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Aux États-Unis, des addicts aux opioïdes sont soignés grâce à des casques VR
« C'est comme si quelque chose grouillait en vous », raconte Judy*. « Vous avez chaud, puis froid, et vous avez envie de vous enfuir. » Cette femme de 57 ans aux cheveux grisonnants ne se départit que rarement de son regard sombre. Assise avec la jambe appuyée sur sa canne, elle semble à bout de souffle. Au cours de notre conversation, elle n'arrête pas de se balancer d'avant en arrière.
Judy m'explique qu'elle souffre de douleurs constantes : arthrite, problèmes de dos, fibromyalgie et migraines quotidiennes. Directrice d'une grande entreprise d'appareils électroniques jusqu'en 2008, elle ne peut plus travailler aujourd'hui. Très souvent, ses douleurs l'empêchent même de sortir du lit.
Elle prend 20 médicaments différents par jour, dont des analgésiques, des antidépresseurs, des calmants, ainsi qu'un patch contenant une forte dose de Fentanyl – un opioïde qui ne l'a pas vraiment soulagée et qu'elle essaye d'arrêter. Son docteur réduit la dose depuis des mois, ce qui fait que Judy souffre des symptômes du sevrage : des frissons, et cette impression que quelque chose fourmille dans votre corps. Puis, sa clinique a annoncé qu'elle ne prescrirait plus d'opioïdes du tout, en raison de nouvelles lois visant à stopper la consommation démesurée dans le pays. Confrontée au risque de perdre le médicament dont elle est désormais physiquement dépendante, Judy a changé de clinique : ayant désespérément besoin d'aide, elle est allée au Pain Consultants of East Tennessee (PCET), à Knoxville.
Ted Jones, le médecin traitant en charge de la clinique, appelle les patients comme Judy des « réfugiés ». Il affirme suivre des dizaines de cas similaires. Plus de 100 millions d'Américains souffrent de douleurs à long terme et, désormais, ils sont au centre de deux catastrophes médicales majeures aux États-Unis : les douleurs chroniques et l'addiction aux opioïdes.
Au cours de ces dernières décennies, les docteurs américains ont géré les problèmes de douleurs chroniques en prescrivant toujours plus d'analgésiques à base d'opioïdes – des médicaments comme l'hydrocodone et l'oxycodone, qui appartiennent à la même famille chimique que la morphine et l'héroïne. Ces médicaments se sont révélés moins efficaces dans le traitement des douleurs chroniques que prévu, et bien plus addictifs. La hausse des prescriptions a fait grimper le nombre d'addicts aux opioïdes, ce qui a provoqué la mort de milliers de personnes par overdose.
Les efforts pour freiner les prescriptions et les overdoses d'opioïdes commencent à porter leurs fruits, mais, suite à l'échec spectaculaire d'une approche centrée sur la drogue pour combattre les douleurs chroniques, les docteurs recherchent éperdument des techniques alternatives pour remédier à un problème qui gâche la vie de millions de personnes. Ted Jones est en train de tester une nouvelle méthode technologique qui semble improbable : la réalité virtuelle.
Depuis les années 1990, les prescriptions d'opioïdes ont triplé aux États-Unis ; le pays compte moins de 5 % de la population mondiale mais utilise près de 80 % de la réserve mondiale d'opioïdes, et ceci avec des conséquences désastreuses.
Les analgésiques à base d'opioïdes étaient précédemment utilisés dans des cas précis, par exemple pour lutter contre des douleurs faisant suite à une opération, ou des douleurs lors des cancers en phase terminale. Mais, suite à une campagne menée par l'American Pain Society, qui militait pour un traitement plus radical des douleurs, et suite, également, à une campagne marketing menée par des laboratoires pharmaceutiques affirmant que les nouvelles drogues comme l'OxyContin étaient efficaces et non-addictives, les docteurs ont prescrit plus régulièrement des opioïdes pour différents types de douleurs chroniques. « On nous a dit que la douleur était sous-traitée », se souvient Joe Browder, médecin et associé principal au PCET.
Ces nouveaux médicaments se sont avérés extrêmement addictifs. En 2015, plus de 16 000 personnes ont succombé à une overdose suite à une prescription d'analgésiques, pour ce qui est, selon le Center for Disease Control (CDC), la pire épidémie de drogue de l'histoire du pays.
