Bien que les abus sexuels auxquels j'ai été exposés étant enfant ne permettent pas à eux-seuls d'expliquer comment je suis devenu un toxicomane aux yeux de la société, ils ont contribué au fait que je me sente profondément anormal pendant longtemps, en fait, jusqu'à ce que je me retrouve en prison, seul avec moi-même. Ils ont donc joué un rôle dans le processus, mais pas le rôle central.
Pour cette raison, et aussi parce que quand les gens se trouvent face à une personne qui a subi des abus, elles se disent que c'est terrible et que ça a dû être un traumatisme, je me suis décidé à écrire quelque chose sur le sujet. En fait, je pense que dire que c'est un traumatisme et que c'est terrible, ça peut être une partie de la réponse pour certaines personnes (je pense en particulier lorsqu'il y a de la violence), mais je pense aussi que c'est une manière simpliste de voir les choses, car il y a plein de mécanismes très fins et souvent indirects qui vont affecter (qui m'ont affecté) le développement de l'enfant abusé, notamment le fait de découvrir sa sexualité beaucoup plus vite que les autres enfants, mais il y a aussi le fait que, physiquement, on peut ressentir du plaisir et qu'on peut ensuite se sentir coupable d'avoir participé à quelque chose de mal, etc. Il faut vous préparer à un récit qui se situe en-dehors de la morale, une analyse froide et distancée des événements, résultat de nombreuses années de réflexion.
Je n'arrive pas à me souvenir l'âge exact que j'avais quand ça a commencé. Je devais avoir, je pense, environ 4 ans. J'étais en vacances chez un homme d'environ 25 ans, de la famille éloignée, que j'adorais parce qu'il jouait tout le temps avec moi, nous faisions des bonhommes de neige l'hiver, etc. Je dormais dans son lit et il m'a "mis la main au paquet". (J'ai encore un souvenir très clair de tout cela, même si j'étais très petit). Au début, ça m'a dérangé et je lui ai demandé ce qu'il faisait. Et il m'a dit "tu verras, c'est agréable". Comme je l'appréciais beaucoup et que je faisais confiance à l'adulte qu'il était, je me suis laissé faire. (Il n'a jamais été plus loin que des attouchements et fellations, mais il me faisait lui faire la même chose...). J'ai ressenti du plaisir tout en étant conscient de participer à quelque chose de mal (dans le sens de réprouvé moralement dans la société). Très troublant et très déstabilisant comme mélange d'émotions pour un enfant.
Ma mère avait remarqué que j'étais toujours relativement excité (dans le sens ingérable, et boule d'énergie) avant et après que j'allais en vacances chez cette personne, mais j'ai continué à y aller plusieurs fois par an, jusque vers l'âge de peut-être 7 ou 8 ans, (là , ma mère m'a dit après coup que ça intéressait moins cette personne de m'accueillir pour les vacances...). En fait, au quotidien, j'étais déjà un peu comme ça, parce que je me sentais différent des autres, mal dans ma peau, mais quand j'allais chez lui, c'était encore un cran au-dessus.
Cette personne m'a fait découvrir ma sexualité beaucoup trop vite et j'en redemandais, c'est ça aussi qui a été compliqué à accepter pour moi. C'est que ça me plaisait parce que je ressentais du plaisir physique. J'ai reproduit cela avec d'autres enfants de la famille, entre enfants, il y a eu donc aussi un phénomène de reproduction de tout cela entre nous, les enfants (parmi eux, certains avaient aussi été abusés par cette personne). Tout ça a été très difficile à assumer...
Je l'ai déjà évoqué dans mon post précédent, le fait de découvrir ma sexualité beaucoup trop vite m'a aussi fait rechercher trop vite des relations amoureuses empreintes de sexualité avec les filles. Je me prenais des râteaux continuellement et j'en suis venu à perdre complètement confiance en mes capacités à séduire une fille, au point de d'en venir à penser que je n'étais pas aimable (dans le sens où je pensais qu'on ne pouvait pas m'aimer). J'en suis arrivé à avoir beaucoup de difficultés à parler avec des femmes et encore plus à en aborder que je ne connaissais pas. C'est possible que je me sois fait draguer et que, tellement convaincu qu'aucune femme ne s'intéressait à moi, je ne l'aie même pas remarquer... A posteriori, je dirais que c'est certainement le cas (en repensant à certaines situations).
J'ai connu ma première copine en after, dans un club, à Bern, durant la phase dite de "réinsertion" de ma première thérapie résidentielle. Si ça a marché, c'est certainement que je n'ai rien eu à faire. D'abord, c'est une de ses copines qui m'a approché et qui a commencé à me draguer de manière explicite. Ensuite, elle est venu et m'a mis la main aux couilles. C'est comme ça que ça a commencé. Avec elle, j'ai pu expérimenter pour la première fois la sexualité avec une femme, à l'âge de 21 ans, si je me souviens bien, ou tout juste pas. Je l'aimais beaucoup, mais je n'étais pas amoureux. Elle m'a aidé à prendre confiance en moi. Quand je lui ai expliqué mon parcours, elle a été étonnée et elle m'a dit que "je savais tout" (j'avais déjà regardé des films de culs quand même...). Cela m'a regonflé à bloc.
