Qualifiant la politique de répression menée jusqu’à présent d’« échec cuisant », le Conseil économique, social et environnemental (Cese) propose d’autoriser la vente aux majeurs, avec des garde-fous. Plusieurs médecins, divisés sur cette question, réagissent.
A l'heure actuelle, la consommation de cannabis est interdite par la loi. (Illustration) LP/Jean Nicholas GuilloBientôt la fin de l’amende pour avoir fumé un joint ? Le Conseil économique, social et environnemental (Cese), instance consultative, se prononce ce mardi en faveur d’une «
légalisation encadrée » du
cannabis. C’est ce qui ressort des travaux menés pendant un an par une commission temporaire, présidée par Jean-François Naton, conseiller confédéral CGT. Ce dernier pointe un « échec cuisant de la politique menée depuis une cinquantaine d’années », consistant à punir d’une amende de 200 euros (150 euros si la somme est versée directement ou dans les quinze jours) l’usage de ce stupéfiant.
Les membres de la commission ont auditionné de nombreuses personnes et ils se sont également déplacés sur le terrain, notamment dans le sud de la France. En recommandant la
légalisation, « l’objectif premier est d’être guidé par des objectifs de santé publique », estime Florent Compain, porte-parole des Amis de la Terre France et l’un des deux rapporteurs de l’avis. Cette recommandation vise aussi à « affaiblir et assécher le plus possible » le trafic illégal, même si « on sait qu’il en restera une partie », complète l’autre corapporteur, Helno Eyriey, ex-président de l’Unef.
Le Cese part notamment du constat que près de la moitié des adultes ont déjà consommé du
cannabis au cours de leur vie, contre environ un quart dans l’ensemble de l’Union européenne. Concrètement, des commerces légaux pourraient voir le jour, à condition d’obtenir d’une licence et que les gérants suivent une « formation obligatoire à la prévention et la
réduction des risques ». La vente serait interdite aux mineurs et « toute propagande ou publicité en faveur du
cannabis ainsi que toute distribution gratuite ou promotionnelle » serait bannie, sur le modèle de la loi Evin concernant le
tabac.
Amine Benyamina, chef du service d’addictologie à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne), approuve à 100 % cette recommandation visant à légaliser le
cannabis. « C’est une stratégie pragmatique qui limite les risques en matière de santé publique, sans que cela n’envoie un message à consommer davantage. Jusqu’à présent, les trafiquants avaient toujours gagné la bataille », développe-t-il. estime lui aussi que « la répression n’est pas vraiment efficace ».
Son confrère Jean-Claude Alvarez, chef de service toxicologique à l’hôpital de Garches (Hauts-de-Seine), n’est pas du tout de cet avis. Lui « ne voit pas du tout pourquoi on légaliserait une drogue sous prétexte qu’on n’arrive pas à l’interdire ». « Il faut arrêter l’hypocrisie de dire que les gens ne fumeront du
cannabis qu’à partir de 18 ans car la vente sera interdite aux mineurs, et de penser que le marché illégal va disparaître en légalisant la vente », tonne-t-il, plaidant pour davantage « d’éducation » via notamment des clips télévisés.
Le Cese se défend de lancer « un appel au Fumez tous », selon l’expression de Jean-François Naton. Une telle
légalisation encadrée « doit être appuyée par une politique d’éducation, de prévention, et de lutte sans faiblir contre tous les trafics », martèle-t-il. L’instance préconise ainsi de « protéger en priorité les mineurs en développant une politique d’accompagnement et de prise en charge des usages, particulièrement lorsqu’ils sont problématiques et en interdisant la vente ou la provocation à l’usage du
cannabis à leur intention ».
Elle recommande aussi de « créer un institut national du
cannabis sous l’égide de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives pour développer la recherche fondamentale et diffuser une information claire, objective et accessible sur le
cannabis ». Par ailleurs, le Cese prône pour « faire de l’agriculture biologique la norme de production du
cannabis et autoriser l’auto-culture et les
Cannabis Social Clubs, en les encadrant ».
Quelques pays étrangers, dont le Canada et l’Uruguay, ont déjà légalisé la consommation de
cannabis « récréatif ». Malte a été le premier pays européen à sauter le pas, et l’Allemagne devrait suivre d’ici à 2024. En France, seule une expérimentation du
cannabis à usage médical a débuté en mars 2021, afin d’évaluer l’utilité et l’efficacité des traitements qui comportent des principes actifs dérivés du
cannabis. Un « Comité scientifique temporaire pour le suivi de l’expérimentation du
cannabis à usage médical » a été mis en place en juin 2021, afin notamment de « suivre et analyser les modalités du circuit de prescription et de délivrance, ainsi que les données d’efficacité et de sécurité », indique l’Agence nationale de sécurité du médicament.
Les positions variables de MacronCet avis du Cese devait être approuvé par l’ensemble de ses membres, ce mardi après-midi. Cette instance, composée de personnalités issues de la société civile, a un rôle purement consultatif et le gouvernement n’est en rien obligé de suivre ses recommandations. Emmanuel Macron lui-même a tenu des positions variables concernant la
légalisation du
cannabis.
Ministre de l’Économie, il estimait en septembre 2016 sur France Inter que la
légalisation du
cannabis avait « des intérêts » et présentait une « forme d’efficacité » en termes de sécurité et de lutte contre le « financement de réseaux occultes ». Mais en mars dernier, lors de la présentation de son programme pour sa réélection, il ne se disait « pas favorable » à la
légalisation du
cannabis. Invité de RTL le 30 octobre dernier, le ministère de la Santé, François Braun, se disait également contre « parce que c’est dangereux pour la santé ».
Source : leparisien.fr