Souterrain C2/N3/D7/G18/A-Novella
15/12/2223
21 heures passées. Au 3ème Niveau, la tension et l’inquiétude atteignaient leur summum. Les lieux s’ouvraient sur deux antres bloqués, éclairés de lueurs infrarouges. La centaine de délivreurs présente devina, ressentit la percussion des satellites en surface. Conjointement, au socle des accès furent actionnées des charges puissantes d’explosifs. Des fissures… pour la première fois des fissures apparurent ! Gardant la tête froide, les meneurs de l’opération - en l’occurrence des indés - ordonnèrent à tous et toutes de parcourir le déchainement de l’opération dans le silence. Une opération directement transmise aux quatre vents des trois clairières organisées du Globe.
Dinraw n’était là que depuis dix minutes. Appareillé et en avant-poste avec l’équipe constituée composée de dix hommes et de dix femmes, beaucoup étaient hacktivists. Son syntellite lévitait à ses côtés, comme six autres lévitaient alentours. Visage terriblement pâle et joues creusées, la tête vertigineusement blindée d’appréhension et d’enthousiasme, derrière sa visière-octet et la lampe frontale incorporée, ses yeux cernés ne lâchaient pas d’un iota les fissures réelles, les fissures créées après le choc des explosions. Une cinquantaine de délivreurs s’arrima à six mètres en dessous des blocages de métal hurlant. Trois d’entre eux s’appliquèrent à des types précis de roquettes sur les fissures créées à même la ferraille, telles des plaies ouvertes. Puis une équipe de dix délivreurs arpenta les six mètres, scies radiales dans les mains. Dinraw essaya son micro :
– Un-deux, un-deux, vous êtes là ?
– Big zoom sur les fissures ma gueule ! On y est, répondit Ptira.
– J’aime assez la zique que t’écoutes en arrière-fond… c’est quoi ?
– Une autre pépite trouvée dans les archives après « blue calx ». C’est… « Set Theory » de Carbon Based Lifeforms. Plutôt adéquat vu la situation.
– D’après l’étude des images-espions des sondes, il n’y a rien au-dessus des blocages, alors… apparemment ouais on y est, murmura Dinraw. Zea ?
Un fracas se fit net, clairement entendre, comme une collusion entre deux poids lourds. Les fissures se changèrent en failles.
– Courage Nil… murmura son amie.
Dinraw trifouillait de sa main gantée son grigri perso, le pendentif attaché d’une fine ligne de câble autour du cou, contenant les deux graines Immersives qu’il avait dé-greffé de sa tempe droite et de son front. Il ne cessa pas de l’observer sur tous les angles, en se disant :
Tout ce vocabulaire… ces néologismes, tous ces mots novlangues et compagnie… Ab-strate par exemple… quand j’y pense, comment a-t-on pu déformer le réel à ce point et inventer des mots désignant des choses plus vieilles géopolitiquement parlant que l’ensemble des âges de mon bloc ? Comment en est-on arrivé là ? Qui nous a fait avaler autant de couleuvres ? Quand j’étudiais les archives concernant le monde d’avant les blackouts, les Coups d’États Planétaire et la Relève, tout était vraiment différent. Il y a eu substitution, comme une mémoire factice greffée, sortie d’un trou-noir.
Dinraw murmura en direction du couz’, qui servait également d’éclairage :
– Oui couz’… une mémoire greffée.
Autre fracas, cette fois accompagnés d’acclamations. Le sol semblait trembler face à l’acharnement qu’opérèrent les délivreurs. Dinraw dit :
– Vous vous souvenez ? Ces bâtiments noirs simplement immenses sortis d’on ne sait où, qui en une journée seulement ont cloisonné tous les antres du souterrain ? On arrivait à peine à y croire, nous qui décidions ce jour précis de sortir des rangs et de rejoindre la délivrance…
– Au mauvais endroit au mauvais moment… murmura Zea.
