à 62 ans, je fais partie de la première génération qui a été touchée par la démocratisation des drogues. Avant, seuls les riches et les bourgeois y avaient accès car seul eux avaient accès aux voyages. Ma génération a aussi payé un lourd tribu car beaucoup ont essayé des trucs qu'ils auraient pas du, comme se shooter de l'
héroïne. C'est pas un jugement, c'est une constatation.
En effet, on ne dira jamais assez ce que deux potes héroïnomanes m'ont dit (un s'en est sorti non sans graves problèmes de santé, l'autre en est mort): "Le premier shoot est tellement le pied qui s'y tu as bravé cet interdit, c'est sur qu'il y en aura un deuxième. Peu importe si c'est le lendemain ou un an plus tard. Et après le deuxième, il y en aura en troisième. Etc. Certains mettent 10 ans à se retrouver crochés."
Je voulais d'abord répondre à psyllo dans le post lié depuis le wiki sur le
cannabis help: douilles, mais comme c'est un post ancien, c'est mieux que je fasse un nouveau sujet.
Il demande de l'aide pour arrêter de consommer du
cannabis et en même temps il dit qu'il n'a pas envie d'arrêter. à cela je répondrai que beaucoup de choses dans la vie sont une question de motivation et que pour être motivé, il faut savoir ce que l'on se veut. Facile à dire, surtout que je comprends très bien son désarrois vis-à-vis de cette société de merde où les dés sont pipés sur tout ce qui est important et vis-à-vis de son avenir. Moi-même, ça n'a pas été facile.
J'avais 10 ans en Mai 68, pour la première fois je voyais quelque chose se passer qui pouvait réellement changer la donne avec des slogans directement issus de l'écologie politique comme "Non à la guerre" et "Non à la société de consommation". J'étais trop jeune pour y participer et de plus en Suisse où j'ai grandi, il ne se passait rien à part le blabla habituel des politiciens. Par contre j'ai eu des potes plus âgés qui sont montés à Paris et qui comme moi étaient plein d'espoir. Quelle n'a pas été ma surprise de les voir revenir 10 jours plus tard. Ils m'ont dit: "Mai 68 c'est fini. Les syndicats sont entrés dans la danse et ils ont récupéré ce mouvement. Maintenant c'est "Business as Usual" et "Rentrez bien chez vous". Un punk n'est donc qu'un hippie qui a perdu sa naïveté.
Ils avaient raison car même les ouvriers des usines d'armes de guerre ont obtenu des augmentations de salaire. Je précise aussi qu'à l'époque, il était beaucoup plus facile de lire de l'écologie politique qu'aujourd'hui. Le green-washing a commencé avec Con Bandit lors de Mai 68 avant d'être repris par le Mouvement de la terre, précurseur des Verts en majuscule. Cela est un autre sujet et je n'ai compris les tenants et aboutissants de toute l'histoire que bien plus tard. à l'époque, l'économie allait bien si bien qu'à 10 ans, je me suis vite remis à mes activités, entre autres scolaires. Par contre, j'ai été bien dégoutté de voir un énorme espoir détruit, ceci d'abord en raison des politiques (mes potes avaient été bien plus dégouttés de la gauche que des matraques du régime gaulliste), mais aussi en raison de la passivité des gens face à des événements aussi importants. Pour beaucoup des gamins de mon âge en Suisse, Mai 68 en Suisse se résume à, je cite: "Qu'est-ce t'en a à foutre, ils n'obtiendront que des coups de matraques. Ceux d'en haut font ce qu'ils veulent alors dans de telles conditions, autant fermer sa gueule et essayer de faire son trou dans cette société de merde.".
Aujourd'hui, les choses ont tellement empirés que les jeunes clament avec raison "Nous n'avons pas d'avenir". Je suis entièrement d'accord avec eux au point que je considère que les seuls qui ont des solutions réelles à proposer pour éviter l'extinction de la Vie sont des groupes comme DGR.
Donc je comprends très bien son désarrois vis-à-vis de cette société et de son avenir. Je n'ai pas de réponse toute faite à lui faire, si ce n'est peut-être de lui dire ce que ma grand-mère m'a dit si souvent: "On ne vit qu'une fois, profites de la vie." Même si tu crois en la réincarnation, ça ne change rien car dans ce cas, on ne vit qu'une fois à la fois et la Vie est là pour qu'on en profite. J'ai la chance d'avoir compris très jeune que la course à l'argent est une course mortifère qui n'a rien d'autre à offrir que la destruction de la Vie sur notre seule source de vie et que ceux qui nous montrent l'avenir sont les peuples comme les indiens. Pas les indiens qui font tourner des casinos mais ceux qui font tout pour continuer à vivre de façon traditionnelle. Ceux pour qui le
bang est synonyme de calumet de la paix.
