Première gardav 

Ma cellule mesure environ 4 mètres par 2. Un banc en béton, sur lequel on m’a balancé un matelas pourri et une couverture de survie. Un chiotte à la turque derrière un semblant de muret oblique supposé, je crois, dissimuler mon cul face à la porte vitrée et à la caméra quand je men sers. Des graffiti sur les murs, je passe de longues minutes à les déchiffrer, en me demandant quels outils et surtout quelles matières probablement issues du corps humain ont été utilisés pour les réaliser.

Et surtout, dans ma cellule, un néon et une caméra braqués sur ma gueule H24.

Première expérience de l’enfermement. Au début, je marche souvent sur la longueur disponible, 4 m aller, 4 m retour. Je m'allonge avec mes bras sur mes yeux pour échapper un peu à la lumière. Des cris et des voix résonnent sans cesse. Je me concentre sur mon espace intérieur, sur ma respiration. Je craquerai pas. Même si jai enterré mon mec la veille, suicide ou OD,je ne sais pas. Même si la BAC m’a explosé une vitre dans la figure et qu'il me faudra des jours et des jours pour finir de me débarrasser du verre pilé. Même si je suis depuis toujours vaguement claustrophobe. Même si la lumière décline - je commence à admettre que je passerai la nuit là - à travers les puits de lumière zénithaux qui éclairent la geôle, cette grande pièce qui contient une douzaine de cellules, comme ils l'appellent les keufs. Je ne savais même pas que ce terme avait continué à être utilisé après le 19e siècle. Je pense uniquement à ma respiration, parfois je me récite quelques poèmes ou quelques chansons. J'échange deux ou trois mots, lorsque les trappes à repas sont ouvertes, avec mon voisin de cellule.

Comme mes bras sont en permanence sur mes yeux, ma robe en acrylique me serre horriblement, quelle tenue pour faire de la garde à vue, sérieux! Quand je vois les autres en jean, baskets et sweat à capuche, je suis dégoûtée de mon inconfort de sortie de soirée et de jour de funérailles, je finis par déchirer ma robe avec mes dents aux endroits où elle me serre le plus fort, notamment sous les bras, maintenant on voit le côté de mon sein par moment mais j'en ai pas grand chose à foutre. Je tiendrai bon, je suis forte, enfin non je ne suis pas vraiment forte mais là je comprends qu'il faut que je puise dans mes ressources. Je craquerai pas.

J'ai pas craqué. Empreintes. Photos. Médecin Deux auditions. Réfléchir vite, penser cohérent.Dormir.Comater. Méditer.

Ils finissent pour me laisser sortir, j'ai fait 24h. Je me sens tellement crade après avoir transpiré dans ma robe acrylique, sous ma couverture de survie, après avoir fini par renoncer à éviter de toucher le matelas ou les murs, imprégnés des odeurs d'urine de tous les tox, les deal et les malfrats de la ville (je me considère pas comme supérieure et je sais que quelque part je fais partie de cette fange, que j'y ai ma place et que c'est une conséquence de mes choix face aux deuils qui m'ont foutu un genou puis un coude à terre).

Je retrouve dans un casier mon sac mes clopes mes cartes bancaires ma montre mon briquet, ainsi que tous les accessoires pouvant être dangereux comme la ceinture de ma veste et quon ma confisqués, c'est bon j'allais pas me suicider dans votre geôle pourrie les flicards, et je me casse. 

C'est un matin de décembre et un faible soleil brille, les mots de Brassens me reviennent en tête :  " Par un joli matin d'été (ou d'hiver !), quand le soleil vous chante au cœur, qu'elle est belle la liberté, la liberté." (Heureux qui comme Ulysse à fait un long voyage, Georges Brassens)

Je passe au tribunal dans 4 mois pour consommation et possession de 0,34 G de C avec emballage. Un 0.1 en gros, quoi...

Mention spéciale à mon pote qui a fait un refus d'obtempérer devant la BAC et avec qui le rodéo style course-poursuite qu'il a tenté alors que je l'engueulais de toutes mes forces s'est fini avec les Glocks braqués sur nos front, les menottes, le verre pilé des fenêtres de la voiture qui explosé dans mes yeux et dans ma bouche puis la garde à vue.

Retourner dans la geôle est devenu l'une de mes phobies. Et en même temps,  dépressive et endeuillée, cette expérience de merde je l'ai surmontée.

(Poto, me rappelle quand même pas trop vite pour refaire la fête ! Tu fais partie de ceux avec qui nos potentiels de folie se multiplient,s’exponentialisent... Notre vraie drogue, on la produit nous-mêmes, on est des tox du shoot d'adrénaline, tu le sais et moi aussi, le reste n'est qu’accessoires et chimères. Tu fais partie de ce dont le regard me scrute régulièrement, interrogateur : cap ou pas cap ? Je pense que je te regarde de la même manière. Un jour je trouverai un mot pour décrire les gens comme toi, comme moi, les hypersensibles un peu cramés pour qui l'alcool et les drogues ne sont qu'un pan de notre insatiable curiosité d'expérimenter l'humain et de se positionner dans un monde où nous sommes parfois si inadaptés).