Après de nombreux pays d’Europe, la France autorise la vente et la consommation de médicaments dérivés de cette plante, efficaces contre les douleurs liées à certaines maladies.
Addictologue en banlieue parisienne, le docteur Bertrand Lebeau défend les vertus thérapeutiques du
cannabis. Pour notre magazine, il a accepté de poser au milieu de plants de chanvre, chez un malade qui en cultive dans son appartement.
Pendant deux ans, Isabelle Peirog, 45 ans, s’est injecté de la
morphine. Il fallait combattre la vibration douloureuse qui montait de sa jambe gauche.
« Je ne supportais pas les effets secondaires, se souvient cette mère de quatre garçons vivant près de Tours, qui a découvert sa sclérose en plaques en 2009. Je ne tenais plus debout, je vomissais. J’ai perdu 10 kilos en deux ans. »
A bout, Isabelle a trouvé sur le Web une nouvelle thérapie : des gélules artisanales de
cannabis, fournies par une association.
Elle aspire aussi du
cannabis grâce à un
vaporisateur, boîtier électronique qui chauffe la plante pour en libérer les molécules actives.
Les tribunaux plus cléments
Le
cannabis, un médicament ? Etonnant pour un produit d’abord considéré comme un problème de santé publique.
Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), 1,2 million de Français en consomment régulièrement.
Et la loi ne rigole pas avec le pétard. Comptez jusqu’à un an de prison et 3 750 euros d’amende pour consommation de
cannabis, jusqu’à dix ans et 750 000 euros en cas de trafic.
Comment imaginer alors que ce fléau puisse aussi être un remède ? Pourtant, l’idée avance.
Le 19 novembre, le tribunal correctionnel d’Avignon (Vaucluse) a autorisé Marc, atteint d’une maladie rare des vaisseaux sanguins, à continuer le
cannabis.
Si le parquet a fait appel, de plus en plus de consommateurs malades s’en sortent avec des peines minimes.
En avril 2011 à Bourges (Cher), un séropositif arrêté avec 415 grammes d’herbe est relaxé au motif qu’il a « agi sous l’empire d’une force majeure ou d’une contrainte à laquelle il n’a pas pu résister ».
En octobre 2011, un trentenaire atteint de sclérose en plaques est condamné pour la possession de 39 plants, mais dispensé de peine.
« Ces personnes ne devraient pas se retrouver devant une juridiction pénale, c’est un problème de santé, estime Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature. Si un médecin atteste un usage médical adapté à leur état, le magistrat prend acte dans des cas exceptionnels. »
Trois Français sur cinq favorablesD’après la dernière étude de l’OFDT, 61 % des Français se disent aujourd’hui favorables à une autorisation du
cannabis sous certaines conditions, contre 34 % en 1999.
Le
cannabis serait-il en voie de réhabilitation ? Connu depuis le néolithique, le
cannabis sativa (chanvre cultivé) a figuré longtemps dans les armoires à pharmacie françaises avant d’en être exclu en 1953. Mais il revient.
A l’instar de la Californie, la France revoit cette interdiction. En juin, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a signé un décret faisant sauter le verrou qui interdisait l’usage thérapeutique du
cannabis naturel.
Baume, spray, gélules…Dans un appartement de la banlieue parisienne, vingt plants de chanvre poussent sous lumière artificielle dans le cagibi.
« Je croise des variétés pour trouver les hybrides les mieux adaptés à chaque maladie », explique le maître des lieux, qui fabrique des baumes
cannabis et lavande « à appliquer sur des brûlures ou sur les tempes contre les migraines » et de l’huile, à ingérer.
Les malades utilisent aussi le
cannabis en
vaporisateur, en gélules, en décoction, en teinture mère (extrait de plante fraîche à
base d’alcool). Voilà pour le
cannabis illégal.
De l’autre côté, l’industrie pharmaceutique propose du
cannabis sous forme de spray buccal alcoolique (le
Sativex) ou même de fleurs séchées (le Bedrocan), avec des taux garantis de molécules actives.
Les industriels peuvent désormais demander une autorisation de mise sur le marché auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Premier dossier déposé ? Celui du
Sativex, un spray buccal déjà disponible dans 17 pays européens, qui soulage certaines scléroses en plaques.
Le 21 octobre, l’ANSM a indiqué que ce spray devrait obtenir son autorisation « d’ici à la fin de l’année ». Sa commercialisation est annoncée pour 2015.
« Le
cannabis contient des molécules actives, comme le
THC, la plus connue, à l’origine de son effet
psychotrope et addictif. Mais cette plante contient une quarantaine d’autres molécules actives, appelées cannabinoïdes. Elles ont beaucoup moins d’effets négatifs et sont encore plus décontractantes », explique le docteur Alain Rigaud.
Psychiatre et président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, il défend les recherches sur le
cannabis thérapeutique, porteuses d’espoir.
