Bonne année à tous!
Comment s'est passé votre réveillon? Bien, j'espère.
Le mien a été incroyable. Je suis allé au théâtre. Puis au restaurant. Et enfin, à l'Opéra. Eh oui. La même soirée. Totalement imprévu. Je pensais que nous serions deux. Au final j'étais seul. Parfaitement seul.
Le plus étonnant? Tout c'est passé chez moi. Dans mon taudis et dans ma tête. Si c'est pas beau la vie...
31 Décembre 2018
Vingt-et-une heures.Des voix se perdent. Des gens se trouvent. L'homme, animal grégaire, m'a-t-on dit. Et pourtant, la solitude n'est-elle pas une nécessité de ma vie?
Moi, l'archétype du citadin au vingt-et-unième siècle. Toujours en contact avec les autres. Toujours quelque part. Je suis à droite ou à gauche. Parfois, à droite et à gauche. Mais aujourd'hui est un jour tout particulier. Aujourd'hui je suis nulle part.
Pourquoi? Mieux vaut ne pas savoir. Oui. Si seulement on savait ce qu'il se passe à l'intérieur de soi. On filerait. On fuirait. Mon fardeau, invisible et indicible pour quiconque autre que moi.
De toute façon chacun porte son propre fardeau. Le fardeau que je porte vaut bien celui de mon voisin, fût-il le plus heureux sur terre. Et quand bien même son fardeau serait plus léger que le mien, pourrais-je réellement le troquer? Non. Je ne pense pas.
On ne troque pas son fardeau comme l'on troquerait un vulgaire légume d'avec une poignée de fruits secs. Et ce pour une bonne et simple raison : le fardeau est en moi.
Pire, il
est moi. Oui. Au même titre que n'importe quel autre sentiment. Il constitue mon existence à part entière. Et il vaut bien son pesant d'or. Autrement pourquoi mon esprit le laisserait-il reclus dans les tréfonds de ma conscience?
Mon fardeau? La solitude. Ce soir je vais la dénuder. La dompter. La diviniser.
Oui. transfigurer ce diable qu'est la solitude en un ange. Voici ma mission. Je visualise mon esprit comme un édifice religieux dont la clé de voûte serait l'enfer, et la porte de sortie un paradis en devenir.
Une quête presque métaphysique que les psychologues mépriseraient au plus haut point. Un psychologisme, diraient-ils. M'en fouts. Cette quête me tient à cœur.
Vingt-et-une heures quinzeJe les vois d'ici. Du haut de mon balcon. Les guirlandes de Noël prennent une toute autre allure. Elles brillent différemment. Elles annoncent les festivités. Les fêtards s'embrasent dans la ville vieille. Les fumées s'embrassent dans la ruelle. Suis-je chez moi où à la sortie d'une usine? En fait, je crois bien que je suis nulle part.
Une troupe en folie débarque. Les troubadours brisent une guirlande. Ca dégénère.
Le cap de l'invective est passé. Toujours, ils hurlent. Ils se déchainent. Leurs voies lancinantes donnent à la ville une saveur acide. Les rues se noient dans la mer humaine. Les mers humaines se noient dans l'éthanol. L'exubérance des fêtards ne me dégoute plus, elle me fascine.
Une autre bande de jeunes, saouls, se faufilent à vive allure dans la ruelle adjacente. Ils chantent. On dirait des oiseaux qui battent de l'aile. Ils passent d'une branche à une autre. Ou ils passent d'une rue à l'autre. Peu importe, les cris s'estompent. La beuverie rend les citadins plus proches de la nature. Les rues redeviennent les forêts d'antan. En tout cas, dans mon imagination.
Les hommes aboient, aussi. Et ils déversent leurs tripes non loin de chez moi. Des vapeurs de houblon filent dans les vents. Le balcon prend vite des airs de cave à vins. La suave odeur de l'herbe, plus proche. Elle transforme finalement mon balcon en jardin d'Éden.
Jardin d'Éden ou jardin déchu? Voyez ce persil presque mort. Celui de ma voisine. Je le fixe. Là, en face.
