Voici un texte de Philémon, modérateur, extrait du fanzine N°5 de Psychoactif. Ce texte montre comment les usagers se sont emparés du numériques pour réguler eux meme les usages, la ventes de drogues. Ou comment mettre en pratique le vielle adage : On est jamais aussi bien servi que par soi même !
Pierre
Fanzine 5 : PUD, numérique et régulation des usagesLe numérique s'est installé dans nos vies, et les PUD (personnes utilisatrices de drogues) se sont saisies collectivement de nouveaux rôles de régulation des drogues que l'Etat a déserté ou réprimé.LES NOUVELLES DROGUES DE SYNTHESELe premier qu'il nous semblait important de mettre en lumière a lieu en partie ici même dans les forums, et touche à la pharmacologie des
NPS (Nouvelles Drogues de Synthèse). Depuis le début des années 2010, on peut suivre l'émergence continue de
NPS dans les forums, avec des témoignages de
PUD qui les expérimentent, partagent des infos utiles pour la
RdR, ou encore des questions posées pour essayer d'en appréhender les effets et les risques avant d'en consommer.
C'est en fait une véritable démarche de science participative à laquelle vous avez peut-être déjà participé qui se construit autour de ces
NPS. Elle a lieu dans les forums de Psychoactif.org, mais aussi dans d'autres forums notamment anglophones consacrés aux drogues et à leur
RdR.
A la "sortie" d'un
NPS, les informations disponibles sur les posologies et les risques associés sont souvent minces, parfois elles émanent même d'un source unique dans un premier temps: de celui qui en fait le commerce.
Ces premières informations sont reprises dans les forums, et mis à la discussion. Elles sont critiquées, modifiées, complétées par les
PUD de plusieurs manières. Tout d'abord en faisant appel à leur expérience: c'est là que les premiers expérimentateurs viennent poster leur
Trip Report, dont on peut noter que la présentation suit un modèle récurrent pour décrire l'expérience, évoquant une méthode scientifique.
Certains
PUD effectuent des recherches dans d'autres forums et dans les publications scientifiques, et partagent ainsi une deuxième source d'information pour "critiquer" ces
NPS, au prisme des publications existantes.
Une troisième source apparaissant dans les échanges est la comparaison avec une substance psychoactive "de réference": ainsi une discussion autour d'un
opioïde émergent verra des comparaisons par rapport à l'
héroïne ou le
fentanyl, à la fois pour essayer d'en "situer" l'expérience d'usage mais aussi pour en évaluer les posologies ou les risques par comparaison: la
RdR sert alors de "principe d'équivalence".
Par contributions successives, c'est une forme d'intelligence collective du web qui se construit progressivement pour "évaluer" ces
NPS, en les qualifiant, les requalifiant, ou parfois en les disqualifiant. Ces circulations s'étalent dans le temps accumulant et affinant ainsi collectivement l'information. L'ensemble de ces échanges précise, affine le profil psychopharmacologique de ces
NPS, c'est à dire construit une pharmacologie de ces produits intégrant les expériences d'usages existantes.
LA REGULATION DES MARKETSParmi les forums par lesquels les usagers se sont octroyés de nouveaux rôles, le forum DREAD accessible par
Tor est remarquable par plusieurs points. Initialement attaché à la
MarketPlace Empire, il aura survécu à la disparition de celle ci (2020) en devenant un forum autonome. C'est un forum géré par des
PUD, qui est devenu une place centrale de la régulation des marchés du
Darknet. Il est à l'origine des dernières mises à jour la Darknetmarkets bible, un guide de bonnes pratiques en sécurité numérique qui se décline en deux versions, pour acheteurs ou vendeurs, remplissant ainsi un rôle prescriptif dans ce domaine.
La plupart des places de marché y ont un canal de communication public pour permettre aux usagers de venir les questionner, et il en est de même pour de nombreux vendeurs proposant des produits sur une ou plusieurs
marketplaces. Dans ces forums, les
PUD parlent des produits consommés, de comment prévenir leurs risques, de comment les acheter, et construisent ainsi une évaluation en temps réel de la fiabilité des vendeurs et des places de marché (avec ses limites).
Cette organisation centrale marque le développement d'un rôle de régulation des marchés et de leurs vendeurs par les
PUD au profit des
PUD, faisant suite à l'interdiction des canaux et échanges d'évaluations sur Reddit (2019).
Porté par la même équipe et visant à développer ce rôle central de régulation, deux nouveaux services ont été développés ces dernières années.
