A l'origine de l'héroïne et de la cocaïneLes laboratoires et la mondialisationJ’ai souvent rêvé de vivre au début du siècle dernier, avant la prohibition. Pour ceux qui voudraient savoir quelle fut l’histoire des drogues modernes. Lisez comment l’Occident s’est inventé une relation spéciale aux substances psychoactives. En plusieurs fois c'est long! Mais le minimum à savoir...
Il y a un avant et un après le Harrisson Act, 1914, la loi américaine qui interdit l’usage «non médical» de
cocaïne et d’héroïne (et
opiacés) et va influencer la législation internationale.
La politique mondiale sur les substances comme le
tabac, l’alcool, ainsi que sur les
psychotropes et produits pharmaceutiques, a moins à voir avec le problème de santé publique, qu’avec des visées commerciales, et même impérialistes des Etats.
Au XIXème siècle, la pharmacie fait des pas de géants. L’opium est connu depuis très longtemps et surtout comme remède (ou poison), mais le fait d’identifier ses alcaloïdes est une innovation. Une révolution pourrions nous dire.
Dès 1804, la
morphine est isolée. Mais il faut attendre l’arrivée, en 1850, de la seringue de Pravaz, du nom de son inventeur, pas dépravé, qui permet de lui donner sa pleine efficacité, grâce à son aiguille trouée, avec l’utilisation, poire ou piston, qu’on lui connaît.
Durant la guerre de sécession elle trouve son utilisation a grande échelle. Tout à coup les cris cessent dans les hôpitaux de campagne, où l’on ampute à tour de bras (si je peux me permettre).
D’un autre côté des états du sud ont déjà, sous l’impulsion de pasteurs et de ligues de femmes vertueuses, décrété l’interdiction de l’alcool, 12 états sont «dry», secs.
Mais la
morphine, excellent anti-douleur, fabriquée aux USA (il y a les champs de
pavot du Sinaloa au
Mexique), va faire parler d’elle pour «la maladie du soldat», qui arrive par ce biais dans les gazettes, la célèbre morphinomanie.
En effet, certains, dix pour cent à peu près, restent accrochés à leur traitement et le prolongent. C’est légal. Comme maintenant, mais sans ordonnance.
On ouvre, en Suisse, les premières cures, pour les nantis, ex-coloniaux, poètes maudits, originaux.
Puis se développent des usages moins distingués, on parle de fléau. en Allemagne, on cherche à créer un «remède à la morphinomanie». Car celle-ci commence à grandir aussi dans les quartiers interlopes de Hambourg ou de Paris. La ville lumière où l’opiomanie, en 1900, dans ses deux cents fumeries indochinoises, s’épanouit.
En métropole on interdit, on taxe, on vend, et dans les colonies on produit et s’enrichit. C’est la Régie française du
tabac, du kif et de l’opium. Joli monopole, destiné, surtout, à vendre aux indigènes, la production d’autres indigènes. Technique mise au poin(g) par les Anglais, qui produisent l’opium en Inde, par centaines de tonnes, et le vendent en Chine. Malgré le refus des autorités, ce qui entraînera la première guerre pour le commerce mondial, la (les) guerres de l’opium. Substance peu utilisée par les Chinois, autrefois, elle est introduite par la perfide Albion, pour le pognon.
La Chine est maintenant face à un énorme problème, qu’elle va tenter de régler par la force. La consommation d’opium ronge la société.
Entre les boulets de canon, de quelque navires anglais, faisant plier un empire millénaire, et le chef redouté de la police de Shangaï, qui organise des autodafés de pipes, enferme les opiomanes, la guerre contre l’Angleterre impériale est perdue. Et le cachet de sa majesté sur les paquets, les boules d’or noir, de rouler à nouveau sur les bateaux, débarquant sur les quais Honk-Kong les songes d’un peuple esclave, prisonnier du «libre» échange.
Pour les Britanniques il ne s’agit que de commerce et de pouvoir. Nous sommes au milieu du 19ème siècle.