– Le plus zarb dans le mémoire, dit Ptira, reste ce que tu as rapporté de ton exploration. Ces ombres-gardiennes par exemple, qui hantaient le Citadin, est ce qu’il y a une origine commune entre ces navires géants et ces ombres ?
– Je crois que oui. Et je vais bientôt en avoir le cœur net… WOW !
Nouveau choc, nouvelle implosion. Cette fois se dévoilèrent des failles d’infimes faisceaux bleutés. Des éclats de métaux volèrent dans l’air. Plusieurs délivreurs commencèrent à opérer une forme d’écartèlement à coup de massues, comme pour faire plier certaines bordures fondues du matériau, tandis que le découpage aux scies faisait germer un feu d’étincelles. Scènes aussi invraisemblables que l’exploration du lingot, Dinraw se mit en tête que plus rien n’avait de sens. Sous le bruit des coups acharnés de massues, sa main touchant le pendentif tremblait. Il établit mentalement tout ce que contenait le mémoire :
Un blocage définitif de tous les accès au souterrain de cette planète, des Intelligences de Synthèses créées à partir de connexions interactives d’esprits humains, un centre de concentration en Mer du Nord et à l’échelle d’un territoire du Nordland, des ombres fantomatiques translucides et sanguines, des messagers provenant d’infɵplans inconnus des Immergés, l’esprit de Magéo intégré dans ces abysses, des Miroirs-Psychés dont l’existence défiait toutes les lois physiques du cosmos, des hacktivists happés par des forces défiant la rationalité, des confréries créatrices de RVI en guise de Coupole…
– Et plus de dix-huit ans de cloisonnement… murmura-t-il.
– Décrits moi ce que tu perçois… murmura en retour Zea, d’une voix anxieuse.
– Les caméras ne transmettent plus ?
– Si. Mais j’aimerais t’entendre sur ce que tu perçois, toi…
– Qu’est-ce que tu vois dans ta boule de cristal, Faucontact ? fit Ptira d’une voix faussement amusée, dissimulant l’accélération de son rythme cardiaque.
– Heu… et bien, je vois une salle blindée d’infrarouge par intermittences… des murs infɵcoms désactivés pour éviter là-haut les interférences… heu… il y a du monde ici, des personnes éparpillées derrière moi, qui nous observent, nous l’équipe placée en devanture de l’opé… nous sommes sur une plateforme qui monte très lentement, des failles commencent à affluer des lumières bleuâtres qui vont et viennent, on se croirait dans un cœur en implosion… les étincelles sont comme du sang neuf, je… ah comment décrire ça ? Le cœur du souterrain est en train de s’ouvrir, personne parmi nous ne sait ce qu’on va trouver là-haut. Je vois des visages inquiets, les diodes frontales brillent, les yeux clignent rarement. Je vois autour de moi, je ressens des mémoires surchargées… par moments je crois voir Enylam dans la foule. Est-ce que tout ce cirque n’est qu’un vaste orchestre des interterrestres ? Des interterrestres qui par le biais des I.S nous attendent en haut ? Merde… je m’égare… c’est juste que… le cœur du souterrain s’ouvre, et nous sommes tous maintenant sûrs que nous avons oublié ce que nous n’aurions jamais dû oublier, il y a quelque chose qui s’est perdu dans le temps, quelque chose qui s’est détraqué jusqu’à se perdre. Comment a-t-on pu glisser comme cela depuis les blackouts mondiaux ? J’entends des murmures, des soupirs, des exclamations, mais je me demande si…
Au moment où Dinraw s’apprêta à exprimer l’une de ses nombreuses craintes, les fissures craquelées volèrent en éclats, libérant des faisceaux bleus océaniques intensifiés. Une mélodie aussi abrasive que spatiale parvint aux ouïes des centaines de délivreurs regroupés, apparemment liés aux mêmes faisceaux. Les yeux de Dinraw s’écarquillèrent quand un énième choc explosa de front l’encastrement, accompagné des clameurs arrière mais vite revenues au silence. La voix de Zea tremblait :
– Si l’Ensynaut n’est qu’un moyen pour eux d’entrer en contact avec nous…?