L'État du Tennesse fait partie des plus touchés. Dans les Appalaches, une région montagneuse et rurale qui a longtemps souffert d'un fort taux de chômage, les habitants ont été pris au piège de « la culture d'addiction et de pauvreté », comme la décrit Karen Pershing, de l'organisation Metro Drug Coalition, basée à Knoxville. Les narcotiques prescrits par les docteurs se sont facilement répandus dans les environs. « Les gens ne pouvaient pas se payer des drogues chez les dealers », explique Karen Pershing. Tout à coup, ils ont eu accès à des médicaments sur ordonnance.
On a noté une explosion du nombre de cliniques non réglementées, connues sous le nom « d'usines à médocs », nécessitant un simple docteur à leur tête. « Elles apparaissaient de partout », raconte Karen Pershing. Certaines se trouvaient dans de vieilles maisons, avec des pancartes faites à la main. Les gens entraient puis repartaient en quelques minutes, et, à peine le pied dehors, ils revendaient déjà leurs pilules au téléphone.
Au cours des cinq dernières années, différentes mesures ont été adoptées dans le but de freiner les prescriptions et les overdoses d'opioïdes. Les cliniques doivent désormais être dirigées par des médecins formés au traitement de la douleur. Dans certains États, dont le Tennessee, les spécialistes doivent compter les pilules de leurs patients pour s'assurer qu'ils n'en prennent pas trop ou qu'ils n'en vendent pas à côté ; les médecins sont également passibles de poursuites judiciaires si leurs patients abusent de leurs médicaments. Sans surprise, certaines cliniques refusent désormais de prescrire des opioïdes.
Le PCET est au centre de l'une des zones les plus touchées par ce fléau. Selon le Comité américain sur la santé, l'éducation, le travail et les retraites, 5 % de la population du Tennessee est accro aux opioïdes. Dans le comté de Knox, on dénombre 133 décès dus à une overdose d'opioïdes en 2014, soit un taux de mortalité plus haut que dans n'importe quel autre comté de l'État.
Les docteurs du PCET continuent à prescrire des opioïdes, mais avec beaucoup plus de précautions. Par exemple, Ted Jones forme ses patients et leur apprend à gérer leurs médicaments de manière responsable. Il fait également passer des entretiens aux nouveaux patients, comme Judy, pour voir s'ils sont susceptibles d'abuser de leurs médicaments. Parmi les autres « réfugiés », on trouve Scott*, un homme d'une soixantaine d'années qui gère un restaurant de grillades. En raison de différentes blessures lors de rodéos et de concours hippiques dans sa jeunesse, il dit que « chaque mouvement [lui] cause une immense douleur ». Pendant ce temps, Debra*, une veuve de 65 ans qui porte un short turquoise, souffre d'un lupus, d'arthrite, de fibromyalgie, de neuropathie diabétique et d'une sciatique, sans parler de sa dépression et de son anxiété. « J'ai mal partout », dit-elle. Elle cache ses médicaments dans toute sa maison mais explique que sa fille accro les trouve quand même. Ted Jones me précise que Debra devra se soumettre à des tests de dépistage tous les mois ou tous les deux mois, pour être sûr qu'elle ne prenne pas trop de médicaments.
De telles mesures commencent à marcher. Entre 2012 et 2015, on a noté une baisse de 12 à 18 % des prescriptions d'opioïdes aux États-Unis. Mais, en conséquence, beaucoup de patients se retrouvent à devoir gérer leurs douleurs sans analgésiques, à une époque où de plus en plus d'Américains souffrent de douleurs chroniques, ce qui coûte environ 600 milliards de dollars au pays par an.
Bien qu'ils prennent souvent leurs médicaments de manière responsable, les patients suivis par Ted sont encore écrasés par la douleur. En écoutant leur histoire, on comprend que la douleur chronique ne peut en aucun cas disparaître avec un simple cachet. Il s'agit surtout d'une souffrance diffuse qui s'accroît et se répand dans le corps tout entier. Un tel mal est souvent couplé à un passé sombre et à des problèmes psychologiques tels que l'anxiété et la dépression. « La douleur et la dépression sont entremêlées », confirme Ted Jones. « Parfois, il est compliqué de savoir si l'on traite une dépression ou la douleur physique. »
Joe Browder dit s'être rendu compte il y a plus de dix ans que la médicamentation à outrance n'était pas la solution. « Les patients ne se plaignaient peut-être pas des mêmes douleurs, mais les drogues ne faisaient rien », explique-t-il. Au lieu d'éliminer la douleur via la prise de narcotiques ou de sédatifs, Joe Browder et ses collègues ont décidé de mettre le patient en avant. « Il s'agit de pousser les gens à comprendre qu'ils peuvent continuer à faire des choses dans leur vie, même avec la douleur », explique le directeur du PCET, James Choo. Mais comment faire pour que les gens soient comme ils étaient avant que la douleur ne prenne le dessus ?
