Ça y est je commence à apprécier l'héroïne.
*
Dans quel état ça me mettait avant? Je me renfrognais et je faisais la gueule.
C'était la fin de l' été je crois, peut-être l'automne. On était allé au jardin. La nuit, un peu.
Était-ce nous? Nous, si puissant, comme un oued en crue. Nous, si violent, plus fort que l'
hero... Nous, si fort, qu'il en est mort. Nous, si âpre, dont le fantôme me hante.
L'
hero, ce n'était sûrement pas assez fort pour Nous. Pourquoi est-ce que Nous avait besoin de tant de violence ? violence des mots, des images, des souvenirs, des unions, des délires et des abnegations ? Nous, à qui nous avons sacrifié un temps de notre vie.
Nous, qui en est mort.
Heureux, sans doute, ceux comme nous, qui ont vécu un tel enlèvement de soi.
Mais la douceur de l'
héroïne ne convenait pas à Nous.
*
J'ai arrêté la violence de notre drogue tant aimée.
Du jour au lendemain, elle a disparue avec Nous.
Nous, si fort, qu'il entraîne la drogue la plus en vogue avec lui dans l'abîme.
Nous, qui se comporte comme un tiers, comme il l'a toujours fait. Un tiers jaloux et vengeur, séduisant et charmeur. La lame quinze. Un dieu païen. Une tragédie grecque.
*
Mon addiction avait besoin d'autres repères.
Notre drogue devait passer le témoin.
Et l'
hero devait se faire respecter.
Un soir du deuil, je tente donc en solitaire un
speedball de
3mmc ( la dernière fois) et d'
héroïne. Passage inconscient du relais.
Je shoote.
Je tombe assis par terre, comme hagard. Immobile. Ce n'est pas mon genre. Pas celui de la
3mmc. Je ne me souviens plus si j'ai eu envie de vomir.
Cet hébétude dure bien dix minutes.
Rapidement, les hallucinations arrivent-elles. Je me souviens très bien de la dernière, très flippante. Un grand papillon, marron, qui emplis toute la pièce en battant négligemment des ailes, lentement, comme pour m'envelopper.
Qui étais tu, papillon mystérieux ? Je n'ai pas eu peur de Toi car Tu étais doux et compréhensif.
J'ai juste été étonné de Te voir apparaitre.
"Grand capitaine, appareillons! " Aucune peur, donc. Juste de l'étonnement. Ce n'était pas prévu de Te voir.
Pourquoi T'ai-je dit non? Peut-être parce que je n'aime pas l'imprévu. Ce n'était pas le moment...
*
Alors je me ressaisis . Je quitte la moquette verte, tachée de tant de sangs. Je me hisse sur la chaise, je me recroqueville sur la table . Puis j'appelle la personne amie.
Elle diagnostique aussitôt l'OD, masquée par le stimulant . L'OD, qui peut survenir plusieurs heures après.
Elle me guide jusqu'à la
naloxone . J'arrive sans aucune difficulté à me faire la première intramusculaire de ma longue vie. Suivie d'autres, en étant pendu au téléphone. Pendant deux heures.
*
J'avais pesé pourtant.
30 mg. 30 % d'
héroïne MAM, trois fois plus fort en théorie que la
morphine dont j'injectais trente milligrammes.
Alors?
L'explication : J'avais juste oublié de comptabiliser les trente % d'autres métabolites (morphine, 5-monoacetylmorphine etc). C'était donc un
speedball avec un cocktail opiacé au moins double qu'attendu. Ça m'a servi de leçon.
*
L'
hero est restée ensuite tranquille dans son coffret. Je me suis tourné avec passion vers la
cocaïne, à m'en dégoûter peut-être.
*
Et puis...
Un jour cet automne, vous êtes venues fumer. Je ne sais pas pourquoi c'était chez moi. Tu étais, l'une en voyage , et toi, l'autre, en banlieue, c'était pratique de se retrouver sur la moquette pour une dînette.
Je me rappelle en souriant la bassine, si on va vomir.
Allez . Moi aussi. Je n'avais jamais vraiment réussi la chasse jusqu'à présent. Je tentais de faire couler la goutte, ce qui me paraît , encore maintenant, impossible. J'y ai renoncé.
A la place, j'écrase le
caillou , 10 mg, et j'étale la poudre beige sur l'alu. Une fine trace le long du pli.
Au premier coup de briquet la trace fume et se caramélise, une jolie bavure ambrée sur les nervures de la feuille.
Je sens le goût âpre dans la gorge, j'expire un gros nuage. Mes joues chauffent aussitôt.
Au deuxième coup de briquet, la fumée est plus dense, elle apparait tout d'un coup, à l'improviste, alors que je promène la flamme. Trois fois, je renouvelle la chaleur jusqu'à ce que seul du goudron, mat et desséché, subsiste.
Le sourire aux lèvres. Une plénitude douce. Le repas qui suit est sublime. Manger sous H, quelle expérience....
*
J'ai appris depuis à veiller sous H, à faire danser mes doigts sur ton dos alangui, au rythme de l'enceinte qui nous emplit toutes deux.
*
Spoiler Il n'y a pas de Nous entre nous. Et pourtant nous sommes ensemble dans notre relation cachée. Doucement. Un parachute, peut-être.