Il y a treize ans. C'était une nuit sans étoiles, le troisième jour d'un
festival punk bien chargé en toute sorte de produits. Un moment hors du monde, dans une vallée minière qui noircit les narines, sous des chapiteaux ingénieusement parés à l'arrache, des sculptures de soudures de récup, un univers où tout est possible parmi les camions réaménagés qui ont traversé la terre.
C’était avril, les
amphet ne tiennent pas chaud ; après trois jours, plus assez d'énergie pour pogoter dans la sueur lysergique qui suinte l'
alcool. Un brasero chauffe d'étincelles un coin de prairie. Refroidie, je m'y dirige. Assise, plus aucun souvenir d'où surgit-il. On se retrouve autour du feu, la
dopamine aidant, les mots coulent. Il ne me racontera qu'après que c'était sa première à l'
MD, alors forcément c'était un peu magique. Pour moi, ni les prods ni les rencontres n'étaient une découverte, mais toujours un plaisir. On chuchote autour des flammes, je n'ai plus un souvenir exact de quoi on a parlé, il m'a dit qu'on s'était racontés nos vies. je me souviens que j'étais enflammée d'un désir diffus, mais la
descente de
speed pointait son nez et même le froid n'était pas un prétexte suffisant pour se rapprocher.
Sombre passe pour moi, désabusée d'une relation qui me gangrenait avec ses non dits et une pénétration non voulue dans les entrailles. Mais, les silences et les souffrances balayés par l’atmosphère magique, je sentais l'envie réciproque dans l'air. Cependant, mon manque de sûreté chronique m’en empêchait d'y croire. Le matin avait fini par arriver, le ciel s'était éclairci et un pote à lui était apparu. Ils s'étaient barrés, moi je m'étais replongée dans le magma des gens à la recherche d'autres potes et d'une énième trace.
Nos routes avaient bifurqué et, dans mes nuits d'insomnies, je gardais la sensation que ça n'avait servi à rien d'attendre sinon de me tendre en vain dans le possible de l’adrénaline ouatée, des caresses non données, de l’énième château en l'air qui s'estompe dans les nuages d'une nuit fraîche et limpide. et je me demandais sans cesse si c'était moi à m'effrayer de ce qu'il aurait pu être, ou, c'était toujours moi qui esquissait des images que j'inventais sans aucune raison d'être.
Un an plus tard, je le recroise par hasard le lendemain d'une teuf, il me demande si je me souvenais de cette soirée lointaine et il me dit que lui il y avait beaucoup pensé . Je joue la distance et, droguée par l'incertitude, je m'entends répondre que c'est facile de parler la nuit avec une poudre acide dans l’œsophage, éreintés et altérés autours d'un feu d'étoiles.
On continue de se croiser «comme si on se connaissait pas», un trajet les rayons de soleil dans les cils, je me souviens des sourires et des regards dans la cabine du camion à contre jour, entre la lumière et la
poussière en suspension.
Dix ans après...Quelle drôle de route on a parcouru pour nous retrouver dans la même rue ? Incroyable lien fait de regards et sourires, même si cette fois, ses longs cils noirs m'ont caressé sans métaphore.
Après cette première nuit, j'étais prête à que tout revient comme avant -mais jamais rien n'est comme avant. Quelques pensées pour ses longs cils et ses sourires, mais pas vraiment intentionnée à recommencer. Pas de texto ni rien. On trace. Puis je reviens, puis il revient.
Des kilowatts d'électricité me traversent. Je le cherchais, en trouvant des prétextes pour le retrouver, même en regardant un sombre thriller suédois. Je me revoyais adolescente.
Fourmillement invasif dans mon être, mais je m'en sors.
Les gens petit à petit partent dans leurs camions, la picole fini vite et il n'y a rien d'autre (c'est la fin du mois pour tout le monde). Sans calcul, mais pas par hasard non plus, on se retrouve côte à côte sur le canap' au milieu des chiens. On commence à s'effleurer les mains en jouant, on finit à moitié endormis en se serrant dans les bras. Je sais pas trop quoi faire, je voudrais juste que le temps s'arrête. Le canap c'est pas top, lui n'est pas épais, mais on est à l'étroit. Il y a encore des gens qui passent, je ferme les yeux, les mains dans sa barbe. C'est juste tout doux.
J'hésite, mais quand il me tend la main en me proposant d'aller chez lui, je sens bien que j'avais attendu ça depuis un moment. Sans oser l'admettre, sans le dire, mais en faisant tout pour que ça arrive.