Ce salopiaud de persil. Oui. Désolé mais comprenez-moi : au printemps dernier, il me filait des allergies. Maudit sois-tu, persil. Sans blague. Tu es là, le 31 Décembre de la même année. Tu es là, en vie. Tu pointes vers le ciel. Certes, tu jaunis. Certes, tu perds de ta carrure. Mais tu résistes. Dans ton pot maléfique, tu es toujours en vie. C'est de la magie noire.
Tu m'en veux. Je le sais. Mais qu'ai-je fait pour que tu m'en veuilles autant? Un jour, je saurai. Sois en certain.
Vingt-deux heures La ruelle est devenue un théâtre éphémère. Les cris de l'ivresse traduisent le bonheur d'une "bonne soirée sa mère", comme ils s'amusent à le répéter. Ils m'inspirent pourtant de la tristesse. Oui. De la tristesse. Mais en même temps, je les trouve drôle. Car l'animalité de l'homme prend le dessus sur l'humanité. La nature naît dans la culture. La forêt naît dans la ville. C'est marrant. Triste. Et beau. Une tragicomédie, je crois. Voilà ce à quoi j'assiste.
Dans cette tragicomédie, je vois des ingénus. Conscients ou inconscients, qu'en sais-je?
Je ne suis personne pour eux. Mais ils sont quelqu'un pour moi. Hommes, animaux, acteurs. Qui sont-ils? Je ne sais plus. Ils fusent dans tous les sens et l'
alcool fusèlent leurs corps. Jouissif.
Leurs vies semblent simples. Leurs esprits, frivoles. Leurs âmes, apaisées.
Ils sont là. Ils sont présents. En toute honnêteté. En toute franchise. Dans l'immédiateté. Dans la force de l'instant présent. Ils sont là. Ils festoient en bonne et due forme. Ils oublient leurs problèmes. Ils se laissent aller. Pour une soirée. Une soirée que l'on voudrait éternelle. Que
l'on voudrait éternelle? Non! Qu'
ils voudraient éternelle. Nuance.
Pourquoi suis-je l'un des seuls à refuser de me déguiser pour ce carnaval d'avant l'heure? Pourquoi faut-il que je me torture ainsi?
Je ne sais pas. Je ne saurais jamais, certainement. Toujours est-il que je cherche des réponses.
Vingt-trois heuresOui. Ils fêtent le premier de l'an. On fête le premier de l'an. Moi, je le fête seul.
Oui. Je me retrouve seul en ce jour si important. Cette fille géniale et magnifique. Elle n'a pas daigné me rejoindre. Alors que c'est elle et personne d'autre que je voulais voir. Entendre. Écouter. J'aurais aimé qu'elle parle. Qu'elle parle pendant des heures. L'écouter, c'aurait été le plus cadeau que le destin m'eût offert.
Mais elle a refusé. Et tous mes plans sont tombés à l'eau. Dois-je lui en vouloir? Non. Au contraire. Elle a raison. Je suis tout sauf raison. Je suis passion. Il faut dire que l'on se connait à peine. Et je l'aime déjà. Ou plutôt je crois l'aimer. En réalité je l'idéalise. Et j'aime l'idée que je me fais d'elle. Elle? Déjà elle ne me calcule plus. Pauvre fleur. Tu as raté l'abeille. Il y en aura d'autres, comme on dit. Plus vaillantes et gaillardes, s'il le faut.
Ma vie est bel et bien une tragicomédie. En fait, je n'ai pas besoin de chercher plus loin. Naïf, j'ai cru passer le réveillon avec une personne que je venais tout juste de rencontrer. D'apparence, cela me fait sourire. Mais au fond, cela m'affecte terriblement. Je suis terriblement triste. Terriblement triste de ne pas vivre un réveillon rocambolesque à ses côtés. Ma vision romantique et romanesque de l'amour est souvent considérée comme un aveu de faiblesse, comme une pauvreté de caractère. Ou bien comme un sentiment incommodé et incommodant, déplacé et dépassé. Dépassé par notre temps. D'ailleurs, notre temps je le hais. Je suis né ni dans le bon lieu. Ni dans le bon siècle, il faut croire...
Seul pour le réveillon. Et pourtant rien n'est joué. Il suffirait de descendre les escaliers. De franchir le pas de l'immeuble. D'aborder. De parler. De déconner. De fêter le premier de l'an avec des inconnus.
