Si tout le monde devrait avoir le droit imprescriptible, de se défoncer ou non, comme il l´entend, chacun devrait avoir de la même façon, le droit de décrocher ou se soigner, comme il le souhaite. Seulement, le berceau de l´égalité des chances et des droits de l´homme est bercé si près du mur par la nounou sociale, que l´usager de drogues se retrouve régulièrement assommé ou menotté dans des programmes substitutifs qui ne lui conviennent absolument pas, aggravant ainsi la fracture et la facture de son futur qui mettront des lustres à se réduire…
C´est lors d´une consultation vih à l´autre, ou au détour d´un couloir d´hôpital que devant moi se sont échangés en chuchotant, des adresses de réseaux substitutifs à éviter, ceux pratiquant le terrorisme médical.
Pas la peine d´être un observateur pointu, pour la décroche comme pour la défonce c´est la guerre ! Un vrai parcours du combattant ! D´ailleurs, ne dit on pas arme ou arsenal thérapeutique et frappes chirurgicales ?
Très rapidement, l´usager de drogue(s) qui, au bout de plusieurs années de consommation intensive, s´est vu passer du grade de toxicomane à celui de toxico, finit par trébucher sur le dernier barreau de l´échelle sociale, et devient le tox de service, dont se repaissent ces réseaux médicaux. Une sorte de « sévices » après vente en quelque sorte !
Avec plus de 22 ans passés dans ces tranchées, des deux côtés de la ligne blanche, je sais de quoi je parle ! Et si j´ai réussi à arrêter la défonce, les cachets, la clope et le reste ainsi que la
substitution, c´est que j´ai déserté le cœur de ces réseaux il y a plusieurs années, et me suis lassée de ce corps médical clinique et froid, dont les étreintes thérapeutiques ont laissé dans le mien des traces indélébiles. Eh oui, depuis l´âge de 7 ou 8 ans, pour soigner mon hyper activité, les toubibs de l´époque, n´ont rien trouvé de mieux que me filer des médocs sans encadrement, comme autant de déambulateurs sociaux, qui prédisposent à toutes sortes de toxicomanies futures…
je venais d´avoir 20 ans et mon deuxième enfant lorsque j´ai commencé à shooter, c´était en 1974. Quelques années plus tard, après m´être sauvée de chez Lucien Engelmajer dit le Patriarche et après deux ou trois cures ratées chez Olive(venstein) à Marmotte, J´ai intègré quelques années plus tard, le premier programme
méthadone Français à l´hôpital Saint Anne, service du professeur de Nicker, où j´étais suivie par le docteur Khader Béniakoum.
Nous sommes en 77 ou 78, une trentaine d´usagers sont partagés entre l´hôpital Fernand Vidal et l´hôpital Sainte Anne, où règnent dans ce dernier voyeurisme, inquisition et rechute.
La dégression est mal maîtrisée, elle est bien trop rapide par rapport à l´importance des dosages, ce qui nous « oblige » à shooter en parallèle, avec des subterfuges bien rôdés, lorsque la pente dégressive devient trop glissante et trop abrupte. On ne se débarrasse pas aussi facilement de ses doudous affectifs !
De mon côté, je faisais pisser mon frère dans un nébulisateur pour esquiver le contrôle d´urine quotidien, me cachant derrière mon manteau, arguant du fait qu´uriner devant quelqu´un bloquait mes sphincters. Puis, par nature n´étant pas à l´aise avec le mensonge et la somme d´énergie qu´il demande, j´ai fini par quitter le programme.
Oui, j´ai aimé la défonce durant des années, du moins je le croyais. Je le disais et me persuadais de cela, alors qu´au fond, je n´avais pas encore réalisé que je défiais la mort parce que j´avais peur de la vie…
De 74 à 78, je suis allée au bout de moi avec toutes sortes d´expériences, avec le recul, toutes plus dangereuses les unes que autres, dans des soirées de destruction massive, lors desquelles pour faire exploser nos angoisses et nos neurones, seul le flash et la résistance physique et mentale avaient droit de cité, soirées baptisées solennellement « au dernier des vivants ». De cette époque m´est venue un surnom qui me suivra dans les années 80 et plus :mademoiselle « je n´sens rien » ou « j´lai mis à côté ».
Présomptueuse que j´étais, je me croyais invincible au jeu de la vie et de la mort, je pensais être maître de ma destinée, alors que je prenais les concepts de mes projections mentales, pour des principes ou des projets de vie...
Oui, j´ai revendiqué haut et fort le droit ou non de m´envoyer en l´air avec les produits de mon choix, mais, je les ai tout autant haï quand ils m´ont envoyé en prison à de nombreuses reprises à l´époque où la
substitution n´existait pas intra muros. Haïs lorsqu´ils ont tué presque tou(te)s mes ami(e)s, en particulier l´homme que j´aimais, mort en juillet 78 dans le lit à côté du mien dans un service de réanimation à l´hôpital Beaujon, où nous faisions une cure de sommeil profond. Haï quand ils ont envoyé mes fils en prison et que j´ai appris avoir contaminé ma fille née en 1981avec le vih.