Revenons aux laboratoires européens quelques trente ans après. Un chimiste, le même jour, découvre le procédé pour faire du diacétylmorphine, et celui de l’aspirine. La dernière, pense t-il, n’a pas d’avenir (!), quand au premier, il succombe a ses charmes, en chante les louanges, c’est tout simplement : l’héroïne.
Heroïsh en allemand «énergique» voir héroïque. Tel est le nom commercial que lui donne la firme Bayer, toujours l’une des plus grosses multinationales, de nos jours, comme Coca-Cola d’ailleurs…
L’héroïne est préconisée pour soigner la morphinomanie. Garanti sans dépendance ni accoutumance, le médicament idéal. Effectivement les morphinomanes se trouvent mieux, on les comprend. Ils ignorent à l’époque, étrangement, le fait que cette
héroïne, injectée, se transforme en
morphine en quelque secondes. Certes les patients, clients et honnêtes-gens ne lâcheraient plus le diamorphine pour la
morphine, qui doit paraître bien terne à côté. Surtout quand des petits malins eurent l’idée de piquer dans la veine.
L’héroïne est un remède à tout, véritable fiole miracle des colporteurs de l’ouest, comme dans Lucky Luke Pour le sommeil, l’énergie, la toux, la fièvre et la mélancolie, le tonus, l’anxiété, le dos, l’anus et plus. C’est pas faux, et c’est le meilleur antalgique, on continue à l’utiliser dans certains pays, comme...le Royaume Uni. Remède pour tous, les femmes pendant leur règles, les travailleurs pour le labeur, les enfants pour qu’ils dorment. Les ouvriers avaient accès pour moins cher que l’alcool à des drogues bientôt prohibées. Pour l’instant, largement consommées, malgré des accidents sur des enfants avec les
opiacés (qui eurent lieu aussi récemment, avant le bouchon sécurité des fioles de métha), on en voit la publicité et en vend à la pharmacie ou à domicile.
Pour consommer il y a toute sorte d’objets, porte-sniffettes, étuis à fléchette, cachettes ingénieuses. Certaines gardent sur elles des seringues prêtes à l’emploi, les femmes bien nées vont se repoudrer le nez.
A Paname, dans les années 1900, puis 1920, plus ou moins prohibée mais sous la responsabilité de la corrompue brigade moeurs, la
came était injectée par les femmes du monde ou d’ailleurs, à travers les jupons. Et mille cachettes et boites à tirettes se vendaient à la sauvette avec les produits. Les peines étaient légères au début.
Quand le célèbre gangster, Ben ‘Bugsy’ Siegel, sera assassiné dans sa villa à LA, on retrouvera une pompe en or pur, avec ses initiales.
La
cocaïne est aussi un fruit de ce siècle de révolutions qui inventa à la fois la pharmacie moderne, la psychanalyse et la toxicomanie.
On a isolé la
cocaïne et pu fabriquer, à
base des feuilles des Andes, un sel pur, injectable.
Freud en fit l’éloge, dans son premier livre, on trouve dans sa correspondance des preuves de son propre usage. «je suis l’homme (ivre de désir ou un truc du genre), fort qui a de la
cocaïne dans le corps...». Vigueur, énergie et sens décuplés. Cela plaira à certains aviateurs de la grande guerre.
Pour l’instant on a déjà le problème du
sevrage des morphinomanes et héroïnomanes plutôt aisés, même si les prix des drogues sont ridicules, ceux des cures sont prohibitifs. Ce sont tous, soit des militaires ou dignitaires ayant connu aux colonies les délices du bambou ou du chandoo, soit des médecins, pharmaciens et aussi poètes et hashishins plus un, tel Quincey (Confessions d’un mangeur d’opium).
Le meilleur ami de Sigmund vient se faire soigner chez lui, à Vienne. Accroché à la
morphine, son désormais thérapeute lui prescrit des injections (massives pour nous) de
cocaïne.
Mais, le patient étant morphinomane, les effets sont renforcés par la potentialisation. Et surtout, impossible de baisser la
morphine dans ces conditions, et pourtant ils tentent! Le gars est dans un piège il ne peut ni arrêter, ni continuer, il ne ne supportera pas.
Il laisse son ami se faire lui même ses injections, de
speed-ball donc..
Bien sur Fleishl maigrit, a des infections, augmente les doses. Et meurt.
