Comment faisait-on avant PsychoActif?
Je vais passer pour un vieux schnock, mais en réalisant la facilité d’accès à l’information des néophytes d’aujourd’hui, sur les produits, je mesure le chemin parcouru! C’est comme vivre dans le futur. Espérons que l’histoire ira dans le bon sens et que ce n’est qu’une étape vers la libéralisation.
La loi interdisant, encore aujourd’hui, de présenter les stupéfiants sous un jour favorable, était autrefois appliquée à la lettre. Pas de feuilles à rouler longues, on rêvait de «smoking dorés», encore moins de
CSAPA ni de quoi que ce soit, même de feuille de
cannabis sur le T shirt, rien. Ceux qui revenaient de «Dam» ramenaient des cartes postales fumeuses, souvent de mauvais goût.
C’est dire si la culture (du)
cannabis était embryonnaire. Il y avait les graines de Hollande, fallait y aller, mais pas de matériel chez nous, les jardins suspendus n’étaient que des chambres de bonne, à l’époque. Et le mot keuskon faisait son apparition au côté de l’africaine et de la thaï grass. Qui se rappelle le libanais, raide, et l’Acapulco gold? Du Chefchaouen , black Bombay, ou Manali Charas? Noms exotiques comme le terroir, et la gène éthique que ces substances inspiraient à la vieille France.
La drogue c’est l’étranger, le pinard ça c’est français. On en riait avec Coluche, mais certains le payaient, lui le savait bien, qui dépannait ses amis n’ayant pas les moyens de se faire une santé, ni de s’amuser.
En vérité c’était, on disait, la paraffine, le henné dans ton douze pour te prendre ton flouze, Tchernobyl n’était pas qu’une catastrophe nucléaire, ni mururoa dans ta tête à toi, mais une calamité sanitaire, made in gangster! Et ils signaient leurs savonnettes du sigle, prestigieux, de Renault! Avant les
taz Mitsubishi... Et les graines pour les oiseaux dans la
beuh, ah soyez heureux fils de Jack Herrer, et de la veuve blanche, vous savez ce que vous n’avez pas loupé!
Quand on a vu les premiers sachets siglés pour la skunk, on gardait les pochettes à la feuille stylisées au lieu de les jeter. Et les vêtements au dessins évidents pouvaient donner lieu à des fouilles, des confiscations et amendes…
J’ai vu en famille au ciné, le film «les frères Pétard» qui en apprend plus sur le Paris des drogues, de l’époque, que les futures campagnes «d’information (sans savoir)», on parle de sensibilisation du jeune public au ravages du
cannabis. Réels, mais inconnus à l’époque. Encore moins ses milles applications thérapeutiques, que nous n’avons pas fini de découvrir, et qui seront le cheval de Troie de la dédiabolisation, espérons. Il y aura une consommation récréative autorisée, oui, si on se bat pour que se faire du bien ne soit plus un mal, ou un crime fédéral.
Sur les sapes des puces, style «the pope smokes dope» (à l’époque c’était drôle, fallait vraiment être stoned), il y avait une revendication/incitation, mais autrement, pour ce qui était de l’information, rien, à part le ministère de l’intérieur, et, un peu, de la santé. Les flics sont venu dans les lycées, nous expliquer que le
shit c’était mauvais, même pas, surtout que c’était interdit. Tous les délégués de classe présents étaient des revendeurs (en 3e), faisant des efforts pour ne pas rire. Bien sûr l’échantillon de résine a disparu, avant de réapparaître, c’était de la caille! Pas de vrai débat depuis la proposition, non tenue, de «Tonton» sur la
légalisation. C’est sous son règne qu’il y eu le plus de contaminations au VIH en prison. Plus tard on enterra le rapport Henrion, favorable à la
dépénalisation de toutes les drogues. Les cerveaux compétents, furent bien obligés d’admettre, contre leurs propres préjugés, que la politique de prohibition avait créé plus de problèmes et était contre productive, même dans l’optique de réduire la consommation de produits illicites.