Pour répondre à cette interrogation, les équipes médicales ont commencé par réduire le nombre d'opioïdes prescrits. Dès lors, la clinique propose des ergothérapies et des kinésithérapies pendant qu'une équipe de psychologues, dont fait partie Ted Jones, propose des psychothérapies ainsi que des méthodes de soulagement de la douleur – comme des thérapies cognitivo-comportementales ou des techniques de méditation et de relaxation.
Le souci, c'est qu'il est difficile de persuader les patients que ces approches valent la peine. Les techniques de relaxation marchent bien, mais elles demandent de l'entraînement, et Ted Jones raconte que l'équipe a du mal à faire venir les patients à plusieurs séances successives. « Les gens ne veulent pas faire partie d'un programme », ajoute James Choo. Ils veulent juste des médicaments. »
Un jour, pendant l'hiver dernier, Ted Jones est arrivé au travail et a trouvé la clinique vide : en raison d'une grosse chute de neige, beaucoup de patients étaient restés chez eux. Il a tué le temps en surfant sur Internet et il est tombé par hasard sur le site d'une start-up appelée Firsthand Technology, basée à San Francisco.
Pour son PDG, Howard Rose, la réalité virtuelle (VR) peut changer la perception que l'on se fait de nous-même et du monde qui nous entoure. « Dans quelques générations », prédit-il, « la VR sera présente dans tous les aspects de nos vies. Pour commencer, on peut s'en servir pour soulager la douleur ».
Howard Rose a commencé à étudier la VR il y a plus de 20 ans, au sein de l'Université de l'État de Washington, basée à Seattle. Le laboratoire a été créé par Tom Furness, qui s'est intéressé à la VR lorsqu'il travaillait pour l'armée de l'air américaine dans les années 1960. Sous la direction de Furness, Howard et ses collègues ont trouvé des applications civiles à cette technologie. Ils ont utilisé le principe de la réalité virtuelle pour tout et n'importe quoi, qu'il s'agisse de traiter l'arachnophobie ou d'apprendre le japonais. Un de leurs produits ayant eu le plus de succès était SnowWorld, développé par le psychologue Hunter Hoffman, qui avait pour but d'apaiser la douleur des grands brûlés.
Les grands brûlés doivent subir des sessions régulières de traitement de leurs plaies, sessions si douloureuses qu'elles peuvent être insoutenables, même avec une haute dose d'analgésiques. SnowWorld est une méthode de distraction améliorée, qui permet aux patients de penser à autre chose qu'à leur douleur. Basée sur un simulateur de vol, cette technique vous donne l'impression de voler au milieu d'un canyon gelé tout en faisant une bataille de boules de neige avec des pingouins et des bonshommes de neige.
Sur les dix dernières années, Hunter Hoffman et ses collègues ont pu prouver à maintes reprises que cette technique fonctionne, notamment sur des vétérans brûlés par des bombes en Irak et en Afghanistan. Lorsque les patients jouent à SnowWorld pendant leurs sessions de traitement des plaies, ils affirment que leur douleur, en plus d'être affaiblie par les médicaments, est diminuée de moitié grâce au jeu. Les études prouvent également que SnowWorld réduit l'activité dans les zones du cerveau liées à la perception de la douleur.
Les chercheurs pensent que le sentiment d'immersion créé par la VR – ce sentiment d'être physiquement présent dans un lieu virtuel – est crucial. « Ça marche car ça dupe vos sens : vous avez l'impression que l'environnement généré par l'ordinateur est réel », explique Howard Rose. « La VR vous transporte dans un nouvel endroit au lieu de vous le montrer sur un écran. »
Aujourd'hui, Howard Rose et son collègue Ari Hollander ont quitté le monde universitaire pour créer leur start-up, Firsthand Technology. Si SnowWorld était un outil de recherche, les nouveaux produits créés par les deux hommes ont une visée commerciale. Parmi ceux-ci se trouve Cool!, qu'Howard définit comme « une amélioration de ce que l'on a appris en développant SnowWorld ». Grâce à plus d'interactivité et une plus grande variété d'environnements, le logiciel est « plus ouvert » ; selon lui, c'est « une sorte d'aire de jeux ».