Et tant qu'à faire, essaie d'y mettre un peu d'éthique. Pas pour les autres, mais simplement pour que le matin quand tu te lèves et te regardes dans le miroir, tu n'aies pas trop à rougir de tes conneries. On en fait tous et toutes.
Pour ta déprime, je n'ai personnellement aucune confiance dans les psychiatres. Pour moi, ce sont des distributeurs de camisoles chimiques qui privent les gens de toute volonté propre (comme j'ai pu le constater à l'armée sur d'autres que moi qui comme moi voulaient se faire virer) et transforment les gens en robots serviles. Après, je sais qu'il y a des pathologies plus grave que de choisir la tangente face à un choix imposé, j'ai des potes qui vont voir des psychiatres pour des maladies comme la bipolarité et les médicaments qu'ils prennent semblent les aider. Ils le disent et j'ai pu le constater.
Je me suis moi-même payé une grosse déprime il y a quelques années après m'être fait virer de mon travail. Je l'ai soignée sans aller voir de médecin, mais si je m'en suis sorti, c'est que du fond de ma déprime, ma voix intérieure m'a dit "Remet-toi à faire de la musique." Après plus de 20 ans d'interruption, ça n'a pas été facile, j'ai du tout réapprendre. De plus autant le chômage que la sociale n'ont pas apprécié. Je me suis donc retrouvé à jouer dans la rue et comme au début j'étais nul et qu'il fallait bien mangé, j'ai perdu mon logement. 3 ans plus tard, j'habite dans un squat avec des jeunes et j'assume totalement ce choix. Je me passe très bien des fausses aides de l'état - le paternalisme qui commence par te demander ce que tu veux faire afin de pouvoir t'aider à l'obtenir est une bonne chose, par contre le paternalisme qui te dis "Tu ne peux pas faire ça" alors que c'est ce que tu veux faire, "mais doit faire ça" alors que tu ne le veut pas, est de l'autoritarisme et doit être combattu.
Le
cannabis dans tout ça. J'ai la chance d'avoir commencé à fumer à une époque où les dealers de
shit vendait du
shit et où pour trouver d'autres substances, il fallait aller chez d'autres dealers. J'ai commencé à fumer à 18 ans, très vite de façon plus ou moins régulière (au moins 1 fois par semaine). à la même époque, j'ai eu une période alcoolique. Il m'a fallu une année pour piger que l'
alcool n'était pas mon truc car il me faisait perdre mes moyens, ce qui n'est idéal pour draguer. Plus tard, j'ai habité avec des potes qui étaient 6 mois en Suisse et 6 mois en Inde. Nous fumions des shiloms, 15 à 20 en soirée, le week-end on a jamais réussit à les compter car ça partait trop dans tous les sens. Après j'ai habité avec d'autres potes et tout seul ou en couple. Nous fumions des pétards tous les soirs et les week-end. Je n'ai que rarement fumé le matin la semaine.
Puis les russes ont débarqué en Afghanistan. En 2 mois, le marché du
shit s'est effondré et il n'est plus resté que du marocain industriel qui ne faisait qu'enlever le mal de tête si tu avais mal à la tête et du paco industriel. Il pétait quand même un peu celui-là, mais rien qu'un peu et il était très cher. J'ai donc décidé d'arrêter et dans mon cas, même après des années de fumette quotidienne, je l'ai fais du jour au lendemain et ce sans ressentir aucun effet secondaire.
Puis le marché de la
beuh s'est développé, y compris sa culture locale. Cela a pris du temps. Puis comme expliqué avant, je me suis remis à faire de la musique et à aller dans les squats. Comme la
beuh avait l'air bonne, j'ai recommencé à fumer. Comme j'ai une barbe qui pousse très vite et qu'à mon âge, elle est devenue blanche, je commence à me dire que je vais changer de mode de consommation et me mettre à manger le
cannabis. Je me suis mis aussi à faire du théâtre, c'est bien complémentaire avec la musique et que ce soit pour ma santé ou pour mon look, c'est de toute façon mieux si j'arrêtais de fumer.
