Article dans la Voix du Nord
Enquête sur la drogue à Lille : une tonne d’héroïne vendue par an sur les boulevards SudPUBLIÉ LE 16/03/2016
PAR BENJAMIN DUTHOIT
L’ampleur prise par le deal de rue dans la métropole lilloise inquiète les autorités. Les quartiers sud de Lille sont les plus touchés par la multiplication des réseaux. Martine Aubry a tiré la sonnette d’alarme. Les habitants, notamment dans les cités HLM, subissent de plein fouet le phénomène.
On connaissait le boulevard du
shit, à Hem, près de Roubaix. Voilà désormais les boulevards de la poudre, à Lille. De la porte de Valenciennes au boulevard de Metz, dans les quartiers populaires au bord du métro et du périphérique sud, elle s’écoule en quantité astronomique : une tonne d’héroïne vendue par an sur cet axe, soit onze millions d’euros de bénéfice (!), d’après une évaluation confidentielle menée par la police en 2015.
Un trafic d’héro et de
coke démantelé fin décembre, boulevard de Metz, drainait par exemple 200 clients quotidiens. Spécialité lilloise, l’héroïne y est la moins chère de France.
Cocaïne et
cannabis abondent aussi. Certes, la capitale nordiste est une plaque tournante historique. Mais depuis quelques années, elle a pris une ampleur inédite.
« Il y a eu une explosion, avec de multiples petits points de revente », constate Bruno Dieudonné, procureur-adjoint de Lille. Ils se sont en particulier développés dans les entrées de cités HLM. « C’est très inquiétant, on n’a jamais vu ça », déplore François Dreux, responsable de la sécurité du bailleur social Lille Métropole Habitat. La montée en puissance lilloise n’a pas fait trop de bruit. Elle hisse pourtant sa métropole et la région au sommet national : « On a rejoint, voire dépassé, le binôme de tête, PACA et la banlieue parisienne », estime Romuald Muller, chef de la DIPJ (direction interrégionale de la police judiciaire) de Lille.
Aubry écrit à CazeneuveEn 2014, 10 400 personnes ont ainsi été interpellées dans le Nord pour des affaires de drogues, principalement de l’usage. Un volume équivalent à la Seine-Saint-Denis, et supérieur aux Bouches-du-Rhône (9 000) (Source : observatoire national de la délinquance et des réponses pénales) . « Le Nord Pas-de-Calais connaît une diversité de trafics qui n’existe nulle part en France, décrypte Romuald Muller. Il y a d’abord une multitude de micro-réseaux. Plus inquiétant encore, on est devenus une zone de stockage et de redistribution pour d’autres régions. Enfin, il y a du transit de drogues et un essor de la cannabiculture. »
Face à la dérive, Martine Aubry a envoyé, le 15 mai dernier, un courrier alarmant à Bernard Cazeneuve afin d’obtenir à Lille un plan antidrogue comme à Saint-Ouen (93).
Elle décrit au ministre de l’Intérieur « l’une des situations les plus enracinées du pays » et un « développement préoccupant de ces trafics dans plusieurs secteurs » : les Aviateurs (Bois-Blancs), la rue Pierre-Legrand (Fives), la place Catinat (Vauban), la rue Jules Guesde (Wazemmes), le boulevard Hoover (centre). Les trois quartiers de la ZSP (zone de sécurité prioritaire), créée en 2012, sont les principaux gangrenés : de « larges pans » de Lille-Sud, du Faubourg-de-Béthune et surtout de Moulins, où le phénomène est jugé « très critique ».
La police, notamment la sécurité publique, a beau multiplier les démantèlements, les réseaux renaissent sans arrêt. « On vide la mer avec une passoire, se désole un policier. Les enjeux financiers sont trop énormes ». « Un point de deal peut rapporter jusqu’à 15 000 euros par jour », détaille Didier Perroudon, patron de la police du Nord.
Signe d’une prise de conscience, Bernard Cazeneuve a annoncé à Lille, en septembre, le plan antidrogue réclamé par Martine Aubry : hormis des renforts de CRS pendant trois semaines à Lille-Roubaix-Tourcoing, partis ensuite à Calais, rien n’a vu le jour.
Pendant ce temps, les habitants, confrontés aux nuisances de cette économie parallèle, n’en peuvent souvent plus . « On est sur des organisations criminelles qui prennent un quartier en otage… et font vivre des familles », souligne Didier Perroudon.
Métropole lilloise, Maubeuge et Bassin minier : le trio de tête des trafics régionauxSans surprise, la métropole lilloise concentre de loin le plus grand nombre de trafics de la région, analyse Romuald Muller, directeur de la DIPJ (direction interrégionale de la police judiciaire) de Lille.
Dans le détail, les quartiers sud de Lille arrivent en tête, suivie de Roubaix et Tourcoing.
Plus inattendu, s’il fallait étalir un classement régional, Maubeuge se place en deuxième position. « C’est une porte pour alimenter l’Est de la France. Et il y a la proximité avec la Belgique, en particulier Charleroi, où se trouve une forte criminalité organisée. »
Encore un cran en-dessous, vient le bassin minier. « Il y a des micros-réseaux. Mais beaucoup de consommateurs s’approvisionnent dans l’agglomération lilloise. Il existe toutefois du stockage pour revendre ailleurs, comme l’a montré la saisie de 360 kilos de résine de
cannabis, à Hénin-Beaumont, en 2015. »
http://www.lavoixdunord.fr/region/enque … b0n3386791