Salut :-)
[NdAW] Eh oui, il y a des articles dans la presse où le titre peut paraître choquant. Mais mieux vaut les lire que les ignorer ?
Autodestruction sur ordonnanceArticle publié dans La Marseillaise du 21 mai 2013.
Les populations les plus marginalisées se shootent comme elles le peuvent. L’addition d'
alcool et de
psychotropes en surdosage, comme une
descente rapide du nirvana vers les enfers.
Pour ces types, être malade en permanence n’a rien d’anormal. « C’est notre vie », résume celui qui a le moins de dents pendant que l’autre au visage gris-vert inspecte ses avants-bras marqués comme par une pluie de seringues. Lui, s’injecte des médicaments depuis trop d’années pour savoir combien. « Les calculs, c’est pas mon truc. » Et puis, quand on n’a rien, pas besoin de savoir compter.
Le troisième est le plus dégourdi. Un Guadeloupéen qui se choisit en rigolant le nom de Paco, « parce que j’ai vraiment pas la gueule à m’appeler Paco ». C’est lui qui se procure la
came, juste à côté dans les rues du quartier Noailles. Il parle comme un docteur. Comme un docteur ivre, une canette de bière premier prix, grande taille et alcoolisation maximum toujours greffée à la main gauche, une XX, 50 cl d’alcool à 10 degrés pour moins d’un euro. « Là j’te trouve de la
Ritaline, juste en face, le grand nerveux avec la casquette, y te fourgue du
Rohypnol, des fois y t’amène à un autre qu’a du Rivotril, et moi mon truc c’est l’Artane et le
Valium. » A l’énoncé de son ordonnance, ses pupilles s’étendent à en cacher le noisette de ses grands yeux.
Tous les trois ont bien organisé leur autodestruction. Ils volent un peu, glanent des « merdouilles » à revendre à des moins pauvres qu’eux, parviennent parfois à intégrer pendant quelques jours un petit réseau de vendeurs à la sauvette de clopes ou de parfums. « Ça c’est quand on est un peu clean, et que les vendeurs habituels sont au trou ou en galère, précise l’édenté dans une rasade de bière râpeuse, parce que pour faire confiance à des estrasses comme nous, faut y aller. » Là justement, le grisâtre est plutôt clean. « Quand il s’injecte sa
Ritaline et s’envoie un pack de bière, il peut t’couper un bras », s’esclaffe Paco dans un rire communicatif.
La
cocaïne du pauvre
La
Ritaline, c’est un peu la
cocaïne du pauvre. A 2 euros le cachet on peut se shooter pour trois fois rien pour peu qu’on accepte les infections et les abcès, la sensation de manque qui t’arrache les boyaux, la redescente en chute libre qui engendre les crises de paranoïa et de violence ou encore la dégradation générale de sa santé et les pépins pulmonaires qui s’ensuivent. Quand il travaillait encore chez des grossistes à Belsunce, le grisâtre avait de jolies joues roses. Il l’assure en tout cas. Aujourd’hui, sa mission, c’est de trouver du
Subutex, le produit de
substitution des héroïnomanes, juste pour atténuer les effets dévastateurs de la
Ritaline. « D’autre fois je veux du
Valium, mais là , c’est sûr, c’est du
Subutex qu’y m’faut. »
Ils sont tout à la fois chimistes et cobayes de leurs expériences d’autodestruction. Un lent et méticuleux suicide sous perfusions chimiques. Le principal sujet de leurs discussion quand ils sont cohérents.
Le larcin et la sauvette ne sont pas leurs seules sources de revenus. Paco était légionnaire et touche une pension qui lui permet de se payer un taudis chez l’un des marchands de sommeil du quartier. « Un bouge aux escaliers qui tremblent. » Il y vit avec Gris-vert et l’édenté, un type doux comme un agneau quand il n’a que picolé et comme un scorpion quand il s’est piqué. « A trois on s’entraide parfois », sourit Paco. Quand ils sont tous défoncés, ils se tapent sur la gueule. Le nez tordu de l’édenté, c’est Gris-Vert, il y a trois semaines. « Avec un barreau de chaise, pour une histoire de seringue que j’lui rendais pas assez vite. »
Les seringues, elles sont assez faciles à trouver. Pour peu qu’ils s’en donnent la peine, ils connaissent les associations qui en distribuent. Ensuite, il faut les produits. Petit à petit sur Noailles s’est installé un réseau de trafics de
benzodiazépines, tous ces médicaments qui prennent ici une valeur commerciale.
Du fric contre des cachets
D’abord organisation de débrouilles entre consommateurs, des plus lucides qu’eux ont structuré la revente. L’idée est simple. Par le bouche-à -oreille et des planques devant des centres de santé, on repère les sans-le-sous qui se font prescrire légalement chacun de ces produits. Puis on leur propose un deal : du fric contre des cachets. Certains choisissent de ne plus prendre leur traitement pour le revendre, d’autres se débrouillent à s’en faire prescrire plus, ou par plusieurs médecins. Ensuite, le réseau « refourgue » tout un peu plus cher mais de façon continue. Tout le monde y trouve son compte. « Le manque, y a rien de pire », rigole Paco.
Lui, son rêve, ça serait qu’il y ai du
crack. « J’en prenais à Paris, c’était parfait, mais ici y’en a pas. » Ici, les médicaments font le job. Pompant au passage une potentielle clientèle à de petits réseaux de cité qui préféreraient fourguer leur
cocaïne low cost, parfois coupée à la lessive en poudre. Dans une cité du 14e arrondissement, un réseau s’est lancé dans la
cocaïne injectable, pour les usagers les plus précaires qui ont encore suffisamment de moyens pour ne pas tomber dans le cocktail médicaments surdosés et
alcool.
Mais que Paco ne désespère pas, le
crack arrive à Marseille, sous un autre nom. Des associations spécialisées ont constaté l’existence de free-base. Le
crack « do it yourself ». Une tambouille à
base de
cocaïne, d’ammoniaque et de bi-carbonate, qui se cristallise en un petit
caillou, du résidu de
cocaïne, un concentré de problèmes graves pour ceux qui le fument et pour ceux qui les croisent.
Source (c) : Publié par Philippe Pujol.
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