Je me souviens d'avoir vu ce film il y a trés trés longtemps, et d'avoir été frappé par la performance d'acteur de Sinatra...Surtout au moment où il pousse sur le piston et qu'on voit ses pupilles rétrécir, impressionnant!
En 1955, “l’Homme au bras d’or”, d’Otto Preminger, est le premier film hollywoodien à montrer la drogue.
C’est le film qui a fait exploser la censure.
La grande question des bigots et des préposés à la moralité publique, alors, était: ce bras d’or, ce fameux bras d’or, se référait-il au métier du
héros (joueur professionnel) ou aux injections de substance illégale dans le creux du coude ? Problème, problème...
En tout cas, le film d’Otto Preminger fit jaser les républicains, les producteurs, les culs-bénits, les bas-de-plafond de la National Legion of Decency, et les énervés du Ku Klux Klan. La décadence de l’Amérique était inéluctable. La drogue à l’écran ? En vérité, la fin des temps était proche.
Reprenons: en 1955, Preminger, réalisateur de renom (il a signé «Laura» en 1944 et «la Rivière sans retour» en 1954), célèbre pour ses colères cataclysmiques, achète les droits du roman de Nelson Algren. Celui-ci est un grand écrivain, plus célèbre aujourd’hui pour son aventure avec Simone de Beauvoir que pour ses livres – ce qui est très injuste.
Preminger a conscience des problèmes qu’il va rencontrer, mais peu importe. Algren, à Hollywood, est mal à l’aise: il quitte son palace, où il est invité par les producteurs, pour s’installer dans un bouge à putes, avec les cafards. «Je m’y sens mieux», dit-il. Là, au bout de quelques jours, il jette l’éponge et s’en va. Un nouveau scénariste, Walter Newman, reprend le script. Lequel est proposé à Marlon Brando – qui ne le lit même pas, trop fatigant. Et à Frank Sinatra, qui se jette dessus. Le sujet – la désintoxication de Frankie Machine, un camé des bas-fonds – ne l’effraie pas. Au contraire.
Depuis 1921, date de l’invention du «code» de moralité de l’industrie cinématographique américaine, les «pratiques non naturelles» (donc la drogue) sont interdites à l’écran. Avant, il y a eu des exceptions: «Opium
Joint» (1894), «The Musketeers of Pig Alley» (1912), «The Mystery of the Leaping Fish» (1916). Mais, depuis 1921, pas un pétard, pas une ligne de
coke, pas une seringue, pas une pipe à
opium.
Otto Preminger, lui, fonce : il filme carrément Sinatra avec une ceinture autour du bras, en train de s’injecter de l’héroïne. Présenté en commission de censure (Hays Office), le film est vivement critiqué: c’est «l’apologie de la drogue». Non, répond le réalisateur, c’est sa condamnation.
La commission balance. Sinatra, qui a surnommé Preminger «Ludwig», tonne: «C’est ridicule!» Preminger, qui a baptisé Sinatra «Anatole», est bien d’accord: «Abrutis !» Ludwig et Anatole font front commun. Finalement, le Hays Office recule: le film est coupé (trente secondes), et les statuts du code sont changés: on laissera passer les films qui mentionnent la drogue, mais, en échange, on interdit ceux qui «blasphèment la loi divine». Drôle de troc, quand même... Seul l’Etat du Maryland interdit totalement «l’Homme au bras d’or».
Le code Hays a vécu : très vite, il va s’émietter. D’«Easy Rider» (1969) à «Pulp Fiction» (1994), en passant par «Panique à Needle Park» (1971) et «French Connection» (1971), la drogue va entrer massivement dans la fiction hollywoodienne. Le reste suivra: les baisers de plus de trois secondes, les lits jumeaux pour les couples (même mariés), les mots «insultants» comme «bloody hell», «Christ !» ou «fuck», les maladies vénériennes, les criminels sympathiques, la cruauté envers les animaux, la «sédition» et le dynamitage des trains seront d’abord tolérés, puis carrément autorisés.
Quant à Preminger, s’il ne fut pas un immense cinéaste, il resta un casseur de tabous: en 1960, il défia les instigateurs de la liste noire de Hollywood et les émules de McCarthy en engageant, officiellement, un scénariste condamné pour communisme. Dalton Trumbo, le plus célèbre des «Hollywood Ten» bannis pour avoir été «rouges», signa le scénario d’«Exodus». Aujourd’hui, les «pratiques non naturelles» (dormir dans le même lit lors de la nuit de noces, avoir une aventure avec un mouton ou bien les deux) sont monnaie courante. La faute à qui, je vous le demande. A «l’Homme au bras d’or». Qui, à sa sortie, le 15 décembre 1955, fit un triomphe.
Source:
http://bibliobs.nouvelobs.com/de-l-ecri … inema.html