Pendant plusieurs mois, je passais mes week-ends, pour ma fin de thérapie, à Bern, où, avec ma copine on alternait afters et baise (nous n'étions jamais fatigués
). Au bout d'un moment, j'ai compris qu'elle se prostituait. Parfois j'entendais son mac lui parler au téléphone et lui demander sur un ton agressif si elle était encore avec ce "gringo"... Elle m'appelait son "bandito" (elle était brésilienne). Un jour, elle est tombée en ceinte. Je ne sais pas s'il était de moi ou non, mais ça m'a troublé pendant longtemps. C'est possible qu'au bout d'un moment elle ait été amoureuse de moi, parce qu'elle essayait de me tester pour voir si je l'étais. Un jour, elle m'a largué et elle est partie avec quelqu'un d'autre. Après cette expérience, mes rapports avec les femmes ont été beaucoup plus faciles, mais j'ai continué à avoir de la peine à draguer en parlant... (en dansant c'était plus facile, mais là , ça fait plus de 13 ans que je n'ai plus dragué).
Un autre impact du fait que j'ai découvert ma sexualité beaucoup trop tôt, dans un cadre transgressif réside dans le fait que je n'arrive plus vraiment à ressentir un vrai orgasme depuis que je suis adulte: j'éjacule, mais je peux continuer un moment sans problème. Rien à voir avec les orgasmes que je ressentais étant enfant, au tout début que je découvrais ma sexualité, où mon engin était devenu tellement sensible que je pouvais à peine le toucher quand j'allais pisser... Par contre, pour moi c'est vraiment devenu faire l'amour, dans le sens de faire un "gros calinou", mais je m'applique pour celle à qui tout cela est destiné prenne son pied. En fait, je prends mon pied sans réel orgasme (une éjaculation qui ressemble plus à quelque chose de mécanique et qui ne pose aucun problème pour poursuivre l'acte un moment...). C'est assez troublant en fait, mais avec toutes (3... ; ) ) les femmes avec qui j'ai eu des relations sexuelles ça s'est passé comme ça. Je pense que cette partie de moi (celle des "vrais" orgasmes) est morte, définitivement. Mais en fait je m'en fous, parce que j'éprouve quand même du plaisir quand je fais l'amour. Le désir n'a pas été tué non plus: j'ai régulièrement très envie de faire l'amour. Donc, je vis très bien comme ça, mais je pense que c'est un aspect dont il faut parler et qu'il faut prendre en compte dans l'analyse.
Voilà , inutile d'entrer dans des détails qui n'apporteraient rien à la réflexion. Je ne cherche pas non plus à être plaint ou à trouver du soutien, parce que j'ai fait mon chemin par rapport à ça et aujourd'hui, j'arrive à en parler de manière plutôt détachée. Mais je voulais montrer que, en tout cas dans mon cas, penser en termes de traumatisme pour comprendre l'impact qu'ont eu ces abus sexuels sur ma personne ne permettent pas d'aller bien loin. C'est très fin, très complexe, il y a plein de mécanismes indirects, beaucoup plus sournois que quelque chose d'aussi clair qu'un traumatisme qui entrent en jeu. Le traumatisme, pour certaines personnes, c'est fondé, mais il faut aller beaucoup plus loin que ça. Il faut comprendre tous ces effets indirects que les abus peuvent avoir sur la construction de l'enfant. Pour réellement comprendre, il faut se distancer, aller au-delà de la morale et analyser froidement les faits: ça prend beaucoup de temps parce qu'il faut déjà digérer les faits.
A ce propos, pendant longtemps j'ai considéré la personne qui m'a abusé comme la responsable de tous mes malheurs. Quand elle s'est faite attraper par la police pour avoir abusé d'un groupe d'enfants d'un club sportif pour lequel elle travaillait, j'avais 13 ou 14 ans. Quand ma mère est venu m'en parler et qu'elle m'a dit qu'il avait dit que ça c'était aussi passé avec moi, j'ai été terriblement gêné et je n'ai pas voulu en parler. J'ai dit que ça n'avait pas été un problème pour moi et que j'avais pardonné. En fait, je lui en voulais et je m'en voulais pour tout ce qui s'était passé, pour le fait que nous l'avions aussi fait entre enfants de la famille etc. Pendant une bonne partie de mon adolescence j'écrivais des poèmes où il était question de mon innocence et de mon enfance volées...
Voilà , il me semble avoir dit le principal. Si quelque chose me vient à l'esprit, je l'ajouterai.
Il me vient encore quelque chose: après que cette personne ait été arrêtée et que ça se soit su dans la famille, après sa sortie de prison (peine raccourcie parce qu'elle a accepté de suivre une thérapie), cette personne a continué à être invitée à la maison pour les repas de famille, etc. Sur le moment, alors que je n'étais déjà pas bien du tout dans ma peau, je me suis vraiment dit que j'étais moins important aux yeux de mes parents que la cohésion de la famille (au sens large). Plus tard, quand j'étais en thérapie, je l'ai dit à mes parents et mon père à exclu cette personne de notre domicile, mais ça n'était pas ce que j'attendais: c'était beaucoup trop tard pour que ça ait du sens...