« J'ai pu l'essayer à la clinique de PCET. Quelques secondes après avoir mis le casque, j'étais en train de flotter le long d'une rivière aux berges verdoyantes. Au loin, on pouvait voir des montagnes et un beau ciel bleu parsemé de nuages. Au bord de l'eau, des loutres au poil brun et soyeux étaient debout sur leurs pattes arrière et me saluaient. Grâce à deux manettes, je pouvais leur lancer du poisson. »
« Les graphismes étaient détaillés, peut-être un peu caricaturaux, mais ce qui m'a le plus marquée, c'était la sensation physique de l'expérience : pour mon cerveau, ce monde infesté de loutres n'était pas juste quelque chose que je voyais mais un endroit que je visitais vraiment. Lorsque je suis passée sous un pont de pierre, j'ai tressailli. Lorsque de la neige s'est mise à tomber, j'ai ressenti l'euphorie de l'air pur et frais. »
La VR est sans aucun doute efficace lorsqu'il s'agit de détourner l'attention, mais, pour Howard Rose, elle peut également marcher pour d'autres choses. « Nous savons que si les patients se sentent anxieux et impuissants, leur douleur sera décuplée », explique-t-il. « Emmener les gens, mentalement, dans un lieu distant et sécurisé permet de réduire leurs angoisses », ajoute-t-il, « tandis que l'interactivité – la possibilité de se déplacer dans un environnement et de lancer des boules de neige, par exemple – leur permet de se sentir plus en contrôle de la situation. »
Il y a quelques années, Howard Rose se demandait si cela pouvait aider les patients atteints de maladies chroniques – ceux qui souffrent de douleurs, par exemple. Puis il a reçu un e-mail de Ted Jones. « Nous avons les patients, vous avez le produit », écrivait Jones. Quelques mois plus tard, Howard prenait l'avion jusqu'à Knoxville et y déposait ses valises.
Christine* sourit. « Hmm. Vous pouvez presque sentir les pétales sur votre peau. » Cette femme de 69 ans est assise dans le fauteuil en cuir vert de Ted Jones, les yeux recouverts par le casque noir de réalité virtuelle.
Sur l'ordinateur du Dr Jones, on peut observer ce que Christine voit. Elle détourne son attention des loutres pour fixer de mystérieuses boules de lumière colorées en mouvement ; elle fronce les sourcils lorsque des branches chargées de bourgeons de cerisier lui frôlent le visage.
Christine a mené une vie active : elle gérait une agence de voyages au Mexique, avant de devenir cuisinière à la synagogue du coin. Mais en dépit de sa vie « bien remplie », qui comprenait également des gardes d'enfants, elle avait du mal à se concentrer sur autre chose que sa douleur. Depuis 2007, elle souffre d'une maladie auto-immune qui attaque ses nerfs et provoque des douleurs terribles dans ses deux jambes et ses pieds. Elle a refusé de prendre des opioïdes et a arrêté deux autres médicaments, le Lyrica et le Cymbalta, car ils l'empêchaient de parler et de penser. « Ça me gâchait la vie », explique-t-elle. En ce moment, elle s'en sort en prenant de l'ibuprofène et en s'appliquant des patchs de lidocaïne sur ses jambes la journée, et sur ses pieds la nuit ; cependant, la douleur ne disparaît jamais vraiment. « Vous ne pensez plus qu'à ça au final », raconte-t-elle.
Lorsqu'elle arrive au bureau du Dr Jones, Christine évalue sa douleur à 7/10. Puis elle met le casque VR et se prépare pour sa troisième session. « Je suis déjà en train de me détendre », avoue-t-elle. Après les cerisiers, elle suit le lit de la rivière jusque dans une grotte, dont les murs sont recouverts de dessins étranges et de joyaux étincelants. « Comment évaluez-vous votre douleur ? », lui ai-je demandé. « Oh ! », a-t-elle répondu, comme si elle l'avait oubliée. « Zéro. Elle a totalement disparu. »
Comparée aux autres méthodes de distraction, comme le coloriage ou la télévision, « la VR marche bien mieux », explique Jones. « Ça attire l'attention ; vous mettez le casque et vous partez dans un nouveau monde. »
Ted Jones vient de terminer deux essais cliniques impliquant une quarantaine de patients, qui ont tous suivi environ 60 sessions de VR. Sur tous les participants, un seul n'a pas ressenti de diminution de sa douleur. Dans l'ensemble, les patients rapportent que leur douleur a diminué de 60 à 75 % au cours de leurs sessions de VR, et de 30 à 50 % immédiatement après. La morphine la plus efficace ne réduit la douleur que de 30 %.
