Texte écris à chaud, entre rêve (décharge de
dopamine) et cauchemar (descente).
J'ai été jongleur d'
opiacés, d'
opioïdes. J'ai kiffé, surkiffé. En retour, ils m'ont aimé, suraimé. Plus que n'importe quel être ne m'a aimé jusqu'alors. Oui, c'est une triste vérité.
Notre histoire d' amour a connu des hauts et des bas. Parfois, c'était un rêve réel ; parfois, c'était un cauchemar réel. Parfois, j'étais le charmeur de serpents ; parfois, ils étaient charmeurs du serpent. Mais... à force de jouer au dominant et au dominé, on en vient à oublier qui est le dominant et qui est le dominé. A vrai dire, on ne sait même plus ce que signifie la domination, si tant est qu'on l'ait su un jour...
Leur abandon a été une nécessité. D'abord voulu par l'État avec l'interdiction de la vente libre de la
codéine. Ensuite voulu par la société avec l'impossibilité de me fournir en
rabla. Enfin voulu par moi-même, dans un élan vitaliste si j'ose dire. Dans un effort de changer de vie, un effort qui a payé. Je crois. Je pense.
Oui. Moi, le charmeur de serpent devenu serpent charmé. Je me suis défait de leur charme, de leur emprise. Et j'en suis très fier. Aujourd'hui, seul le
kratom perdure dans ma vie. D'un côté, il est jovial et coloré. De l'autre, il est âcre et aigri. On a tous nos défauts, m'a-t-on dit. Rouge, blanc, vert et or, pourtant tous sont verts. C'est leur commun uniforme de guerre. ils obéissent tous au même empire. Ce sont les soldats qui s'affrontent à mes côtés dans certains combats dans la vie. Car oui, maintenant je mène des combats dans la vie, et non plus des combats contre la vie. Enfin, c'est ce que je croyais il n'y a pas si longtemps. Aujourd'hui, je crois surtout que le rêve et le cauchemar sont des cycles de la vie humaine. Je crois qu'ils constituent une forme d'éternel retour propre à chaque être en ce bas monde. Chacun a le sien. Je commence à connaître le mien.
Retour à la case départ. J'ai trouvé pire que mes précédents dompteurs
opiacés. Oui, j'ai trouvé pire. Ou peut-être que j'ai trouvé mieux. Ou peut-être que j'ai trouvé pire et mieux. Parfois il m'arrive de mener des combats non plus dans la vie ni contre la vie, mais contre la mort.
Mort imaginaire, fantasque, onirique, cauchemardesque, va-t-en savoir! Toujours est-il qu'il s'agit bien d'un combat contre la mort, contre une mort. Certains le savent aussi bien que moi, peut-être même le savent-ils mieux que moi, les
descentes de
cocaïne sont tellement hypnotisantes que l'imagination prend parfois le dessus sur la réalité, et le cauchemar d'une mort lente se transforme vite en réalité d'une mort subite.
Oui, j'ai trouvé pire et mieux que mes précédents dompteurs. Aujourd'hui, c'est à toi que je m'adresse, chère
cocaïne. Excellente charmeuse de serpents, s'il en est. Tu me fais "prendre mes rêves pour des réalités", comme disent les indolents. L'afflux massif de
dopamine, mama mia, ô ça non maman tu ne connaîtras pas, mais moi, oui, je connais. Le rêve devenu réalité, quoi.
Mais... Ne parlons pas trop vite. Car le cauchemar n'est autre que la face cachée du rêve. C'en est même parfois la clé de voûte. Ce marionnettiste de la conscience nous fait croire de belles choses... pour rendre celles qui suivront plus horribles qu'elles ne l'auraient été autrement. Marionnettiste, vicelard que tu es!
Oui, allons-y. Parlons maintenant du revers de la médaille, dame
cocaïne. Celui dont tu ne m'as jamais osé me parler. Et qui pourtant me ronge terriblement.
Eh bien, chère paranoïa, c'est à toi que je m'adresse maintenant. Là, au moment où j'écris ce texte, tu me tiens fermement dans tes serres acérées, tel un aigle affamé. Tu me fais survoler le vaste empire de ma conscience. De là-haut, je prends mes cauchemars pour des réalités.
Ah! Bordel. Mon cœur bat dans ma poitrine. Mais non, il hurle, il fulmine même. Je l'entends, je le vois. Ne l'entendez-vous donc pas? Ne le voyez-vous donc pas? Eh bien, je vous encourage à prêter davantage attention à ce qu'il se passe. Observez avec moi, tendez l'oreille avec moi. Et croyez-moi ou non, mais mon cœur compose une symphonie des enfers.
Il se consume à pe... grand feu, je crois. Il se contorsionne dans tous les sens. On dirait un danseur étoile. Il est dans mes abdominaux, dans mon estomac, dans mes jambes, dans mes poignets, dans ma tête. Le corps tout entier devient l'Opéra de mon cœur. Les organes deviennent le chœur de ce cœur. Le cœur, c'est le maestro et le maelström à la fois.