– La marionnettiste serait manipulée à son insu ? murmura avec anxiété Ptira.
– Non je ne peux pas croire que…
Énième vacarme, les débris des plaques de blocages volèrent et laissèrent place à une cavité de passage à circonférence d’homme. Les lieutenants levèrent les bras pour anticiper la clameur à venir et s’empressa de l’éteindre ; les FDL redoutant l’activation des réseaux d’espionnages focalisés sur les antres condamnés. Les faisceaux devinrent rayons lumineux, d’un bleu rayonnant jamais vu. Dinraw cette fois compressa de sa main son pendentif. Ces yeux demeuraient grands ouverts, malgré la terreur unanimement ressentie.
Ce que les sondes ont montrées ne peut être vrai… qu’est ce qui est vrai ?
La plateforme où se tenait le Noyau-Dur délivreur s’éleva de cent pouces et se dirigea près du passage éclairé.
– Imaginer une couleur nouvelle… lança Dinraw à son micro-casque, c’est comme vouloir imaginer le néant…
Zea supposa :
– S’ils nous observent depuis des millénaires, c’est qu’ils ont créé tout ce bordel pour qu’on…
– … vienne à leur rencontre… souffla Ptira.
Voix tremblante, Dinraw murmura :
– Qu’est ce raconte Set Theory ?
Son syntellite vrombissait à ses côtés parmi des centaines. La mélodie issue des fractures désormais ouvertes donna la chair de poule à tous les délivreurs et délivreuses présents. L’équipe indée fracassa une énième et dernière fois les abords de la cavité d’où s’introduisait le brouillard bleuté. La plateforme foulée par le Noyau-Dur composé de différentes sections délivreuses s’arrima à un mètre de la plaie béante métallique. Un décompte s’afficha en aval des opérations, l’équipe indée laissa place à l’équipe éclaireuse, combinaisons antiradiations pour chacun des membres ; Dinraw referma sa visière et brancha son masque respiratoire. Une odeur d’azote flottait dans l’air évanescent. Ses souffles se saccadèrent.
– Bonne chance frères et sœurs. Équipe éclaireuse, à vous de jouer, fit la voix du Phasm qui retentit des plateformes inférieures, on se tient prêt à vous suivre.
– Set Théory dit, murmura Ptira d’une voix que Dinraw ne reconnaissait quasiment plus, « comprends-tu ce que j’essaye de te dire ? Il n’y a pas de réponses. Seulement des choix. »
– Restez prêt de moi… on se retrouve là-haut.
Zea chuchota :
– Seulement des choix…
De la cavité créée prismatique de brassées vertigineuses, de faisceaux vagues et brouillés, le premier de l’équipe agrippa la passerelle, s’éleva d’un bond, observa les lueurs hallucinées, resta encore dix secondes sans se mouvoir, puis fit le premier pas. Des grésillements par milliers entrecoupèrent ses commentaires. L’indée suivante s’agrippa pareillement… et passa en quelques gestes précis de l’autre côté. Ainsi de suite durant trois minutes, le moment arriva pour Dinraw d’escalader. Les lueurs et les voix s’emmêlèrent et se brouillèrent en tournis. Sa respiration se fit rude, ses pupilles mi-effacées accrochaient la lumière à atteindre. Le couz’ lévitait à son épaule.
– Seulement des choix… lança-t-il dans un murmure à peine audible en agrippant la passerelle.
S’engouffrant à son tour au cœur de la percée et toujours suivit par son syntellite, les brassées de lueurs désormais changées en nombre incalculable de distorsions se refermèrent instantanément sur lui. Et tandis qu’une brusque impression d’accélération-monstre du temps agrippa son esprit, quand face à lui se dévoila l’issue du vide… Dinraw se laissa enfin hisser jusqu’aux lueurs monochromes de la surface.
Un tourbillon hallucinogène…
Peut-être à poursuivre.
Catégorie : Expérimental - 17 mars 2022 à 02:35