Les recherches n'en sont qu'à leurs débuts, mais d'autres études portant sur la douleur chronique ont abouti à des résultats similaires. Plus tôt dans l'année, Diane Gromala et ses collègues, qui travaillent pour le Pain Studies Lab de l'Université Simon Fraser, ont étudié les effets d'un jeu en VR intitulé Cryoslide. Inspiré par SnowWorld, ce jeu vous fait glisser le long d'un paysage enneigé et à travers des grottes de glace tout en lançant des boules de neige à des créatures fantastiques. Après avoir joué à ce jeu pendant dix minutes, les patients ont vu leur douleur être considérablement réduite. À San Diego, Brenda Wiederhold et ses collègues du Virtual Reality Medical Center ont conclu que les patients immergés dans des paysages de réalité virtuelle tels que des forêts, des plages ou des montagnes ressentent une diminution significative de leur douleur. D'après l'article publié, les patients ont dit des choses comme : « C'est la première fois que je ressens une amélioration de ma douleur en trois ans » ou « J'étais si occupé par le jeu que j'en ai oublié ma douleur ».
Aucune étude n'a analysé les effets positifs de la VR sur les douleurs chroniques à long terme. Pour l'instant, les recherches effectuées nous prouvent que la réalité virtuelle peut soulager la douleur liée à des maladies chroniques. Ted Jones explique que, comparée à d'autres techniques comme la méditation, qui demande beaucoup d'entraînement et d'effort, « la VR vous permet de voyager loin de tout cela en mettant simplement un casque sur votre tête ».
Lors des essais cliniques, les patients ont rapporté que le soulagement de la douleur durait de deux heures à 48 heures après la fin de la session. Cela corrobore l'idée selon laquelle la VR entraîne la production d'endorphines, qui calment la douleur même lorsque la session est terminée. « De telles recherches permettent aux patients de se rendre compte que leur douleur n'est pas incurable, [qu']elle peut être soignée », précise Joe Browder.
Cette manière de voir les choses semble être partagée par les patients de Ted Jones. Cindy*, 54 ans, souffre d'un lymphome non hodgkinien ainsi que d'une pancréatite génétique, qui a déjà coûté la vie à son frère et à sœur et qui provoque de terribles douleurs d'estomac et des lésions nerveuses. Elle prend 17 médicaments, trois fois par jour. Après la session de VR, elle est visiblement plus calme et ses tremblements dans les mains sont atténués. La VR « est une échappatoire à la réalité de la douleur », explique-t-elle. Son mari partage son avis : « Après la VR, elle est de meilleure humeur. Elle semble plus optimiste. »
Andrew*, un ancien Béret vert recouvert de tatouages, souffre de lésions nerveuses, dues à une exposition à des armes chimiques en Irak, et de problèmes de dos « à force de sauter d'avions et de porter un sac à dos trop lourd ». Les analgésiques à base d'opioïdes ne l'ont pas aidé et il a plusieurs fois pensé à se suicider, mais la VR lui permet d'oublier la douleur, d'après lui. « Après une session de VR, je me sens comme après un orgasme. »
L'intérêt croissant pour l'utilisation de la VR dans le milieu médical est notable, notamment pour apprendre aux patients à mieux gérer la douleur ou, comme Howard Rose le dit, « Pour changer leur relation à la douleur, on peut faire ça en combinant la VR avec le biofeedback : On peut ainsi créer des environnements qui évoluent en fonction de l'état psychologique du patient ». Par exemple, Diane Gromala et ses collègues ont développé un environnement virtuel qui cherche à apprendre aux patients à réduire leur stress par la méditation. Il a été prouvé que la méditation réduit les douleurs chroniques, mais il faut du temps (et beaucoup d'effort) pour y arriver. Grâce à ce logiciel, les patients se promènent dans une forêt tout en écoutant une méditation. Des biocapteurs mesurent leur niveau d'excitation et modifient la météo en fonction des résultats : si le patient est relaxé, le brouillard s'estompe ; s'il est stressé, il s'épaissit.