Il raisonne tellement fort. Plus puissant qu'un écho dans la montagne. Je l'entends partout et nulle part.
Ô chère paranoïa, tu me rends hypocondriaque. Je le sais. Tu le sais. Alors avoue le moi. Avoue le moi, bordel!
Regarde, c'est évident. Mes abdominaux deviennent nerveux et tendus sans raison. Mes poumons succombent sans succomber. Ma main, simplement posée à la surface de ces derniers, fait œuvre de remède miracle. Oui, je ne ressens plus la douleur... Mais l'ai-je déjà seulement ressenti ou bien me le fais-tu croire, chère paranoïa?
Ahah! Vous riez, et vous avez parfaitement raison. Moi aussi, je rie. Je rie de ma mort, à petit feu. Et pourtant je crois mourir, à grand feu. Mais au fond, tout cela n'est qu'une immense mascarade! C'est d'une naïveté sans nom! Et pourtant cette naïveté n'est-elle pas ma réalité au moment où j'écris ces lignes?
Demain, tu es loin. Demain, dame paranoïa sera transfigurée en une autre dame de malheur, la très chère culpabilité que je connais très bien aussi, un peu trop même. Oui, moi, l'autodestructeur à temps partiel, comme elle se complaît à me surnommer.
Mais ne parlons pas de demain, parlons d'aujourd'hui.
Ca y est. Il arrive. Je le ressens. Ne le sentez-vous pas pointer le bout de son nez? Si. Si! Cet ultime sentiment de déception, tout le monde le connait. Usager ou non. Souvenez-vous, lorsque vous étiez gosse. Lorsque vous portiez une foi naïve mais impérieuse en une chose d'une valeur toute particulière à vos yeux... Une glace, un chocolat, la venue d'un camarade, une partie de football etc. Eh bien, maintenant souvenez-vous de la peine ressentie lorsque vous réalisiez que cette chose tant chérie n'adviendrait finalement jamais. Précisément, c'est tout juste ce que je viens de ressentir. Moi, ou ma conscience, ou mon cerveau peut-être, qu'importe. Je pensais que la charge de
dopamine provoquée par dame
cocaïne allait durer pour l'éternité... Non, non. Pas du tout. Ridicule et enfantin, n'est-ce pas? Et là, c'est l'annonce qui vient sonner le glas du coup de massue tant redouté.
Ce coup de massue, c'est un
casus belli contre moi-même. Formule débile, en toute objectivité. Mais riche de sens, pour l'autodestructeur que je suis.
Quand l'inspiration meurt aussi vite qu'elle est née dans mon âme seulement quelques minutes auparavant, et que par là-même, la paranoïa prend le pas sur tout le reste, alors la guerre est déclarée.
L'adversaire porte un nom simple et bien connu de tous. C'est la
descente. Au moment où je vous écris, plusieurs choix s'offrent à moi. Succomber à l'adversaire en m'enfilant une énième ligne? Envoyer mes troupes de
benzodiazépines et de
kratom? Laisser couler? Mais laisser couler, cela reviendrait à me noyer. La
descente, si je ne la combats pas, me flingue le cerveau. Elle fait danser le stress, les angoisses, la paranoïa et l'anxiété dans ma conscience pendant des dizaines de minutes qui semblent être une éternité...
Je vous laisse deviner quelle solution je vais choisir.
Me voici détendu.
Plateau agréable?
Descente amortie par mes soldats? Je ne sais pas. Je ne sais plus rien, ou presque. Je suis détendu, et ça j'en suis certain. J'ai chaud et soif, terriblement chaud et soif. Pourtant, j'ai la crève et j'avais froid. J'avais trois pulls tout à l'heure. Maintenant, j'ai un T-shirt effiloché. La fenêtre est ouverte. La pluie bat son plein, fût-elle une mer. La fièvre me torture elle aussi.
Vie de merde, quand j'y pense. Prendre de la
cocaïne, en étant malade de surcroît. Juste avant Noël. Quel bouffon je fais. Et si je faisais une OD juste avant les fêtes, les pauvres... Pense à eux, un peu! T'es un putain d'égoïste, bordel. Et oui, j'en tire un sourire. Car au pire, ils retrouveront leurs cadeaux de Noël chez moi. Et ce seront les plus beaux car les derniers. Non, non arrête tes conneries. Arrête ce mélodrame. Ca devrait aller, en tout cas pour aujourd'hui.
Pour aujourd'hui, oui. Mais pour demain, non. Et pour la suite, je n'ose imaginer. Car le cycle du rêve au cauchemar est pour moi un éternel retour. Un tour dans un four, et le tour est joué. Très mauvais jeu de mot. C'est le temps de vous quitter.
Ici s'achèvent mes billevesées cocaïnées,
Au plaisir.