéraire, ces derniers travaillèrent donc en connaissance de cause et prirent certains traits d'individus qu'ils avaient sûrement eu l'occasion de côtoyer dans le passé.
Morin na pas l'habitude de faire de compromis et Quiconque meurt, meurt à douleur ne fait pas exception à la règle. La question se pose par contre à savoir si la société devrait tolérer pour autant la consommation de drogue. Suite à un tel effort, une réponse ordinairement unilatéralement négative laisserait la place à une certaine remise en question. Mais à savoir si une piquerie est l'endroit où frapper pour enrayer le problème. La réponse est définitivement non. Et plutôt que de livrer ce discours sur un ton moralisateur, Morin démontre à toutes fins pratiques que la façon dont la société juge ces individus comme s'ils formaient un virus à enrayer marche dans les deux sens et peut être tout aussi valable à contre-courant, sinon plus. Quiconque meurt, meurt à douleur impose évidemment ce point de vue. Mais sinon, qui l'aurait fait ?