Publiée en octobre, une étude menée à l’université Saint George, à Londres, a déterminé six cannabinoïdes susceptibles de ralentir le développement des cellules cancéreuses, voire de les détruire !
« Le
cannabis peut servir contre les douleurs musculaires en cas de sclérose en plaques, redonner l’appétit aux séropositifs, lutter contre les nausées et les vomissements lors d’une chimiothérapie. Il aide à mieux supporter les traitements lourds qui accompagnent ces pathologies », affirme le docteur Bertrand Lebeau, addictologue dans un hôpital francilien.
Il est l’un des rares médecins français à défendre publiquement les vertus du
cannabis, alors que la plupart de ses confrères restent encore prudents, voire franchement sceptiques, sur le sujet.
Entendons-nous bien : ce n’est pas le
joint, cette
cigarette artisanale mêlant
tabac et
cannabis, que certaines blouses blanches défendent, mais l’idée de faire entrer des molécules de
cannabis dans des médicaments.
Comme aujourd’hui le
pavot. Ce dernier, qui peut donner des drogues comme l’héroïne ou l’opium, est cultivé sur 12 000 hectares en France pour produire la
morphine utilisée dans nos hôpitaux.
Système D avant l’officialisationEn attendant les médicaments officiels, l’heure est à la débrouille pour les malades français.
Qu’ils le prennent en baume artisanal, avec un
vaporisateur, en gélules ou bien souvent – parce que c’est la méthode la plus simple – sous forme de
joint, ils sont tous confrontés au problème de l’approvisionnement.
Pour Isabelle, atteinte de sclérose en plaques, c’est son mari Thierry qui s’est dévoué. Ce plombier a rejoint un
Cannabis Social Club, un groupe d’une douzaine de copains qui cultivent leurs plants dans un lieu secret.
La production est répartie entre les membres, qui s’interdisent de la revendre. L’idée de ces clubs – six d’entre eux se sont dénoncés début 2013 pour attirer l’attention des médias et ouvrir le débat – est de couper l’herbe sous le pied des trafiquants.
Autre approche, l’association Principes actifs dispense des conseils horticoles aux malades qui souhaitent cultiver les plantes dont ils ont besoin.
D’autres multiplient les allers-retours pour se ravitailler dans les coffee shopsd’Amsterdam (autorisés à vendre du
cannabis), ou directement dans des pharmacies néerlandaises.
« Quelques médecins français rédigent des ordonnances de Bedrocan, un médicament autorisé aux Pays-Bas, précise Sébastien Béguerie, 29 ans, co-fondateur de l’Union francophone pour les cannabinoïdes en médecine. Cela ne sert à rien ici, mais ces ordonnances françaises sont acceptées par les pharmacies de là -bas. »
Les militants voudraient aller plus loin
Mais tout le monde n’a pas les moyens de faire pousser ou d’aller à l’étranger. Restent les dealers.
« Sans eux, je ne sais pas comment j’aurais fait », reconnaît Yann Le Coz, 40 ans, qui achète 40 grammes de résine de
cannabis par mois.
« Je prenais des régulateurs d’humeur qui me mettaient au ralenti », se souvient ce Francilien diagnostiqué maniaco-dépressif, qui a remplacé ses médicaments par du
cannabis.
« J’ai mis dix ans à trouver le bon rythme, le bon dosage, le bon produit », raconte Yann, qui fume uniquement le soir : trois
joints pour s’endormir.
L’arrivée du
Sativex changera-t-elle la donne ? Pas sûr. D’abord, parce que son usage sera limité aux malades touchés par la sclérose en plaques.
Quid alors des autres malades ? Certains militants demandent à aller plus loin, en autorisant chacun à cultiver chez soi pour son usage personnel, comme c’est déjà le cas en Espagne.
Mais, signe que le sujet du
cannabis reste explosif, si le décret de Marisol Touraine autorise la fabrication et l’utilisation de médicaments à
base de
cannabis, il reste toujours interdit de faire pousser cette plante sur le sol français.
L’usage thérapeutique progresseVingt-deux pays, dont 17 en Europe, commercialisent le
Sativex, un spray buccal à
base de
cannabis, qui devrait faire son apparition en France en 2015.
Les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suisse, l’Espagne, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Italie et la République tchèque autorisent, avec différentes contraintes, les médicaments à
base de
cannabis.
L’autoproduction – c’est-à -dire la culture, chez soi, de ses propres plants – est possible en Espagne et aux Pays-Bas.
La Californie a été pionnière sur le sujet, ouvrant la voie à cet usage thérapeutique dès 1996, avant d’être rejointe aujourd’hui par une vingtaine d’Etats américains et le Canada.
Le hic ? Dans le système californien, les malades s’approvisionnent dans des dispensaires en produisant un certificat.
Or il est aujourd’hui facile de se faire délivrer ce sésame auprès de médecins peu regardants. De fait, tout le monde peut consommer, même les non malades.
Source :
http://www.leparisien.fr/magazine/grand … 358115.php