Une fois dehors, je sentais que les larves commençaient à se mettre à l'aise dans leur nouvel élément. Elles tripatouillaient allant jusqu'à étripailler mes entrailles dans le creux de mon corps. C'était pas vraiment douloureux à vrai dire, j'avais plus l'impression de muter que de claquer à petit feu. Les parasites ne voulaient faire qu'un avec moi et je les laissais me larver lascivement. Rien de bien méchant, c'était bien moi qui les avais gobées ! Au fur et à mesure, je sentais que quelque chose changeait en moi mais pas que physiquement. J'étais pas encore sûr de savoir quoi, peut-être même que je pourrais jamais vraiment le dire d'ailleurs mais le monde semblait moins lourd, plus léger. Le poids de l'angoisse laissait place au rire, la légèreté de la vie avait remplacé la gravité de mon existence. Mes craintes se dissipaient, pour sûr !
Les effets des larves avaient commencé à se manifester quand je vis mon voisin : Butor le buteur. C'était un vieux balourd, la quarantaine je crois bien. Il était pas franchement grand ni très charpenté mais il m'avait longtemps fichu une de ces frousse. Il avait les cheveux noirs, très probablement gominés et plaqués en arrière par la sueur qui s'échappait de tous ses pores, et une grosse moustache sur la trogne. Un mètre cube qu'il faisait sûrement : un mètre de long, un mètre de large et un mètre d'épaisseur. Un étrange mélange de graisse et de muscle. Il gueulait sans cesse d'une grosse voix bien rouillée par les guinzes qu'il pompait et les bouteilles de gnôle qu'il engloutissait à longueur de journée quand il ne battait pas sa femme. Quoique même quand il la tapait, il se débrouillait pour tirer des narées et faire des pauses biture lorsqu'il il sentait qu'il lui fallait un petit remontant pour reprendre des forces. Ça fait sept ans que je suis dans le quartier et une dizaine de femmes y sont passées ! Il devait les collectionner mais son présentoir à trophée se trouvait sûrement enterré sous son jardin. Personne ne disait jamais rien... Et moi le premier. En général, quand je le voyais, j'avais les boyaux qui tricotaient des napperons, une de ces frousse à avoir le cœur qui se décroche. Au départ, je m'étais un peu révolté mais qu'est-ce qu'on peut bien faire à une brute quand on a que douze berges ? Je saccageais son jardin de temps en temps pendant la nuit. Vous savez, histoire que la culpabilité le fasse transpirer des yeux au réveil mais dès l'aube, il se contentait de tout nettoyer et frapper sa femme encore plus fort pour oublier. Et puis j'ai vite arrêté avant qu'il ne me soupçonne de quoi que ce soit le molosse ! Alors, je l'ai évité pendant un temps, je m'arrangeais pour rentrer quand il était absent et ne jamais apparaître devant lui. Mais ça marchait pas trop. Il passait trop de temps dans son jardin et je pouvais pas me permettre de rester enfermer dans ma turne toute la journée comme la vioque. Au final, je crois qu'il m'avait jamais vraiment soupçonné, il était bien trop demeuré pour croire qu'un jeunot de douze ans pouvait oser lui être hostile. Ça lui empêchait pas de m'aboyer dessus quand il me voyait mais ça, il le faisait avec tous les passants comme un chien de garde qui n'avait rien d'autre à faire.
Puis, un jour je m'y suis fait, je m'étais résigné à ne plus vraiment faire attention à lui. Je jouais à l'aveugle, il existait plus vraiment pour moi, il était entré dans ma routine. Les coups portés à sa femme tapaient le tempo morne qui rythmait ma vie. Je ne pouvais plus rien faire de toute façon, j'avais suffisamment lutté. Il faisait partie du décor rien de plus. Encore que, j'aurai pu sublimer ses horreurs pendant tout ce temps, y voir une beauté quelconque. Mais pour cet homme j'en avais pas la force, pas le pouvoir. Je devais sûrement être encore trop faible pour ça.
Mais maintenant que les larves étaient en moi, ça allait. Grâce à elles, tout avait de quoi se transformer en splendeur. Le monde me semblait plus charmant. Du moins je pouvais le rendre plus séduisant, plus attrayant, plus beau. La puissance du poète s'était revigorée en moi et elle me laissait dominer le monde par mon regard. J'aurai même pu lui passer le bonjour au Butor et m'inviter chez lui. Enfin, le temps que je me fasse cette réflexion ,j'avais déjà dépassé sa bâtisse depuis longtemps, j'y penserai une autre fois sûrement.
De toute façon j'avais pas le temps, fallait que je me rende chez Brandy. C'est toujours elle que je viens voir en premier quand j'ai quelque chose à dire ou à montrer. Cette fois, elle sera pas déçue ! Elle l'a jamais vraiment été de toute façon, c'est pas pour ça qu'elle me voyait mais c'était plus fort que moi, je voulais toujours l'impressionner la Brandy. On se connaissait depuis qu'on était marmot et elle m'avait toujours soutenu dans mes folies. Ça la faisait rire et puis, elle aussi, elle est déglinguée dans sa vie. Ça faisait longtemps qu'elle avait rejoint le rang des esprits délurés comme moi. On était les troublions du monde et on avait de quoi se hausser au-dessus de la disgracieuse et informe masse qu'est l'humanité par notre légèreté. Mais ces bouts de viandes n'auraient sûrement pas mérité des rois et reines aussi gracieux que nous.