Les ados boivent-ils trop ? Fument-ils trop ? Se droguent-ils plus qu'avant ? Sont-ils plus violents ? Se sentent-ils mal dans leur peau ?… Combien de fois Marie Choquet a-t-elle été sollicitée pour répondre à ces questions qui ont envahi le champ médiatique ? Elle ne les compte plus.
Psychologue, épidémiologiste et directrice de recherche à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), elle scrute, depuis 1969, les comportements à risque des adolescents. A 65 ans, après quarante ans de carrière, cette spécialiste du monde des ados prend sa retraite. L'occasion de faire le point sur des décennies de recherche.
Pour Le Monde Magazine, Marie Choquet a accepté de revenir sur tous ses sujets d'études. Les jeunes d'aujourd'hui sont-ils si différents de ceux des générations précédentes ? Qu'a-t-elle appris au fil des décennies sur cette population qui semble susciter de plus en plus d'inquiétude de la part des adultes ? La spécialiste remet les pendules à l'heure et prône la dédramatisation.
De quand datent les premières études sur les comportements à risque des adolescents ?
Après 1968, le ministère de la santé a demandé un état des lieux de la consommation de drogues. Mais à l'époque, on ne pouvait pas poser de questions sur la drogue illicite. L'idée selon laquelle en parler risquait de susciter le comportement était assez forte ! Donc, on a posé des questions sur l'
alcool et le
tabac et sur la "connaissance" des drogues. On a mis en évidence qu'il existait un lien entre cette "connaissance" et la consommation d'
alcool et de
tabac.
A l'époque, les données montraient que ces consommations étaient beaucoup plus fréquentes chez les garçons que chez les filles. Petit à petit, d'autres troubles ont été inclus dans les enquêtes (la dépression, la tentative de suicide…) et les différents modes d'expression des garçons et des filles étudiés. Nos premières enquêtes sur la consommation de drogues illicites datent de 1983, mais elles étaient locales ou régionales.
La première étude nationale (avec un échantillon représentatif de 12 000 jeunes âgés de 11 à 19 ans) date seulement de 1993. Elle portait sur la consommation de
tabac, d'
alcool et de drogue, mais aussi sur la tentative de suicide, la dépression, la violence, les troubles de conduites alimentaires. Elle donnait une photographie de l'adolescent ordinaire. Puis nos études se sont intégrées dans un dispositif européen, l'enquête Espad (European Survey Project on Alcohol and Other Drugs), réalisée tous les quatre ans.
On a donc peu de recul sur les comportements à risque des adolescents…
Effectivement. Les études épidémiologiques sont relativement récentes en France et, dans les années 1960, personne ne s'intéressait vraiment aux adolescents. Puis une psychiatrie de l'adolescent s'est développée. Peu à peu, cette période de la vie a été prise en compte comme une période durant laquelle des troubles pouvaient apparaître ; il fallait comprendre de quels troubles il s'agissait et ce qui était grave ou pas.
En quarante ans de carrière, qu'avez-vous appris sur les adolescents ?
Il faut comprendre qu'à une époque on ne les étudiait pas, on ne les voyait pas, alors que maintenant on les observe à la loupe. De ce fait, on perçoit des problèmes qu'on ne percevait pas auparavant. Avec comme conséquence le sentiment qu'ils sont nouveaux et que tout s'aggrave.
Je reste persuadée, au regard des données disponibles, que si des comportements comme la consommation de
cannabis et la tentative de suicide ont certes augmenté, d'autres ont diminué (comme le tabagisme ou la consommation régulière d'
alcool). On ne peut pas dire que tout va plus mal et que la jeunesse est de pire en pire. Seulement voilà , on met seulement l'accent sur ce qui s'aggrave…
La question de la violence est un exemple intéressant. On ne dispose de données que depuis 1993. Mais la question a été ignorée jusqu'aux années 2000 et maintenant on ne parle plus que de ça. C'est déconcertant. Regardons du côté des violences sexuelles subies. En 1993, on avait mis en évidence le fait que 1 % des jeunes avaient subi un viol. C'était considéré comme impossible, trop élevé… Or, depuis, on a "découvert" cette réalité, et on a l'impression qu'il s'agit d'un phénomène nouveau…
Des choses ont néanmoins changé. Il y a une précocité dans certains types de comportements, pour la simple raison que tout est de plus en plus précoce. Est-ce signe que notre jeunesse va plus mal ? Non. Cela dépend de ce que l'on considère. Si l'on prend le
cannabis, oui. Sa consommation a augmenté dans les années 1990 – on a laissé cela s'installer, car durant ces années-là aucune action spécifique n'a été menée – mais on est plutôt aujourd'hui dans une phase de plateau, voire de diminution.
Néanmoins, il ne faut pas oublier que l'offre est quasiment sans limites et que la majorité des jeunes savent où s'en procurer. Pourquoi voulez-vous, dans ce contexte, qu'il y ait une diminution de la demande ? Actuellement, la mode est moins au
tabac, dont la consommation baisse, qu'à l'
alcool et au
cannabis.
Source :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2 … _3224.html