VIRGINIE, 33 ANS, PHOTOGRAPHE
"Voilà maintenant des années que je fume de la
marijuana. J'ai 33 ans et une vie active depuis l'âge de 18 ans. Fumer ne m'a jamais empêchée de travailler, voyager, être ouverte au monde ou être sérieuse dans tout ce que j'entreprends. J'ai bien sûr réduit au fil des années ma consommation..., mais je dois reconnaître que je suis complètement accro à mon pétard du soir. Cela m'a bien sûr amenée à vivre des situations rocambolesques car il faut avouer que je ne peux pas vraiment me passer de ce fameux pétard. Je suis donc obligée d'en emporter partout où je vais, y compris quand je prends l'avion. Je n'en suis pas fière, d'ailleurs, mais j'estime que ce n'est pas si grave. Seulement voilà , depuis quelque temps, mon ami aimerait que j'arrête. Nous avons beaucoup de débats à ce sujet. Lui dit que fumer depuis tant d'années va me rendre parano ou va m'angoisser. Pourtant, je ne suis pas parano... peut-être un peu angoissée mais pas plus que tout le monde ! De plus, je trouve qu'un pétard par jour, ce n'est pas si terrible. Je ne fume pas de
cigarettes et ne bois que de temps en temps. La seule chose que je peux reconnaître, c'est que je suis complètement accro à ce pétard... Est-ce grave ?"
LA RÉPONSE DE SERGE HEFEZ, psychiatre et psychanalyste, responsable de l'unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital de la Salpêtrière"Bonjour Virginie,
'Est-ce grave ?!' Votre question est intéressante car elle souligne bien les paradoxes du
cannabis, mais aussi ceux de notre société vouée au culte de l'autonomie, de la réussite et de la forme.
Familier mais mystérieux, interdit mais banal, le
cannabis cultive en effet la contradiction. Festive et inoffensive pour les uns ; inquiétante, synonyme d'échec et d'exclusion pour les autres, cette petite plante est devenue, en quelques décennies, le produit chéri des adolescents. Des millions d'adultes en consomment plus ou moins régulièrement sans dommage, mais la fragilité de l'adolescence et l'augmentation incessante du nombre des jeunes usagers très perturbés et fragilisés par leur consommation attisent à juste titre les inquiétudes.
En ce qui vous concerne, si l'on se contente d'une réponse objective, médicale, il est sûr que ce 'pétard' du soir ne présente pas de grands dangers, en dehors des risques de cancer lié au
tabac et à la fumée. Vous êtes sortie de l'adolescence depuis longtemps et vous courez peu de risques de désinsertion, avec cette petite consommation. Le maintien de cette habitude vous permet, en outre, un petit jeu justement très adolescent et excitant, "rocambolesque", lorsque vous passez des frontières ! En dehors de ce jeu avec l'interdit, vous n'êtes pas très différente de tous ceux qui ont besoin d'un petit verre d'
alcool ou d'un tranquillisant pour pouvoir trouver le sommeil. Vous êtes sans doute autant accrochée à ce rituel du soir qu'aux effets du produit lui-même.
Mais votre question révèle une interrogation plus profonde : 'Suis-je complètement accro ?' Et j'entends bien que cela vous inquiète davantage, ainsi que votre ami. La représentation de soi comme personne dépendante est en effet devenue honteuse dans nos sociétés soucieuses de la liberté de chacun. Vous aimeriez aussi sans doute vous sentir une personne libre et autonome. C'est autour de cette image de vous-même que vous avez à réfléchir et à prendre une décision. Si vous sentez que vous pouvez trouver une meilleure estime de vous-même en vous passant de cette petite habitude, à ce moment-là le jeu en vaut peut-être la chandelle.
Vous pouvez envisager sereinement un
sevrage qui ne sera sans doute pas si difficile que cela..."
Source :
http://www.lemonde.fr/week-end/article/ … 77893.html