Les raisons qui font que je pense avoir pu arrêter de consommer du
cannabis du jour au lendemain sans effets secondaires sont doubles. D'abord même si je n'ai jamais fait de sport de compétition, j'ai toujours aimé me promener et faire un peu de sport pour le plaisir de me faire du bien. Je suis pas maso, je hais les courbatures, mais j'aime aussi me sentir bien dans mon corps. La deuxième est que si j'ai consommé beaucoup de
cannabis dans ma vie, je ne l'ai jamais trop mélangé avec d'autres substances.
Je ne sais pas si cela a un rapport, mais certaines cultures comme les sadous en Inde (adorateurs de Shiva et de Ganesh pour qui le culte est de fumer le shilom) où les bouddhistes tibétains séparent les drogues entre celles qui ouvrent les portes de la perception comme les hallucinogènes et celles qui les ferment comme l'
alcool et l'
héroïne. Peut-être une piste pour comprendre pourquoi certains éprouvent des symptômes de manque quand ils arrêtent de consommer du
cannabis et pas d'autres. J'ai aussi connu un ancien poudreux (à l'
héroïne) qui, après avoir décroché, s'il n'avait pas son
joint à fumer était prêt à prendre n'importe quoi pour ne pas risquer de rechuter dans la poudre. Aujourd'hui je vois des jeunes qui en plus de fumer du
cannabis boivent régulièrement, ceci tout en étaient plus sportif que je ne l'ai jamais été, et qui sont à cran s'ils n'ont pas un
joint à fumer. Peut-être aussi que la période actuelle, synonyme de manque de perspective globale, de perte totale de sens et de fin des illusions matérialistes et mercantiles en est aussi pour beaucoup.
Après, un autre truc qui m'aide en cette période est que même si je suis pauvre, j'essaie de me rendre utile en aidant ces parias de la société que sont les migrants Dublin que la Suisse veut expulser à tous prix. Pas en faisant de la politique politicienne, je n'y ai jamais cru et aujourd'hui moins que jamais (le green washing ambiant, comme toutes les nouvelles technologies industrielles globalisées qui l'ont précédé, ne fait qu'accentuer les problèmes environnementaux et travestir ainsi l'écologie ne m'intéresse pas), mais en participant à des collectifs locaux, entre autres d'aide aux migrants.
Bref, je crois qu'avoir une passion comme moi la musique, ou simplement des activités qui ont du sens, comme de participer à des collectifs locaux (des squats aux taxidermistes en passant par les cueilleurs de champignons, il y en a plein) permet de rompre la solitude (une des principales tares de notre époque), aide à s'y retrouver et fait du bien à la tête. Cela n'empêchera pas la mélancolie, mais entre dépression et mélancolie, il y a de la marge.
Une chose importante pour moi est de savoir prendre de la distance. Je n'ai jamais demandé à vivre dans cette société de merde, ceci même si la majorité des gens semblent s'en satisfaire. Je n'ai donc pas à porter sur mes épaules le poids de ses conneries ni le poids du regard des autres. S'ils n'aiment pas ce qu'ils voient, ils n'ont qu'à regarder ailleurs au lieu de faire les voyeurs. Donc mieux vaut en rire qu'en pleurer.
En pratique, je peux essayer de changer les choses à mon niveau. Je n'y arrive pas toujours mais j'essaie et quand j'y arrive, peut-être que mon exemple inspirera d'autres personnes. Nous vivons dans une société de frustrés et comme l'a très bien dit Wilhelm Reich, quelqu'un de frustré est incapable de penser de façon rationnelle. Face à cela, la seule chose qui peut faire réfléchir les autres est l'exemple. Le système en place ne veut pas d'alternatives et il est prêt à tout pour qu'il n'y en ait pas, mais il y a toujours des tangentes et des interstices.
Je crois aussi que dans la Vie, il y a toujours des opportunités. Certaines nous passent dessus sans qu'on le remarque. Ou on les remarque trop tard. Mais si on arrive à n'en saisir qu'une de temps en temps, c'est déjà bien. Pour cela il faut sortir de chez soi, les vraies rencontres se font dans la rue, dans la vraie vie, pas derrière un écran. Même si comme quand j'étais déprimé je n'avais pas envie de rencontrer des gens. Sortir dans la rue avec ma musique a été facile car comme je l'ai dit, le regard des autres ne me dérange pas. Par contre, quand je suis allé la première fois dans le squat le plus proche de chez moi, j'étais rempli d'appréhensions. J'avais presque 60 ans, cela faisait 30 ans que je n'avais pas mis les pieds dans un squat et je savais que j'allais me retrouver avec des jeunes dont je pourrais être le père voir le grand-père. ça n'a pas été facile pour que j'ose y aller.