RECON est un service s'appuyant sur un moteur de recherche de produits inter- places de marché, c'est à dire qui permet en une recherche de voir les offres sur tous les marchés. Le but est de permettre aux
PUD une véritable mise en concurrence des offres à leur profit permettant de faire face à la volatilité de lieux de commerces à l'existence éphémère. Ce service permet aussi aux
PUD de disqualifier un vendeur jugé déloyal/malhonnete et de le repérer quelque soit la plateforme de commerce ou il exerce (si la même clé PGP est employée).
Le second service plus récemment mis en œuvre s'appelle KILOS, et vise à exercer un contrôle qualitatif des produits suivant la meme logique inter-marchés. Des
PUD sont certifiés par plusieurs critères, pouvant faire appel à l'expérience, à du testing ou à des analyses, et leurs évaluations qualitatives sont partagées, permettant ainsi de ne pas se fier uniquement aux commentaires laissés sur les marchés qui sont souvent uniquement positifs, minces, et peu étayés.
A travers ce forum et ces différents services, une place centrale d'évaluation et de régulation de l'offre de substances psychoactives est construite et mise en oeuvre par des
PUD pour répondre à leurs besoins. Elle répond à l'absence de régulation de ces marchés, dans des "pratiques numériques" surprenantes par leur transparence en comparaison de celles de l'industrie pharmaceutique ou des autorités de répression marquées par leur secret.
Les échanges sont ici en partie publics, ils reposent sur l'emploi de techniques cryptographiques permettant l'anonymat, le système est pensé et développé/programmé par les personnes concernées, l'utilisation de technologies libres ou OpenSource est systématique en opposition aux technologies privées ou militaires et au cadre de la Propriété Intellectuelle. Au fond, en y réfléchissant un peu.... ca serait pas plus éthique que le cadre de régulation actuel sur plusieurs aspects?
LA FABRICATION D'OPIOÏDESUn dernier exemple portant sur ces nouveaux rôles pourrait être les groupes qui se consacrent à la recherche de nouvelles molécules, et parfois même à leur production en coopérative.
Dans cette veine, on peut trouver les opioids enthusiasts, qui convaincu que le monde exerce une répression injuste et insensée (l'opioid hysteria) sur cette famille pharmacologique spécifique (produite et distribuée principalement par l'industrie pharmaceutique), se sont organisés pour travailler collectivement à l'émergence et la fabrication à leur profit d'
opioides de synthèse.
Cette démarche collective passe par un véritable travail scientifique collectif de compilation d'anciennes publications scientifiques issues de l'industrie pharmaceutique sur des
opioïdes découverts mais abandonnés lors d'essais cliniques, croisé avec les modèles prédictifs d'affinités moléculaires selon les récepteurs cérébraux spécifiques issus de la recherche scientifique la plus récente.
Ainsi, un
opioïde découvert, testé puis abandonné lors d'essais cliniques dans les années 60, par exemple en raison de sa faible efficacité comme antitussif, peut être réévalué sur d'autres critères intéressant particulièrement les consommateurs d'
opiacés dépendants: une demi-vie plutôt longue pour éviter la multiplication du nombre de prises, une certaine qualité d'effets euphoriques ou oniriques (pouvant être leur absence) se maintenant dans l'usage au long cours, et surtout une molécule qui échappe aux législations de prohibition en cours... un ensemble de critères qui diffère souvent de ceux intéressant l'industrie pharmaceutique initialement (comme l'analgésie ou encore l'effet anti tussif, l'euphorie ou la sédation pouvant etre dans ce cadre considérées comme un effets indésirables).
Ce sont des recherches au profit de
PUD visant à leur permettre (temporairement) de produire/faire produire ou de se fournir avec une molécule jugée satisfaisante et non -réprimée.
Cette revendication d'un droit aux
opiacés sans être victime de la répression témoigne de conditions d'accès à long terme à des
TSO parfois inexistantes selon les pays. Elle s'oppose aussi à un accès unique aux
opioïdes dans le cadre de la "maladie" jugé stigmatisant, dans une revendication d'une sorte de "droit libre à la dépendance".
Le développement des réseaux et leur interconnexion à l'échelle mondiale permet ainsi de différentes manières aux
PUD de remplir une fonction de régulation des marchés illégaux des drogues prenant en compte leurs besoins, là ou les législateurs ne proposent qu'une répression aux (seuls?) profits de contrôle par les états ou de l'industrie pharmaceutique.... dont les
PUD restent les premières victimes.
Philémon, modérateur