Vous voulez qu’on arrête d’enfreindre la loi, changez-la!
Elle touche aussi bien ceux qui ne grilleraient pas un feu, mais se mettent, eux et leur famille, en porte à faux avec la justice, pour leur pétard du soir, que le jeune qui fume dans un jardin public .
La musique du Reggae à la pop et au punk, (vous connaissez le groupe «les Olivensteins»?) a été le vecteur de la contre culture qui accompagne les drogues.
Donc pour s’informer, pas grand-chose, il n’y avait que les récits des toxico comme les fameux Flash, ou Christiane F. 13 ans droguée, prostituée. L’un glauque et l’autre tripant et quand même glauque. Les deux censés dégoûter les jeunes. Oubliant un peu vite que ce sont ces jeunes qui ont écrit, et non pas des jeunes qui ont fait ce qui était écrit. En même temps ça faisait rêver ou alors s’identifier. On était friands de ces récits qui nous transportaient dans des imaginaires à la fois attirants et romantiques, interlopes, dangereux. L’attrait de l’interdit? On le disait, se vivant délinquant, hors-la-loi.
Mais les consommateurs ne sont pas tous des adolescents, et les adolescents qui fument de futurs adultes qui se piquent, ou même fument. Il y avait un slogan pour répondre à la thèse de l’escalade (aussi fantaisiste qu’idéologique), «tout les héroïnomanes ont commencé par se gratter les fesses», ou un truc du genre. Et puis les chiffres contredisaient leur vision alarmiste. Et l’opinion publique n’est pas prête...
Pour le reste, le seul livre en vente, dans lequel il y avait la recette du beurre de Marakech, et quelques autres mini infos en filigrane, était Fumée clandestine de JP Galland.
Tout le monde l’avait lu. Il passait de main en main, on le rererelisait.
Nous étions comme des drogués en manque de données, d’info, de récit, de vérité (info non bidon).
Il est difficile d’imaginer à quel point on était tributaire de telle ou telle information, rumeur plus ou moins vraie et de légendes urbaines. Que n’ai-je entendu, ne serait-ce que sur le
shit!
Pour l’héro c’était dangereux, on parlait de
poussières sans savoir que le citron était pourri et moisi rapidement, et l’aiguille dans la bouche comme rituel après l’avoir chauffée pour soi disant désinfecter, et autres mimétismes de mauvaises pratiques. Après la
RDR, et la libération de la parole, restent à reconquérir les produits, et leur accès et conditions d’utilisation.
Pour la culture il y a une BD, qui, pour celui désirant avoir une idée du Paris sur
came des années 80, est parfaite. Bloodi, le personnage bien connu, encore maintenant, figure sur les plaquettes de
RDR (super idée, ça vient de lui? Pour se rattraper?! Jerk), était non pas un
héros, mais un alter égo (sans jeu de mots).
Bloodi trouve pas l’égout…Voilà le titre de l’album que j’ai, et il est très clair (si je peux me permettre) pour ceux qui ne l’ont pas toujours été. Titre incompréhensible pour certains et assez inimaginable aujourd’hui.
Echangé contre une K7 audio de Ska, enregistrée par dessus une autre (en mettant du scotch vous vous souvenez?), cette pépite de BD doit être un collector.
Bloodi, personnage mythique, cliché dessiné du toxico parisien, keupon des années quatre-vingt, et sa ratte...Riquette, et surtout Hélène, sa pompe. Cet ouvrage là, que je ne donnerais pour toute la poudre du monde (on peut négocier la page 1), est une référence absolue. Tant par sa créativité et son humour, que pour la réalité qu’il décrit, celle d’un Paris sauvage, défoncé et de la
came,
héroïne de l’époque. On croit reconnaître des coins de rue et on découvre, pour moi car j’étais jeune, un monde, dans lequel on a poussé, ou à côté.