Freud ne s’en remettra pas. Il arrête les injections de
cocaïne, essaie de faire disparaître ses écrits (mais il y a le livre qui devait le propulser en haut de l’affiche), il dit :
«J’ai eu tort, mais je pense que si l’injection est à proscrire, la prise peut être bénéfique.»
On a eu notre premier
speed-ball expérimental, jusqu’au bout, que de la qualité pharmaceutique.
Ca fait rêver? Un peu.
A ce moment là, la prohibition n’existe pas sur les produits pharmaceutiques, on se fait envoyer par la poste,
cocaïne et
héroïne sous toutes leurs formes. Pilules, sirop, poudre, sels, solutions, huiles, boissons, bonbons, chewing-gum,
cigarettes à la
morphine ou l’héroïne. Colis discret, livré partout. Et pareil pour la
cocaïne. Pour de vrai!
Un mélange fit la fortune d’un pharmacien, un certain Mariani, un Corse, ayant pignon sur rue, Bd Hausman à Paris. Ce ne sera pas le dernier corse de ce nom à s’illustrer dans ce domaine, de la french à nos jours. L’usage du vin et coca- éthanol, fait miracle. Jusqu’aux tranchées de Verdun.
Il eu l’idée commerciale de faire une boisson à
base de vin et de coca. Le vin Mariani à la coca des Andes est né. Ancêtre du Coca-Cola de Pemberton, seul importateur légal actuel de coca sur le sol américain.
Quand ils décocaïnisent, que font-ils du plus gros stock de
cocaïne pure des Etats-Unis? J’ai du mal à croire qu’ils brûlent autant d’argent tout en dépensant tellement, pour soi-disant offrir un goût incomparable à leurs clients? Moui? D’accord ils sont fous.
Ce vin Mariani eu un succès international, un verre équivalait à un grosse trace, il paraît.
Sur son livre d’or, le pharmacien millionnaire a récolté toutes les signatures prestigieuses de l’époque. Y compris le général Pétain, qui écrit en substance :
Sans votre breuvage (qui donne du courage) nous n’aurions pu gagner la guerre!
La
coke a sauvé la France, rien que ça! Les gaulois aiment les potions magiques, pourtant la coco est bannie (vite dit), sous cette forme pure, car allemande.
Je ne sais si M Mariani a reçu la légion d’honneur, mais c’est très possible.
Quelques années plus tard, tous ces produits seront prohibés et les Mariani poursuivis (sauf un député empêcheur de danser en rond). Ainsi que les consommateurs risquant des peines de prison. Jusqu’à a loi de 1970, qui fait de la France la championne de la prohibition en Europe. Avec un bilan, c’est rien de le dire, honteux.
Voilà comment, avant la prohibition, la toxicomanie est arrivée, la douleur domptée et la guerre gagnée, avec beaucoup de billets verts à la clef.
Car de l’Europe où le problème est encore mondain, mais commercialement stratégique, à l’Amérique ou l’on s’en saisit vite pour des raisons politiques et racistes, les choses vont changer.
Malheureusement, les USA imposent vite leur loi.
Et de faire d’un problème de santé, une guerre mondiale (contre des plantes)!
Georges Washington avait du
cannabis dans son jardin, et des esclaves, le Président était aussi le plus riche du pays. Il est sur chaque billet d’un dollar.
Cent cinquante ans après, encore, et pour longtemps, l’herbe va servir à stigmatiser et criminaliser les noirs. Et aujourd’hui devenir l’or vert d’Etats pourtant historiquement esclavagistes et prohibitionnistes, le vert c’est la couleur du dollar.
Mais c’est une autre histoire.
Sérieux et long, mais bon à savoir.
Mais je reviens dans le même ton qu'avant la prochaine fois, pour des tranches de vie et des road-trips.
Bibliographie (partielle) :
De la
cocaïne, Freud
Cocaïne An Unauthorized Biography, Dominic Streatfield, 2002
Le dragon domestique, A. Copel, C. Bachmann, 1989
L’impossible prohibition, drogues et toxicomanies en France de 1945 à 2017, Alexandre Marchant, 2018