Quasi naïf aux
opiacés, et pas particulièrement attiré par les classiques
héroïne,
morphine,
codéine et toute la "clique", j'éprouvais en revanche depuis longtemps une certaine curiosité pour l'
opium, probablement liée à l'histoire millénaire de cette drogue, et à son aura mystérieuse et romantique...Si je voulais expérimenter un opiacé, c'était bien l'
opium, l'origine même de toute cette classe de substances. Mais, comme vous l'avez sans doute constaté, l'
opium ne se trouve pas à tous les coins de rue, et n'étant pas un acharné du
darknet, cette idée demeurait plutôt un voeu pieux voire un fantasme de vieux drogué...
L'opportunité de goûter à la midnight oil s'est pourtant finalement présentée tout récemment, au cours d'un
festival passablement hippie perdu au fin-fond des montagnes d'Ardèche, lorsqu'un gars avec qui j'avais sympathisé m'en a offert une petite boulette. Oh, pas grand chose, un demi-gramme de pâte noire et collante, à l'odeur intense de
pavot, aussitôt rangée dans ma boîte magique en vue d'un usage ultérieur : déjà sous l'emprise d'un
entactogène et d'un psychédélique ce soir-là, je ne me voyais pas ajouter l'
opium au menu, au risque soit de mal le vivre soit de passer à côté de l'expérience.
C'est donc hier soir, deux semaines après ce
festival, que tranquillement posé dans ma tanière et sous la discrète supervision de mon amoureux, j'ai commencé,
réduction des risques oblige, par ingérer 0,2g du légendaire latex de
Papaver Somniferum, accompagné d'une large gorgée de lait sucré pour essayer d'en atténuer le goût aussi amer que persistant...Puis allongé sur un matelas moëlleux, sur un mix de slow-trance particulièrement planant, je me suis préparé à accueillir les effets.
Ce furent tout d'abord, au bout d'une heure à peu près, une torpeur et une pesanteur : la sensation de ressentir la gravité avec une acuité toute nouvelle, comme si soudain je pesais 150kg et que ce poids me clouait littéralement au sol, rendant beaucoup plus difficile le moindre mouvement...Sensation associée à un état quasi-hypnotique, proche de ce que l'on éprouve lorsque le sommeil approche, que l'on est pas encore endormi mais que l'on se sent partir. Une somnolence pas désagréable en somme, mais rien de très impressionnant. Un peu plus de deux heures après la première prise, curieux de pousser l'expérience plus loin, j'avalais donc 100mg supplémentaires, dont les effets ne se firent pas attendre très longtemps...
Une petite demi-heure après le second drop, la sensation de pesanteur s'atténua, et je retrouvai une relative aisance de mouvement, alors que la première montée m'avais plutôt cloué au lit. Je constatai un certain tangage en me déplaçant, mais beaucoup moins marqué que celui qu'on éprouve par exemple lorsqu'on a trop bu : cela s'apparentait plutôt à un léger vertige. Autre effet remarquable, une certaine altération de la perception du temps, associée à des phases de complète hypnose...C'est à dire que je pouvais rester immobile, les yeux et les pensées dans le vague, pendant un laps qui me semblait durer quelques secondes, alors qu'en réalité je venais de "scotcher" pendant une bonne dizaine de minutes. Je me souviens avoir dit à mon mari que le terme "être stoned" était particulièrement approprié pour définir cet état.
L'effet le plus spectaculaire et le plus intéressant se manifesta peu après, lorsque j'entrais dans une phase de rêve éveillé (le terme est un peu galvaudé mais il reste assez juste), durant laquelle, sans que je m'endorme, et particulièrement si je fermais les yeux, mon imagination se mettait à divaguer sur le mode "marabout-bout d'ficelle", élaborant par association d'idées des images et des scénarios délirants, dont l'absurdité même finissait par m'alerter et dont j'émergeais presque en sursaut, ne rassemblant mes esprits que pour mieux repartir dans un autre hors-piste mental, les divagations succédant aux divagations sans que je puisse contrôler le processus. Il ne s'agissait pourtant pas d'hallucinations et à aucun moment je ne perdai conscience du réel ni ne m'endormai, simplement sous l'influence de l'
opium mon imagination semblait décidée à déclarer son indépendance et à s'émanciper du contrôle de ma raison, qui ne pouvait que la regarder faire. Le gars qui a inventé le slogan "l'imagination au pouvoir" était probablement opiomane.
Quelques deux ou trois heures plus tard (l'appréciation du temps, à ce stade, étant devenue plus qu'hasardeuse) je finis par avaler ce qui me restait d'
opium, soit 0,2g environ. L'effet n'en fut pas spectaculaire, cela prolongea simplement la sensation de rêve éveillé et accentua légèrement l'intensité des divagations, sans que cela n'atteigne à aucun moment, il faut le préciser, l'intensité dramatique, l'adhésion subjective au délire ni la complexité des hallucinoses que l'on expérimente en prenant par exemple du
LSD ou d'autres psychédéliques. L'
opium, du moins au dosage où je l'ai consommé, propose une expérience beaucoup moins intense et d'une nature très différente, qui se rapproche plutôt de ce que l'on ressent lorsque l'on somnole, que l'on est pas encore totalement endormi mais que l'on commence déjà à rêver. Finalement, après plusieurs heures dans cet état, le sommeil finit par m'emporter, mais je me réveillai plusieurs fois durant la nuit, pour constater que la substance agissait toujours.
Pour décrire l'expérience aussi précisément que possible il faut aussi évoquer ses aspects moins plaisants, dans mon cas ce fut un body-load assez important, avec une sensation de légère nausée constante durant toute l'expérience et une impression assez diffuse mais plutôt désagréable d'intoxication. Difficile à décrire, je la résumerai ainsi : la conscience très nette d'avoir ingéré une substance que mon corps peinait à assimiler. Enfin pendant tout le voyage, et jusqu'à m'endormir, j'ai souffert de démangeaisons plutôt intenses, particulièrement au niveau des jambes et des parties génitales. Le matin au réveil, je constatai que si les divagations avaient cessé, la sensation de torpeur et d'engourdissement demeurait très nette, associée à une légère gueule de bois, bien moins sévère cependant que celle infligée par l'
alcool. C'est dans cet état, aidé de quelques cafés bien noirs, que je rédige ce rapport d'expérience.
Bien que satisfait d'avoir assouvi ma curiosité à l'égard de l'
opium, je terminerai en confessant une légère déception : si les effets de la substance ne sont pas inintéressants, ils s'avèrent nettement moins puissants que ce que j'avais imaginé. C'est possiblement lié au dosage raisonnable que j'ai ingéré, mais l'intensité du body-load et la sensation d'intoxication très nette ne me donnent pas envie d'essayer d'en prendre une plus grosse dose, d'autant que je n'ai pas l'intention de me mettre à la recherche d'un plan régulier, la régularité dans les prises d'
opiacés étant me semble-t-il une autoroute vers la dépendance. Mon désir est donc rassasié, mais je sais désormais d'expérience que l'
opium, malgré l'engourdissement sympathique et la stimulation de l'imaginaire qu'il procure, n'est pas "ma"
came.