Aujourd'hui, je vais revenir sur une période de ma vie particulière, une période dont je ne peux pas parler à tout le monde. Si je viens en parler ici, c'est parce que vous, UDs, pouvez comprendre le rôle que la drogue a joué dans ma relation avec mon ami Joe, que je ne peux hélas plus voir aujourd'hui.
En janvier 2017, j'ai arrêté mes études depuis 6 mois, je n'ai plus de contact avec ma famille et n'ai pas de logement fixe depuis 4 mois... et je prends de l'
héroïne depuis 3 mois. Et bien que j'ai un appartement pour 1 semaine à moi tout seul, et un travail de livreur à vélo, je suis au fond du trou.
Le hasard veut que je connaisse Joe depuis quelques mois. On avait passé une nuit ensemble à faire du vélo à travers Toulouse, lui sous
héro, moi à balle de
speed. Mais ça c'était avant. Désormais moi aussi j'ai adopté l'
héroïne comme meilleure amie. Quand je devrai quitter cet appart je sais que je pourrai passer chez Joe, et que même si je suis en galère, il me laissera tirer quelques lattes sur son alu...
Il est sympa Joe, toujours accueillant. Bien que sa piaule ne soit pas plus grande qu'une cellule, il réserve toujours une place confortable à son hôte. Si j'ai pas bouffer depuis longtemps, il a toujours quelque chose de bon à cuisiner. Et c'est pour ça que je le dépanne avec plaisir en retour, quand c'est lui qui galère. Souvent je fais ses courses, et oui je suis livreur!
Les soirées ensemble, on se fait découvrir des musiques (années 70/80 , ou chill), on regarde des films cultes, on parle de la merde dans laquelle va ce monde. Et les jours où je suis en chien, au moment où je m'y attends le moins, il sort de son placard l'aluminium.
Je fais semblant de ne pas remarquer, parce Joe, il préfère qu'on fasse comme si de rien n'était. Il est très pudique, d'ailleurs je n'ai jamais vu son visage en entier : sa longue barbe ne me laisse voir que son regard et son front. On chasse donc le dragon l'un après l'autre. La seule chose qui laisse paraître notre excitation de fumer, c'est ce petit jeu qui consiste à ce qu'il garde la fumée longtemps pendant que j'attends impatiemment qu'il me la souffle en mode "soufflette". Et voir ma tête de tox impatient le fait marrer jusqu'à ce qu'il explose parfois de rire, dispersant la précieuse fumée.
Alors oui, pendant cet hiver, Joe fut un peu la seule joie de vivre qui me restait. Toujours sur mon vélo à travers Toulouse, allant de restaurants en clients (Deliveroo), de cages d'escaliers à l'aéroport (pour dormir), heureusement qu'il y avait de temps en temps la case "chez Joe" pour reprendre espoir. Loin de me tirer vers le bas ou l'addiction, Joe, par ses longs discours et sa lucidité, me rappelait que si je ne changeais rien je finirai "comme lui" dix ans plus tard. Car Joe il y a 10 ans, il avait mon âge, et il était dans la même situation que moi.
Les soirs où je n'avais pas d'autre choix que de dormir dans la cage d'escalier d'un immeuble, je ne me sentais pas complètement seul dans ma mésaventure. Certes l'
héroïne était là pour me rendre cette vie plus acceptable, pour me faire oublier le froid, la dureté du sol sur lequel je dormais, et le regard des gens.. Certes je vivais dans un scaphandre.
Mais à ce moment je dois l'avouer, heureusement que tu étais là, Joe.