Il suffirait d'une impulsion. Une impulsion à portée de mains. Une baguette magique sous le coude. Et hop! comme dirait l'autre. Je m'embarquerais dans une formidable soirée. Imprévisible et improbable. Cette soirée serait magique. A n'en pas douter.
Et pourtant je ne veux pas saisir cette baguette magique qui me pend au nez. Elle est tordue. Pas besoin de baguette. Cette fille était magique. Et elle semblait droite dans ses bottes. Mais elle n'est pas là. Tant pis.
Mon univers est magique lui aussi. Il fera l'affaire. Pas besoin d'être à Poudlard quand on est déjà dans le Royaume Sylvestre. Je suis là. Et je veux être là. Seul sur mon balcon. Je n'ai pas envie de bouger. Alors je profite encore un peu du spectacle de la ruelle. Un verre de blanc à la main. Un pur de
weed dans l'autre.
Je passe donc le premier de l'an dans la plus grande des solitudes. Pour changer. Maintenant, je vais essayer de discuter avec cette solitude. Pour la comprendre. Pour me comprendre. J'avais ce besoin. Un besoin que personne ne comprend autour de moi. Est-ce étonnant?
Je ne vais pas tarder à manger. Après le théâtre, place au restaurant. Toujours chez moi. Seul.
Un humble morceau foie gras. Une petite compotée d'oignon. Un verre d'un excellent Sancerre. Une moitié de langouste, marinée par mes soins. Un chocolat issu d'une fabuleuse enseigne suisse dont je tairai le nom. Des bougies. Fraiches. Neuves. Ce soir ce sera raffiné, goûtu. Il faut savoir savourer.
J'idéalise la nourriture. Je l'observe. Elle est laide. Horrible, ignoble même. Elle se donne des airs hautains. Oui, la nourriture me méprise. Elle pense que je suis incapable d'en venir à bout. C'est bien mal me connaître.
Et ses formes sont discontinues. Ses traits, peu naturels. Ses odeurs sont inexistantes, anéanties par l'hiver du frigidaire. Gastronomie. Œnologie. Ces mots sonnent faux, comme Le Figaro. Trop sophistiqués. Où sont les poulardes farcies et la gourdasse d'eau fraiche? Moi, petit amateur de bonne boustifaille et de grands crus. J'aime pourtant manger d'ordinaire. Me voila dégouté.
J'ai tout prévu. Eh bien, je n'aurais pas du. La prévoyance et la planification, soporifiques au possible. Des défauts que les temps modernes appellent qualités. Pour rentabiliser, qu'ils disent. Rentabiliser quoi? Le temps. Oui, rentabiliser le temps pour faire de l'argent. Et l'art de vivre dans tout ça?
Ah, Ils me font bien rire! Des morts-vivants, voilà ce qu'ils sont. Si seulement ils savaient... Que pour apprécier la vie, mieux vaut ne pas gouverner le temps. Car la gouvernance anesthésie tous les plaisirs. Quand tout est spontané, quand tout est imprévu alors on peut dire que la vie devient art et que l'art devient vie.
Bon appétit.
Mardi 1er Janvier 2018Minuit trenteTrêve de conneries. C'est là que tout commence.
Rompre la solitude n'est pas le juste mot. Accompagner la solitude? Voilà qui est mieux.
Des enceintes. Un ordinateur. Allons-y. Je vais sur YouTube. Par le plus grand des hasards on me propose Gainsbourg et Birkin. Des mois. Que dis-je, des siècles que je ne les ai pas écoutés. On va pouvoir discuter. On en a des choses à se dire.
– Je t'aime, je t'aime... Oh je t'aime!
– Moi non plus
Simplicité, banalité. Mais d'un autre côté, pureté et beauté. La voix envoutante de Birkin charme mes oreilles. Celle de Gainsbourg, je ne trouve pas les mots pour la décrire. Je ne saurais en parler tant elle m'éblouit. Je la sens, c'est tout. Elle se suffit à elle-même. Elle dit l'ineffable. Elle révèle la vie.
Pas besoin de fioritures. La simplicité fait œuvre de maître mot. Laisser la voix s'exprimer. Voilà ce qui compte. Sans esbroufe. Sans artifice. La forme suffit. Pas besoin de fond. Ils l'ont compris.