La nuit passe vite, je m'aperçois que de sa fenêtre on voit pas les lampadaires mais Orion briller dans le ciel. On se lève pour écouter du rap que c'est six heures du mat. Je me stresse sur l'heure, je voudrais juste ne pas y donner de l'importance, on retourne dans sa chambre, sur le matelas sans draps, les rtp aux coins du lit et la table de nuit qu'on a renversé.
il ferme les volets, mais je vois bien à un moment que la lumière filtre et le jour se lève. Je pourrais pas dormir sans un
lysanxia et pas à côté de lui. il m'attend dans le jardin des voisins le temps que j'aille chercher une plaquette, on se serre dans les bras en s'embrassant et son espèce de peignoir en polaire troué ne fait qu'amplifier la douceur.
C'était il y a trois ans.
Deux années merveilleuses. De passion, amour, voyages, musique, sexe, drogue et rock&roll. Entente et partage, rêves ensemble...
Puis...
Il y a un an, c'était le 17 avril.
Un tournant douloureux. Inexplicable à mes yeux.
Je n'avais rien vu venir. Perchée sur mon nuage de kilomètres et caresses, deux soucoupes en forme de cœur dans les yeux.
J'avais jeté sans hésitation mon ancienne vie avec l'eau du bain, happée par le tourbillon d'une nouveauté fusionnelle. Osmose embaumante.
Puis, tout d'un coup, une nuit froide où je voudrais dormir. Lui, bourré depuis deux jours non-stop, écoute du son et m'interpelle dans notre pièce qui n'a d'espace que pour le matelas.
Comme une foudre dans un ciel d'azur, à l'aube, ça éclate.
Une explosion d'un fracas terrible. Je ne comprends plus rien. Plongée dans un
bad trip effrayant. Je perds ma boussole, tout se dérègle. Je suis pommée, blessée, tétanisée de surprise. Un tremblement de terre émotionnel. Je me retrouve au sol, le visage écorché dans le gravier. Secousses dans mon être.
Tout s'écroule, s'effrite et part en miettes. Tout m'échappe. Aucun contrôle sur un pétage de plombs que je me prends en pleine gueule.
J'y voyais pourtant déjà clair. Il ne sert à rien croire aux promesses. Je n'arrive vraiment pas à comprendre, impossible de faire comme si de rien n'était.
J'exprime mon angoisse, ma déception, ma douleur. Je la ressens clairement au-delà de l'imbroglio de sentiments contrastants.
J'ai perdu mon innocence légère. Un poids opprimant m'écrase dans un gouffre d'où il n'y a plus d’horizon. Je n'arrive plus à sourire. Des larmes perlent mes paupières.
Mes amies et complices sont loin. Ici, je me tais dans une honte qui ne devrait pas être la mienne, je m'épuise pour aller de l'avant. Je passe juste pour la mal lunée de service. J'ai perdu à jamais les étoiles qui scintillaient dans mes yeux. Ça creuse dans ma peau bleuie, comme de l'acide caustique qui s'infiltre en rouillant du métal jadis brillant.
Paroles et explications. Je ne peux qu'y croire, tout en sachant que je me trompe.
La sensation réelle d'être tombé dans un cauchemar que jamais je n'aurais cru possible.
Déçue de moi même pour ne rien avoir vu. Déçue de moi même d'être encore aveugle.
Lumière aux teintes de
bad trip. En deuil sans le savoir d'un avant qui ne reviendra plus.
Pourtant pourtant...impossible de tout arrêter sur le moment. À des milliers de miles dans la mer, loin de tous et tout, il ne reste que le choix de continuer la route ensemble et y croire encore. Je suis sceptique, mais amoureuse. Je veux y croire que ça ne arrivera plus jamais. Jamais ça ne se reproduira. Jamais je ne me suis autant trompée. Et au fond de moi je le savais.
Un an d'explosions à répétition dans un ciel serein. En persistant à croire aux excuses sincères.
Ma santé se dégrade. Dérèglements hormonaux. Ça dégringole dans mon coeur et dans mes surrénales. Réveils difficiles, batteries à plat, fuite d'énergie effrayante.
À ceux qui font des comparaisons foireuses entre drogues et amours, aucune drogue ne m'a jamais trahi autant. Aucune drogue ne m'a jamais dit de m'aimer pour me rabaisser plus bas que terre. Aucune drogue ne m'a menacée, insultée, fait mal sous prétexte d'amour.
J'ai posé mes limites. Reannoncées maintes et maintes fois jusqu'à qu'il s'en aille.
Soulagée. Difficile mais nécessaire.
Mais il n'est jamais parti, en me suppliant à 4h du mat de ne pas le laisser à la rue.
Je suis trop gentille sauf envers moi même et je lui ai ouvert la porte.
Puis je me suis cassée.
Là, il faut que je revienne, pour comprendre ce qui est encore vivant dans mes sentiments, si mes plaies se sont cicatrisées avec les kilomètres et le temps. Faut que je revienne pour arrêter d'être l'autruche voyageuse qui m'a pourtant déployé les ailes ces temps-ci.
Et à la place de ça, je mets le cap à nord et je repousse de 24h encore.