Récemment en Moldavie à la rencontre des représentants gouvernementaux, j'ai été invité à visiter la prison 15 à Cricovia qui abrite quelque 550 détenus.
À 30 minutes en voiture à partir de Chisinau, la capitale de la Moldavie, et située au milieu de collines et de vignobles, la prison 15 a été construite par les Soviétiques dans les années cinquante et est assez bien conservée, malgré les fissures dans les murs. Une petite chapelle orthodoxe donne sur sa cour.
Mes collègues et moi sommes accueillis par Svetlana, une femme jeune et énergique qui dirige le service national de santé pénitentiaire. Passer la porte de fer pour entrer dans la prison met un peu mal à l'aise. Les gardes, portant de grands chapeaux et en uniforme militaire, nous saluent d’un « bonjour » tout en essayant de comprendre ce qui amène ces nouveaux visiteurs dans leur prison.
Dehors la température est proche de zéro, et de la neige zèbre encore la cour de la prison. Je remarque que des t-shirts et des serviettes sont suspendus à sécher sur les lignes accrochées entre les bâtiments de deux à trois étages entourant la cour.
Escortés par les surveillants, nous atteignons le bureau du médecin de la prison, Constantin. Constantin gère la petite pharmacie qui stocke la
méthadone, les aiguilles, les seringues et les préservatifs. Son bureau est petit - un bureau en bois, des dossiers papier et un canapé. Il nous accueille avec un thé.
Médecin généraliste d’une quarantaine d'années, Constantin est le seul membre du personnel médical au service de quelque 550 détenus. Son rôle est vaste : il s’occupe de l’habituelle distribution de médicaments et des urgences quotidiennes qui se présentent ; il supervise une petite salle avec trois lits joliment tapissée, et est aussi un confident et un conseiller fiable pour de nombreux détenus.
Bien qu'il existe une prévalence de 200% du VIH parmi les détenus, le dépistage du VIH et de l'hépatite C ne sont pas obligatoires, ni à l'entrée ni lors de la détention. Au contraire, ce sont les conseils et les dépistages volontaires fournis par Constantin qui ont convaincu avec succès les détenus. Un
test salivaire rapide financé par une ONG est disponible.
Le programme moldave de
réduction des risques en prison est unique dans la région, et un modèle remarquable, non seulement ici, mais de manière générale. Commencé au début des années 2000, suite au travail novateur de l’Open Society Foundations (OSF), la responsabilité de la gestion du programme a subi, de toute évidence, une transition en douceur vers le personnel de santé publique qui travaille dans le système pénitentiaire.
La
méthadone est disponible pour toute personne pour laquelle Constantin décide d’une prescription, et ces détenus sous traitement de
substitution passent la prendre chaque jour à la pharmacie après la signature d'un registre. Bien qu’on me dise qu'il n'y a pas beaucoup de centres de
méthadone en dehors de la capitale, je n'ai pas entendu non plus beaucoup de plaintes au sujet du manque de disponibilité des services pour les personnes après leur sortie de prison.
La
méthadone et l'échange de seringues sont également disponibles, à ce qu’on m'a dit, dans les prisons de la Transnistrie, la partie orientale sécessionniste du pays, sous forte influence russe.
Je crois que l'une des plus fascinantes réussites que j'ai observées dans la conduite de ce programme de
réduction des risques en prison est la manière dont les aiguilles, les seringues et préservatifs sont distribués.
Les aiguilles et les seringues sont stockées dans des points de distribution sous la responsabilité de détenus bénévoles qui les gardent dans une petite armoire en bois dans leur cellule. J'ai vu deux de ces points de distribution, l'un dans une cellule individuelle soignée et bien rangée d'un détenu longue peine. L'autre était un placard dans le coin d'un dortoir bondé d'une soixantaine de détenus.
Le système de
réduction des risques de Moldavie est exemplaire. Il n'y a pas beaucoup de pays dans le monde qui mettent en œuvre l'échange de seringues et les
TSO en prison, ainsi que la fourniture de préservatifs, et encore moins – s’il en est - qui font fonctionner un système harmonieux comme celui que j'ai vu en Moldavie.
La Moldavie montre la voie en priorisant la santé de sa population carcérale. Les faits sont éloquents - Constantin et Svetlana se font un point d’honneur de me dire qu'ils n’ont pas connaissance de cas d’overdose (il ya eu une réduction des overdoses).
Nous devons nous rappeler, cependant, de la réalité dans laquelle les programmes de
réduction des risques de ce genre existent et continuent à fonctionner. Comme c'est le cas dans toute la région d'Europe de l’est et d'Asie centrale, le financement de la
réduction des risques en prison reste entièrement dépendant de fonds externes - dans la plupart des cas fournis par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Dans le climat actuel, nous devons garder en tête que les bénéfices de ces programmes doivent faire face aux risques de maintien des financements, et contribuer ainsi à renforcer la durabilité de la réaction d'un pays face au sida. Preuve en est que c’est possible en regardant les décideurs et les bailleurs de fonds dans les yeux, comme nous en sommes témoin en Moldavie.
Arcticle de Michel D. Kazatchkine, publié le 05/02/014 par huffingtonpost.com