Diane Gromala et ses collègues doivent désormais déterminer si des sessions régulières permettent aux patients de mieux gérer leur stress et leur douleur dans la vie de tous les jours. Comme ils l'ont rapporté dans un article, ils ne cherchent pas à faire oublier la douleur à leurs patients, mais souhaitent simplement que ces derniers aient « la capacité de la combattre chaque jour. »
Pendant ce temps, Ted Jones et Howard Rose travaillent sur un logiciel de « dompteur de douleur » : en réduisant leur stress, les patients peuvent faire en sorte qu'un monstre virtuel – représentant leur douleur – rétrécisse de plus en plus, jusqu'à disparaître complètement. « Ils apprennent à se relaxer seuls », explique Ted Jones. « Ce n'est pas tant de la distraction, mais plutôt de l'apprentissage : comment se calmer face à un adversaire en colère. »
« Les gens disent souvent que la VR est arrivée par vague », raconte Howard Rose. « Il y a toujours eu des petits clapotis, mais ça, c'est un tsunami. » Lorsque SnowWorld a été développé dans les années 1990, Hunter Hoffman et ses collègues ont utilisé un superordinateur ainsi qu'un casque très lourd, qui coûtaient à eux deux 90 000 dollars. Aujourd'hui, les patients peuvent acheter un casque léger en haute résolution pour environ 600 dollars. Pour Howard Rose, toutes ces innovations sont une révolution pour la médecine.
« En médecine, le traitement type est le suivant : vous venez chez le docteur et il vous fait des tests », explique-t-il. Avec la VR, le patient se retrouve aux commandes, il reprend le contrôle.
Divers obstacles continuent à se dresser sur la route de la VR. Beaucoup de professionnels, dans le milieu hospitalier, sont réticents à l'idée d'utiliser une technologie avec laquelle ils ne sont pas familiers. Même lorsque les recherches prouvent son efficacité sur le soulagement de la douleur (pour les grands brûlés, par exemple), la VR n'est toujours pas utilisée en priorité.
Faire de la VR un traitement de routine va également demander de nouvelles méthodes de financement. Pour l'instant, Ted Jones a payé ses essais cliniques de sa poche. « C'est ma passion », explique-t-il. « Je ne fais pas de bateau » Malgré cela, il demande à ses collègues de ne pas lui envoyer de patients voulant tester la VR, bien qu'il soit convaincu de ses bienfaits, car il n'a pas les moyens de payer pour tout le monde. Le soulagement de la douleur par la VR a besoin d'un « champion » – d'après ses propres mots –, quelqu'un qui financerait les essais et qui pourrait convaincre les compagnies d'assurances de les prendre au sérieux. « L'industrie de la VR a beaucoup de pain sur la planche. »
En attendant, Ted vient de se faire livrer le dernier monde virtuel développé par Firsthand Technology : Glow. J'ai eu l'occasion de l'essayer, et je me suis retrouvée dans une clairière éclairée par la lune, face à une sorte d'autel taillé dans la pierre. Des lucioles dansaient dans les airs. Suivant les instructions de Ted, j'ai levé les mains et me suis concentrée sur ma respiration pour qu'elle soit calme, décontractée. Un capteur accroché à mon doigt transmettait mon rythme cardiaque à l'ordinateur : tandis que je me relaxais, des centaines de lucioles se sont posées sur mes mains, créant une sorte de sphère lumineuse.
Howard Rose définit la VR ainsi : « Au lieu d'un univers dans lequel vous jouez, la VR fait en sorte que le monde réagisse à votre présence. » Une des utilités du programme est de personnaliser l'expérience en fonction de la douleur et du ressenti du patient. Par exemple, pour les femmes en train d'accoucher, Howard Rose suggère l'utilisation d'un univers où l'on trouve « des superpouvoirs, des choses qui explosent et d'autres trucs cathartiques » pendant les contractions, et des environnements plus relaxants entre les contractions.
Selon Ted Jones, il n'existe pas de réponse unique aux douleurs chroniques. En plus de fournir une alternative non-médicamenteuse au traitement de la douleur, la VR pourrait permettre aux patients accros aux opioïdes de réduire leurs doses en leur donnant quelque chose à faire au lieu de gober toujours plus de pilules. « Les opioïdes, vous les prenez, vous vous asseyez, vous attendez et c'est tout. C'est pour ça que les gens se retrouvent à prendre des doses supplémentaires – ils veulent tout simplement que la douleur disparaisse plus vite. »
*Les noms des patients ont été modifiés.
[small]Source : vice.com[/small]
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