Puis, très curieusement, un quart de siècle plus tard au delà de son cortège de dommages collatéraux (prison, sida, hépatites) la défonce a laissé en moi une ligne blanche infranchissable en terme d´envie, que je n´ai plus jamais désiré shooter, sniffer ou fumer, le fameux déclic tant moqué a déverrouillé ma passion pour la vie. Comme si toute l´énergie que j´avais mis à défendre le droit de se camer, s´était cristallisée en une prise de conscience aigüe et salutaire, qui m´a fait admettre que la mort me faisait peur. Cette crise de conscience m´a fait toucher du doigt, pourquoi des années durant, j´ai flirté avec la mort comme une allumeuse et pourquoi je suis allée jusqu´aux préliminaires les plus hards core, en terme d´overdose, d´infections, de coupages de veines, de tendons et de coma, sans jamais franchement coucher avec elle une fois pour toutes…
Rien à voir avec la repentance et la contrition, de toute façon le chemin de la « rédemption sociale », n´est pas facile d´accès et ne se fait pas en un jour !
Pour guérir de mes angoisses existentielles et de mes questionnements sans fin, là encore le combat contre mes vieux démons, m´a faite ressembler en terme de violence à un poilu de la guerre 14-18. Je me suis traînée dans les tranchées du désespoir, du doute et de la paranoïa, me suis vautrée dans la boue d´une complaisance opiacée en dents de scie, ainsi que dans une frénésie de substances diverses et variées que je voulais blanches, roses ou sucrées. Mais, au bout du compte ou du décompte, à chaque fois, les visqueuses tentacules de la culpabilité, me maintenaient en apnée, la tête sous l´eau, dans la baignoire affective.
A force de me brouiller la vue pour ne pas voir la vie, je me suis dit : y´a les imbéciles qui changent pas d´envie.
Alors, j´ai pris ma route à contre sens je suis partie dans le Lubéron où j´ai vécu 12 ans en prenant de moins en moins de produits, tandis que la vraie route se faisait dans ma tête. J´ai pris du Moscontin durant des mois avec des louches de
cocaïne, de la métha durant plus de deux ans puis, je suis passée au
subutex malgré son antinomie connue à la métha.
Au bout de 24 heures du
sevrage de cette dernière, j´ai avalé le premier
subutex de ce nouveau programme qui m´a déclenché une incroyable crise de manque. Au bout d´un mois environ j´ai commencé à très vite dégresser les doses malgré l´avis contraire de mon toubib prescripteur car, elles me bouffaient mon énergie. Cela a duré des années, et de petits bouts en petits bouts, j´ai fini par couper un matin d´octobre, le cordon ombilical qui me reliait à la mère opiacée. Tous mes autres bracelets électroniques ont volé en éclats, lorsqu´enfin, j´ai réussi à dissocier plaisir et bien être. Ensuite, j´ai travaillé sur mes peurs bien ancrées et mes blocages affectifs pour apprendre à m´aimer.
Il me faudrait des pages et des pages, voire un livre entier, pour en raconter par le menu ce poly
sevrage et surtout l´absence d´étai efficace, de réel soutien, de la part du glacial corps médical.
Je vais maintenant saluer et parler de l´exception qui confirme la règle médicale, et qui porte le doux nom de Gabriela Spiridon. C´est une infectiologue qui me suit depuis des années à l´hôpital Cochin dans le cadre de mon vih et dont les consultations sont largement courues. C´est la seule toubib à m´avoir soutenue durant des années, sans m´imposer quoi que ce soit en terme thérapeutique. Elle a construit avec moi une relation basée sur la confiance, l´écoute et l´explication de texte quand cela s´est avéré nécessaire. Il faudrait la multiplier par mille…
Je pourrais aussi raconter ces deux années d´enfer, à l´issue de l´arrêt des médocs que je prenais depuis l´enfance, bien des années après l´arrêt de la défonce, durant lesquelles je ne pouvais regarder personne dans les yeux, tant la culpabilité et le manque de confiance en moi m´isolaient, raconter ces nuits sans sommeil au rythme d´une sur deux, à dormir deux heures dans les phases les plus douces, moi qui ne dormait déjà que d´un œil cinq heures par nuit maximum, parler de l´effondrement de mes bilans sanguins, de mon estomac dont les parois jouaient des castagnettes tant il était serré en permanence, à instar de mes mâchoires qui ressemblaient à un étau rouillé impossible à décoincer. Comble de tout, J´étais devenue très lourde à force de légèreté !
Je tiens à préciser que je ne suis pas une repentie en aucun cas. La
came m´a aidée à tenir debout plus de 20 ans face à mes carences affectives et mon incapacité à appréhender le monde dans toute sa dure réalité, elle a plâtrée ma souffrance et j´y ai pris très souvent du plaisir, trop même parfois...
Néanmoins, je dis OUI on peut arrêter la
substitution si la motivation est présente, réelle et surtout bien accompagnée. Pour cela, il faudrait des programmes de
substitution choisis et non subis, couplés à d´autres approches thérapeutiques naturelles, qui de cette façon, pourraient être associées à la notion de plaisir que la
substitution seule s´attache à ne pas produire.
Pour cela, encore faut il sortir du terrorisme médical et de son terrain substitutif truffé de mines anti personnelles. Il existe d´autres perpectives de couleurs sur la palette thérapeutique, je les ai utilisées pour moi, mais également pour ma meilleure amie, qui elle aussi s´en est sortie.
C´est pourquoi, je tiens à faire profiter en toute modestie, de mon expérience personnelle, en la mettant au service d´une association conçue pour des femmes, usagères ou non d´un mode substitutif , malades ou non mais sortant de prison.
Même si c´est loin d´être une promenade de santé, ou une ballade au fond des bois, ça laisse un autre choix de futur ( cela n´engage que moi) qu´une promenade à la Santé, à Fresnes ou à Fleury ou un séjour à l´hôpital pour une malade au clair de lune…