La Bataille De L'ÂmeSeule. Elle se sentait tellement abîmée. Vidée de ses forces, son âme drainée de toute émotion.
Combien de pages, de carnets, puis de disques durs avait elle bien pu remplir de mots au cours de cette trop longue vie?
Elle les avait recouverts pour y noyer ses idées… Et finir par pouvoir s'y noyer elle même un jour.
Ce flux constant de mots et de pensées, elle n'en pouvait simplement plus.
Toute sa lascive solitude les faisait résonner comme autant de milliers de sons pourraient se fracasser et se répercuter encore et encore et encore et encore et encore, contre les parois d'un gigantesque globe de verre.
SA CAGE
Tant de sensations qu'il en est impossible de les différencier. Pas elle, ni celle ci, pas la suivante non plus… Elle n'aurait pas même pu repérer la plus importante de toute sa vie.
Alors au hasard, elle en saisi une, se retrouvant à remonter le fil d'une chronologie particulière. A l'instant où elle empoigna ce long filament doux et chatoyant, cela provoqua la naissance d'une multitude de chemins, menant chacun à une étendue sans limite de raisonnements et d'images. Déjà elle se perdait dans un nouveau labyrinthe... Brèves visions, pensées fugaces, sa perception était comme floue par instant. Brouillée par tant de données.
Ici, dans le multivers de sa machine cérébrale, elle hurle.
Elle hurle sa frustration de ne pouvoir être abandonnée de cette substance qui l'anime.
Ici... On la maintient en vie en usant de torture. L'infâme ironie voulant que cela soit une partie d'elle même qui lui fasse endurer tout ceci.
Masochiste Torture.
Et là, attachée sur le billot qui lui sert de corps, naquit en elle une idée. "Peut on avorter de son essence? De son esprit?"
La mort aurait elle le fantastique pouvoir de la libérer d’elle même?
Elle tentait désespérément d’évaluer ceci, de trouver un fil de raisonnement qui pourrait la sauver. Mais bientôt, la souffrance revint et, tandis que recommençait le martèlement suffocant de ses tourments, le brouillard s’intensifia. Très vite, elle oublia ce à quoi elle était supposée réfléchir.
La Torture ricana.
Elle soulageait son être du poids écrasant de son esprit sur son âme, en déversant inlassablement, des litres d’encre dans de jolis coffres de papier. En vérité, son être s’était noyé depuis trop longtemps pour s’en sentir apaisé. A bien y réfléchir cela ressemblait désormais à un labeur routinier, une méthode de plus d’anesthésier son cerveau engourdit. Elle aurait pu se révolter... mais à quoi bon?
Ce qu’il fallait c’était un éveil. Lutter pour éclaircir son coma. Puis, elle se souvint… chercher le fil, s’y accrocher. Et étrangler la Torture avec.
Il fallait qu’elle se batte. Elle devait réapprendre à devenir forte. Réparer son armure et forger des armes, pour survivre à ce monde. Maintenant qu’il n’y avait plus aucune profondeur à atteindre, elle ne pouvait plus que remonter à la surface.
Ou bien se noyer pour de bon.
Elle redoutait toutefois de surgir des abysses. Remonter signifiait prendre le risque de se transformer, encore une fois, en une roche glacée jusqu’au coeur. En sauvegardant sa paix intérieure elle risquait de perdre les quelques fragments de bonheur dont elle était certaine de croiser le chemin de temps à autres. Une longue route pavée de noir l’attendrait sûrement. Pourtant, là haut, elle ne pourrait se balader tranquillement sans son armure. Ou La Torture happerait alors à nouveau son âme.
Mais cette fichue armure avait déjà tellement pulvérisé le bonheur…
Devrait elle jusqu’à la fin choisir entre son esprit et son âme, ses émotions?
Pas de bonheur dans cette cage.
Les méandres de son multivers étaient certes, nébuleux et dangereux mais elle vivait dedans depuis si longtemps qu’elle pourrait sans doute l’apprivoiser. Ranger son esprit pour guérir son âme. Après tout, elle pouvait apprendre. Elle le faisait sans cesse. Bien que souvent mal, elle s’acharnait toujours jusqu’à savoir le faire. Sa vie en serait tout aussi remplie. Oui, au fond ça restait du futile. Mais cela l’occuperait…
Et en faisant ceci, elle savait qu’il lui faudrait enfermer son essence dans un flacon plus simple. Une dimension parallèle et sans saveur. mais sans pièges ni tourments.
Une forme de paix finalement.
Non, elle avait besoin d’autre chose, elle l’avait vu sur le fil.
À bien y réfléchir, elle n’avait que faire d’une vie de plénitude si elle n’y trouvait aucun obstacle. Elle décida donc de rester dans l’océan de son esprit douloureux de talions. Mais tout de même pas trop loin de la surface, au cas ou un Bonheur viendrait y perdre pied. Peut être un jour n’aurait elle à nouveau plus la force de subir tout ce marasme. Seulement, l’heure n’était pas venue.
La Torture, pleine de respect, lui tendit une épée. Elle attendait ceci depuis la confection même de cet être de chaos. Et enfin! Elle avait un adversaire à sa mesure. Et le jeu serait plus amusant maintenant.
Pourquoi avoir eu peur?
Placide, elle recommença à lutter. Lutta avec la force de l’habitude. Déjà, son être était à genoux dans une boue de tragédies. Cependant, elle tenait bon, moins vivace mais pourtant redevenue coriace grâce à l’endurance acquise sur le billot. bientôt peut être, aurait elle enfin coupé la dernière tête de l’hydre infernale qui lui faisait peur.
Ou un jour, le monstre aux milles protubérances parviendrait à la dévorer en intégralité. Elle, son corps, son esprit et son âme. Dans les deux cas, ce serait la fin. Elle ignorait lequel de ces dénouements était le plus tentant. A quoi bon se poser la question…
Elle reprit son épée et trancha une autre tête. Qui tomba à ses pieds pour lui mordre les orteils.
Tant d’efforts pour encore un peu de souffrance supplémentaire. La Torture sera ravie.
Blasée, elle brandit sa lame un peu plus haut.
Encore une tête de moins et sans doute n’aurait elle plus peur de ressentir le bonheur.