Jade se réveille.
Elle se réveille avec les idées claires comme la Méditerranée. Elle en prend le chemin. Descend les roches casse-gueule qui piquent les pieds. En équilibriste spécialiste du déséquilibre elle atteint le rivage. Elle trempe ses orteils puis ses pieds puis ses jambes puis saute !
L’eau est fraîche le temps est bon. Les falaises au loin sont des promesses. Des promesses…
Jade.
Jade est malade.
Jade n’en peut plus.
Jade ne tient plus debout.
Jade en a ras-le-cul de l’Aéro-vie.
Jade vit comme ça depuis quinze années.
Ça suffit.
C’est bon elle a fait le tour.
Jade connaît toutes les drogues leurs langages et leurs mystères.
Jade est allée au bout de sa quête.
Jade voulait savoir savoir ce que ça faisait.
Jade avait rêvé d’une vie intense d’une vie romantique.
Jade se rend compte qu’une fois toutes les frontières franchies il n’y a plus que de la merde à remuer.
Jade a reçu un mail de Virginie Despentes :
«
J’ai aimé ton texte, Dégueuler. Tu devrais en écrire d’autres. La drogue est exigeante et l’écriture l’est aussi. Il va falloir que tu choisisses entre les deux. Tu te doutes que je vais te conseiller la littérature c’est plus surprenant à moyen terme - c’est un conseil de meuf de cinquante ans mais je pense que c’est un bon conseil. Je t’embrasse. Merde pour ton livre. »
Ça l’a retourné.
C’est aussi simple que ça.
Il faut choisir l’écriture.
Jade va se soigner elle va rester à la mer.
Jade va choisir la vie.
Jade sera grand-mère vieille et ridée.
Jade doit affronter la dépression qui l’attend.
Elle le fera.
Pour la première fois de sa vie, elle retrouve la virgule.
Une respiration.
Pour la première fois de sa vie, après trois cures de désintox qui n’ont pas marché, elle se sent prête.
Prête à renaître.
Prête à renoncer à la fête, à l’excès permanent.
Prête à se regarder dans le miroir et à s’aimer.
Prête à jongler avec les tourments humains qui sont le lot de chacun.
Elle ne veut plus fuir.
Jade est prête à la douleur.
Ce sera douloureux elle le sait.
Le
sevrage, le réel, la dépression, dans sa gueule !
Jade suremontera.
Jade est alpiniste existentielle. Elle a atteint certains sommets d’extase, elle atteindra les sommets de la normalité.
Les jours où on vit et les nuits où on dort.
Les personnes avec qui on couche et celles avec qui on ne couche pas.
Jade tombera amoureuse.
Jade se connectera à ses émotions.
Jade cessera d’être seule.
Il faut vaincre.
Tenir debout.
Ne pas regretter ni se vanter.
Savoir par quoi on est passé et vers où on se dirige.
De la même façon que ça c’était imposé pour consommer, ça s’impose pour ne plus consommer :
elle décide qu’elle n’a pas le choix.
D’une main ferme elle écrit :
Les substances-équilibres sont instables.
Désordonnées.
Je marche sur une ligne de crête à obsolescence programmée.
Une crête qui n’a même pas la poésie punk.
La montagne ne rêve plus d’une décadence sexy.
Rien n’est sexy dans la déroute.
Je me suis menti.
Un mensonge sempiternel et inéluctable.
Maintenant il faut tenir debout.
Jade referme son cahier.
Jade titre : « Jade Aérogare ».
Jade ne savait pas qu’il faudrait dire tout ça.
Mais il a fallu le dire.