Si certains, heureusement rares, étaient trop pétés pour pouvoir faire autre chose que se laisser gouverner par leur parano, la plupart m'ont fait un accueil qui, s'il n'était pas toujours chaleureux, était toujours bienveillant. J'y ai trouvé des gens capables de beaucoup d'empathie. L'empathie est une qualité très précieuse car elle permet d'être bienveillant avec les autres tout en s'assurant qu'ils n'en profitent pas de façon égoïste. Comme tous les autres, j'ai du montrer que je ne suis pas là que pour profiter des lieux et de la bouffe mais aussi pour donner des coups de mains quand il y a quelque chose à faire ou que quelqu'un à un problème. Quand je vois le nombre de SDF qu'il y a en Suisse, je sais que squatter est un privilège. Surtout que pendant toute ma vie professionnelle précédente, je n'avais jamais habité dans une baraque aussi bien que celle où j'habite actuellement et que de plus, comme je squatte, je peux en faire quasiment ce que je veux sans risquer de problèmes avec l'état des lieux. Je peux aussi faire pousser ce que je veux dans le jardin.
Je ne dis pas que squatter est la solution de tous les problèmes, ni que c'est une solution adaptée à toutes et à tous. C'est une solution qui me convient parfaitement maintenant car elle me permet de ne pas avoir de problèmes existentialistes, d'habiter avec des jeunes super et pleins de bonne énergie (bon pas toujours, mais ça, c'est la vie) et de pouvoir en même temps faire ce que je veux, progresser avec ma musique, le théâtre et ma nouvelle vie d'artiste.
à l'école, on nous apprends à fonctionner dans le cadre de certaines fonctions préétablies par la société (citoyenneté et travail principalement), mais on ne nous apprends pas à être nous-même, à réfléchir assez pour savoir ce que nous voulons et comment l'obtenir. Le comment est assez simple: en faisant. Des fois on fait juste, des fois on se plante. Dans les deux cas, on apprends. Il faut donc privilégier le comment. C'est plutôt la phase de réflexion avant l'action qui pose problème en général. Que faire? Surtout qu'il est rare qu'on ait toutes les données et même quand on croit les avoir, il y en a souvent qui nous échappent.
La première chose que j'ai faite après ma scolarité a été de prendre une année sabbatique. Pas pour voyager, je n'en avais pas les moyens. Simplement pour être moi-même. Cette période à ceci de commun avec la période actuelle est que ce sont les deux périodes de ma vie pendant lesquelles j'ai rencontré le plus de gens tout en ayant le plus de temps pour moi. Une autre chose que l'école ne nous apprends pas: prendre du temps pour soi. Pendant cette année, j'ai réussi à vivre pendant 1 mois avec 50 centimes (que je n'ai même pas dépensés) dans une des villes les plus chères de la planète, tout en faisant plein de choses avec plein de gens. Une telle expérience permet de relativiser beaucoup de choses.
Aujourd'hui c'est différent. Quand j'ai besoin de tunes, je prends ma guitare et je sort jouer dans la rue. En 3 ans j'ai fait des progrès et en une heure je gagne autant que ce que je gagnais en une journée au début. Je n'ai pas encore le niveau que je veux avoir mais je m'en approche. La musique c'est pas sorcier: plus tu joues, plus tu deviens bon. C'est mathématique. Il faut de la patience aussi, même en jouant beaucoup, ça prend du temps pour que les bons réflexes s'installent.
Une dernière chose. Le théâtre m'a appris à ne jamais dire non. Dire non
coupe la discussion tandis que dire oui permet d'enchaîner. Si par exemple quelqu'un me dit "Tu devrais te couper la barbe.", si je réponds "Non jamais !", on est dans un dialogue de sourd pas facile à faire évoluer s'il na pas été préparé. Par contre, je peux lui répondre "Oui tu as raison, comme ça je ressemblerais à Trump (où à Macron, Frankenstein, etc...)." ça va désamorcer la situation tout en le faisant rigoler, ce qui permet d'enchaîner sur autre chose.
J'arrête là pour le moment et j'espère que ces quelques réflexions pourront être utiles. Si vous avez des questions ou des remarques, même désagréables (je préfère la franchise à l'hypocrisie (c'est le plus dur à supporter en Suisse, l'hypocrisie ambiante)), faut pas vous gêner. ça me fera même plaisir.