– À la folie, dit-il. À la divine folie. Aux quêtes insensées et aux messies qui pleurent dans le désert. À la mort des tyrans. Et que nos ennemis soient confondus.
Je commençai à porter la coupe à mes lèvres, mais le vieillard n’avait pas encore fini.
– Aux héros, dit-il. Aux héros qui vont chez le coiffeur.
Il vida sa coupe d’un trait.
Et moi aussi.(Endymion)Chaque jour j’en sais moins que la veille.
Il a dit ce soir-là : « le suicide de ton père c’est un meurtre avec préméditation. C’est comme si il vous avait tué toi et tes frères. » Puis il a ajouté : « la mort, il faut l’attendre, c’est tout. » Attendre la fin, avec patience. De la part d’un ancien comme lui, arrivant à ses soixante-sept ans, je n’ai pas été secoué. Mais à cet instant, closer comme je suis, j’ai seulement répliqué que personnellement, de mon point de vue, je n’attends que la fin de la violence. The end of violence. Ça sonne bien. Entre énergie et désespoir je me balance comme sur un fil infini. C’est drôle je trouve, maintenant que j’en ai fini avec les
opioïdes, que je me suis désintoxiqué de la métha et du sub sans comprendre comment j’ai réussi, je me suis souvenu que ce n’est pas le
csapa de Nantes qui m’a fait plonger dans la métha. Je me suis souvenu que je piquais des fioles à mon meilleur pote de l’époque. Juste pour me défoncer. Autant les toutes premières prises de sub bien avant que je sois accro à l’héro me faisait dégueuler tripes et boyaux, autant je me revois planer sur le matelas après un 60mg de métha, bras en croix et fumant clopes sur clopes, tandis que circulait dans l’appart de la
kétamine. Je suis capable de me marrer de tout, tout comme je suis capable de disjoncter émotionnellement à un rappel de souvenir douloureux. Enfant j’avais peur du noir. Alors pour me réconforter j’allais m’allonger aux cotés de mon frère sur le lit superposé. Oui je sais, je vais-je viens je suis imprévisible et j’ai la manie de disserter sur les dissensions du réel et de la vie psychique. Je ne suis pas né fou, j’ai seulement été avec mes trois frangins témoins des violences psychologiques que subissaient ma mère. Son récent AVC, le jour même de mon anniversaire (oui…) a eu au moins le petit mérite de me rapprocher de mon grand frère, qui désormais à pris ma place dans un
csapa de Lyon pour cause d’alcoolisme. Son divorce l’a rendu dingue. J’ai 38 ans, j’aurais dû avoir un enfant, mais mon couple n’aurait jamais pu l’assumer. Cette petite amie de l’époque avorta, et quatre mois plus tard je connaissais la vraie peine de la séparation après trois ans de vie commune. En ces temps là je pensais que je prenais tout par-dessus la jambe, jouant à l’attristé, avec un tas de simagrées qui me paraissaient dérisoires. Je me rends compte aujourd’hui que ça m’a bien plus chamboulé que je l’imaginais. Enfin ce que je veux dire… merde je ne sais même plus ce que je veux dire. Quand j’aime j’abuse, je mate en boucle depuis un mois « Au nom du père » avec Daniel Day-Lewis. Dans mon top trois de mes films favoris de tous les temps. Je ne cherche pas à jouer les mélancoliques, je hais la mélancolie. Je ne pige pas les artistes qui s’attristent volontairement pour créer un truc. La mélancolie c’est un poison, j’aimerais l’expulser de moi comme j’ai expulsé les
cravings de C. Et je me surprends à ricaner dès qu’une tuile me tombe dessus.
Mon esprit là tout de suite vaque à mes premières préoccupations (je ne suis pas un Hanouna qui prétend que la médiocrité a du bon) : on est des millions à chercher la solution. Ne sommes nous pas tous là à rêver de laisser une mémoire posthume positive ? De laisser un héritage bienfaiteur ? D'être reconnus par nos pairs ? D'être respecté pour et par les choix qu'on a su faire ? - et pourtant le seul moyen d'y parvenir, les seuls moyens de nos réussites, restent les outils de l’establishment. Voilà pourquoi la notion de résilience mettra des années à s'engendrer (Aurélien Barreau, qu’un ami écrivain connait bien, doit sérieusement péter les plombs) : combattre le système par le système... là se trouve un nœud ontologique inextricable. Machines et esprits. Corps et exploitations. Obsession de séduction. Le prestige comme finitude. Et pourtant je l'ai vu cette flamme, ce feu sacré jaillir dans les arènes. La démocratie ne sera plus jamais ce qu'elle était. Dorénavant ce seront les bandes, les groupes, les fédérations qui s'affronteront ouvertement dans les agoras. Rien à comparer avec les révolutions d’antan, avec la Convention, les enragés, montagnards, girondins... car malgré nos immenses divergences contemporaines, les infinies différences des fédérés, un socle commun séculaire s'est, je pense, bâti : tous et toutes acceptons, accepterons d'adopter le même point de vue face à l'immense tumulte qui vient. Je n'ai jamais cessé de refaire cette même expérience : le doute de l'instant présent, le désir d'être toujours ailleurs, est l'un des plus grands freins de l'émancipation, de l'autonomie partagée, du réel réel. Et le réel réel rend possible cette magie : la confiance en autrui. Mon père à mis fin à ses jours, mais le soleil continuera de rayonner avec ou sans lui. La VIE c'est jusqu'au bout, quitte à finir à genoux. Né guerrier.
J’avais au final juste envie d’écrire :
Étrange comme chaque jour se ressemble, même labyrinthe et même cerveau paumé – aussi étrange que chaque nuit, où chaque rêve est nouveau et différent.