Je l'ai compris. La solitude m'aime. Moi non plus. Merci Serge. Merci Jane.
Que faire? Ainsi va ma vie. Si elle m'aime, peut-être dois-je l'aimer en retour? Et si je l'aime, peut-être m'abandonnera-t-elle? Contre-intuitif. Je sais. C'est con, hein.
Pourtant j'ai déjà connu ce scénario. Avec une fille. La fille. La seule et l'unique. Je l'aimais à sa juste valeur. Elle m'aimait à ma juste valeur. Elle est partie. Je suis parti. Ainsi va ma vie, vous dis-je.
Deux heures Mon apprentissage est un échec. Je n'arrive pas à comprendre la solitude. Ses attentes. Ses envies. Tout est indicible. La solitude n'est pas expressive. La solitude n'est pas charmante ni bonne amante. La solitude n'est pas romantique ni érotique. Pourtant elle me tient compagnie. Et elle veut rester. C'est bien la seule. Tant pis.
Il est temps de changer de registre. Les effets de la
weed s'envolent. Ceux de l'
alcool ne se font même pas connaître. Je n'ai pas l'intention de boire à nouveau. Un plaisir des papilles reste un plaisir des papilles, m'voyez.
La solitude m'emmerde. Tiens. Et si on invitait des potes? Fini le théâtre. Fini le restaurant. Bienvenue à l'Opéra.
Rimsky-Korsavov,
Scheherazade par l'Opéra philharmonique de Vienne. Chef d'orchestre : Valery Gergiev.
Source: Tumblr
J'ai menti. Je ne suis pas seul. Le
DXM est présent. 4mg/kg. Un léger plateau 2, je pense.
Je ris de ma connerie. Ca commence à monter. Au bordel, je vis ou je meurs? Le temps s'efface. Plus besoin de le planifier. Je vole. Je nage. Je marche? Non, je suis assis. Je tente une dissociation corporel d'entrée de jeu. Échec total. Plouf. Je coule.
Les flutistes s'excitent. Mon corps devient comme une marée vivante. Il se tend et se distend abusivement. C'est étrange. Pendant quelques secondes tout redevient normal. Puis tout repart. C'est la folie.
Ma tête est enfermée dans un placard. La musique devient insupportable. Tout se mélange. Puis tout se stabilise. Et je commence à prendre mon pied.
Une remontée de Sancerre dans la gorge.
Plus tard. Je me sens pénard. La fête bat son plein dans mon crâne. J'éteins les quelques bougies restantes. Je ferme les yeux. Ma capacité a créer de faux rêves éveillés est accrue. Je visualise des souvenirs banals auxquels se mélangent d'anciens rêves. Tout un pan de ma mémoire refait surface miraculeusement et compose par la même un nouveau rêve. Authentique.
Incroyable. Tout va a une allure phénoménale. Pourtant le temps n'avance pas. Les couleurs changent aussi vite que la lumière. Mes rêves sont des films d'animation en perpétuel devenir.
Trois heures J'arrive à me concentrer sur ma respiration. A tel point que j'ignore la musique. Pourtant l'Opéra est à son apogée.
J'arrive à recréer des conditions d'existence idylliques. Je suis dans l'Altai. Je suis proche d'une rivière. La terre est plate. L'herbe est verte foncée, presque brune. La brume habite ces lieux. Le froid me pénètre. Des frissons me viennent.
Je suis proche d'un monastère bouddhiste. J'arrive à imaginer les chants dysphoniques des Mongols par dessus la musique qui se diffuse dans mon appartement. C'est incroyable. Je vis dans deux mondes. Le premier dans ma tête. Le second, ailleurs. Loin. Très loin. Je ne sais plus où, d'ailleurs.
Les images meurent, les phrases naissent. Des discours apparaissent dans mon esprit. J'ai noté énormément de choses. Mais tout est brouillon. J'ai l'impression d'avoir découvert la vérité. Mais elle s'est effacée aussi vite qu'elle est apparue. Impossible de relire ce que j'écris. Dommage.
Aujourd'hui je dois décrypter ces messages subliminaux de mon inconscient. Ces énigmes dissociatives. Peut-être que je vais enfin avoir une réponse à la solitude. Peut-être que non. Mais dans tous les cas j'aurais essayé.
Au plaisir.