Pour vous dire l’ambiance, la première case montre la naissance de Bloodi, qui sort avec déjà la crête sur la tête, de sa mère qui suce le médecin qui lui injecte, en échange, de la
morphine. Visualisez! Première case! La classe. Big Up à Pierre Ouin!
Pour ceux qui ne connaissent pas, il y a, sur internet, des images (en noir et blanc mais achetez-le si vous trouvez vous ne serez pas déçus si je pouvais je les achèterais tous), si quelqu’un sur le site le connaît ou sait des choses à propos de sa collaboration avec la
Rdr, qu’il veuille bien m’en faire part. Bloodi...
Cela montre que les consommations ne pouvaient être abordées, avec réalisme et sincérité, que par le biais de l’art, dans lequel transparaît une (contre) culture des drogues. A mon avis réelle, puisque nous sommes là, mais d’origine artificielle, car créée par la pénalisation.
Je n’ai pas plus de rapport culturel avec le gars dans la queue au
tabac, qu’avec celui, devant moi dans une cage d’escalier, qui achète son «stupéfiant» au terrain. C’est la loi qui nous a obligé à se regrouper dans des ghettos mentaux, et faute d’autre solution, se retrouver dans une situation sociale différente de celle à laquelle on aurait pu prétendre.
On a, enfin (je viens de découvrir PA), l’occasion de parler, via les asso, ce site et d’autres. C’est déjà une avancée, même si on est loin du compte, ça avance. Le regard des soignants a changé. Les formations à l’addictologie d’un maximum de personnels, des éducateurs (changeons ce nom!) aux médecins de ville, ont réellement bouleversé les prises en charge. Avant cela les
CSAPA et la mise en place des
TSO, les
CAARUD et auto-support ont déjà tout changé. On le doit, au départ, au pire, le Sida, et non à de bonnes intentions, mais on avait accès à quelque chose de concret. Plus de temgesic et
Néocodion...
On considère l’usage de produits illicites, ou pas, comme n’importe quelle addiction, il n’y a plus de toxicomane (des maniaques du toxique?) mais des addicts.
Des personnes ayant une addiction, et des personnes ayant une consommation de produits
psychotropes, deux choses différentes.
Séparer le comportement du produit, c’est déjà ça.
Pourtant il y a du travail, si on pense au combat contre la douleur, le droit à ne pas souffrir…
Le tabou, qui, chez nous, vient de loin, celui du plaisir, empêche, par l’impossibilité de son expression, donc de sa prise en compte, un vrai débat sur les consommations. Sur les substances psychoactives dont le mésusage, comme principe, suppose l’existence d’un bon usage. Confisqué aux usagers!
L’acceptation d’un respect de l’aspiration à la jouissance de chacun, s’il y a bien un terrain d’entente, ce devrait être celui là!
N’est-il pas normal qu’un médecin donne quelque chose qui soulage et fasse du bien, au risque d’en retirer de sensation agréables (vade retro satanas)? A la maison n’ai-je pas le droit de consommer ce qu’il me plaît, si cela ne nuit directement à personne? Non. Pourquoi se masturber, se piquer sont-ils des actes honteux, et vécus comme tels? Pourquoi tant d’énergie et d’argent pour lutter contre un tigre de papier, oubliant le dragon domestique dans le bar du salon.
J’ai l’impression que mon argumentation date des années 90...
On a un lourd sac de préjugés et de culpabilité à poser, pour stopper le coût humain et la violence que représente la «répression des drogues».
Nous verrons, je l’espère de mon vivant, les choses changer. A change is gonna come!
Euh je m’emballe, mais il y a de bonnes ouvertures à l’ouest, Portugal où cela fonctionne (à moitié, quid de la vente). Quand on voit les problèmes que soulève une seule
salle de shoot, on est pas arrivé, la
beuh est plus ou moins banalisée, le
crack et l’IV sont toujours l’objet des fantasmes les plus repoussants.
En espérant.
Dîtes-moi si je me trompe.