Encore l’an dernier, quand le copropriétaire du 403 sentait le pot à plein nez, les voisins en riaient. C’était marginal. Mais voilà que les perceptions bienveillantes ont changé, depuis l’entrée en vigueur de la
légalisation du
cannabis, cet automne.
Le constat vient de Marc-Antoine L’Allier, bien placé pour en parler. Directeur général de Lamarque gestion immobilière, il donne un coup de main aux conseils d’administration de syndicats de copropriété, à Québec.
Dans les semaines qui ont précédé la décriminalisation de la
marijuana, il a remarqué un mouvement de panique. «Beaucoup se sont sentis obligés d’adopter en toute hâte un projet de règlements pour interdire la consommation et la culture partout dans la copropriété, incluant dans les parties privatives.»
D’autres ont choisi d’attendre leur assemblée générale pour en débattre et encadrer la consommation. Certains ont laissé la possibilité de fumer sur les balcons et les terrasses communes.
«Ce dossier est le reflet de la société, mais surtout du microclimat qui règne dans chaque syndicat de copropriété. Les us et coutumes, les façons de faire sont propres à un immeuble et peuvent être très différentes d’un autre, sur la même rue.»
Jeunes, moins jeunes
Les copropriétés avec des occupants plus âgés ont fait voter l’interdiction partout, «sans aucune nuance», a remarqué Marc-Antoine L’Allier.
Dans les immeubles avec de jeunes professionnels, la décision était moins tranchée. «Cette génération est moins fermée à la consommation de
cannabis. Mais la plupart l’ont quand même interdit dans les condos pour une question d’odeur.»
Non au
cannabis? Non à la
cigaretteMe Michel Paradis, qui a préparé des règlements pour une cinquantaine de copropriétés divises à Québec, a quant à lui été surpris par la réaction des jeunes de 25 à 35 ans.
«Ils ont montré des objections à l’interdiction de fumer le
cannabis dans les parties privatives, mais ce n’était pas une opposition musclée, plus une opposition de principe», note l’avocat associé chez Jolicoeur Lacasse et président du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec – région de Québec.
En fait, ces jeunes, qui ne sont pas si nombreux en copropriété, ont réagi en disant : «Si vous décidez d’interdire de fumer le
cannabis, vous allez aussi interdire de fumer la
cigarette, parce qu’elle nous dérange».
Tout ce débat sur le
cannabis a fait naître une tendance chez les syndicats de copropriété de faire de leur immeuble un environnement non-fumeur, rapporte Me Paradis.
Chez les copropriétaires de 55 ans et plus, il n’a vu presque personne contester l’interdiction de consommer du
cannabis. La crainte, dans cette tranche d’âge, venait de la location de condos à de potentiels fumeurs, a-t-il perçu. Car dans un contexte où le marché de la revente de copropriété tourne au ralenti, les locations augmentent, sans être généralisées.
La seule réserve de certaines personnes plus âgées à l’interdiction de fumer le
cannabis était de porter atteinte au droit des gens, en intervenant dans les parties privatives.
«Ce à quoi on répond que la Cour suprême a déjà décidé que fumer du
cannabis récréatif n’était ni un droit ni un handicap ni une maladie, mais un mode de vie. Et que ce mode de vie peut être interdit comme tout autre mode de vie qui gêne les autres copropriétaires», tranche Me Paradis.
Le risque de trop légiférer
Voilà en théorie. Mais en pratique, il faut toujours faire attention de ne pas trop légiférer, estime le gestionnaire immobilier Marc-André L’Allier. «Le vivre et laisser-vivre peut être atteint et les gens peuvent se sentir toujours observés.»
En interdisant de fumer partout, même sur les balcons, on augmente le risque que certains se cachent, par exemple sous la hotte. «Ça peut causer d’autres problèmes, parce qu’il y a souvent une interconnexion des conduits de ventilation. La fumée peut se propager encore plus facilement d’un condo à l’autre.»
Marc-André L’Allier ajoute qu’en faisant adopter un projet de règlements sur le
cannabis, le conseil d’administration de la copropriété doit être «prêt à aller jusqu’au bout pour le faire respecter». Ce qui implique de monter un dossier lorsqu’un copropriétaire continue de fumer.
«Dans le cas d’un règlement qui interdit les antennes paraboliques, c’est facile de prendre une photo et d’amener ça aux petites créances. Mais quand on parle d’odeurs de
marijuana, ça peut être un travail de bien longue haleine.»
Une question d’odeur
Aucun copropriétaire ne s’oppose aux autres formes de consommation du
cannabis. C’est l’odeur de la fumée qui dérange, insiste Marc-André L’Allier.
Une donnée difficile à mesurer. La perception des odeurs est quelque chose de très subjectif, souligne Johannes Frasnelli, professeur au département d’anatomie de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Les seuils de détection des odeurs et le degré de dérangement diffèrent d’une personne à l’autre.
Devant ce flou, certaines copropriétés ont présenté en assemblée un projet de règlement pour contrôler tout type d’odeur (cannabis,
cigarette, cuisson, encens, huiles essentielles…), afin de la confiner à l’intérieur de la partie privative.
«Le copropriétaire demeure libre de faire ce qu’il veut dans son unité, mais il doit s’assurer qu’en aucun cas, l’odeur en provenance de ses activités ne se propagera dans les corridors ou dans une autre unité et, dans le cas d’une plainte, il devra cesser ou modifier son comportement», explique Marc-André L’Allier.
Il salue cette façon de permettre aux occupants de jouir librement de leur condo, tout en atténuant certaines craintes.
*source
www.lesoleil.com