La bouteille ou le sein, naître et boire en Bretagne
Je ne sais pas ce que c’est, que de ne pas connaître l’alcool.Picoler avant l’age de trois mois, tu y crois?Pour vous peindre le tableau, imaginez, un département qui n’existe plus : les
côtes du nord. 22 v’la les porcs.
Oui, vous comprenez pourquoi on a, encore, plus de tourisme, depuis qu’on a remplacé nord, par Armor. Touristique changement, mais pas seulement,
Armor, c’est le nom du pays.
Ma mère avait écrit «la Bretagne se fait putain l’été», ça n’a pas plu. Pour une fois qu’il n’a pas plu.
Figurez-vous que
je suis né, un jour pluvieux, normal, mais trop jeune. Plus vieux ça aurait été mieux. Prématuré, pressé d’aller naviguer?
Le bruit de la machine à broyer les prolétaires, a du m’empêcher de finir ma gestation tranquillement.
Ma mère travaillait à la chaîne (non ne pleurez pas ce n’était pas Causette, bien au contraire), allait à l’usine à mobylette
enceinte de 7 mois. Fumait et buvait, mais peu (?).
En tout cas, tout était enfumé, et le vin coulait.
A sept mois et demi, je suis sorti. Couveuse durant 3 semaines. Les 21 premiers jours de ma vie, je n’ai pas senti la peau, ni de ma maman, ni de personne. On me regardait, dans mon aquarium. Pleurer.
Puis, je suis allé chez une nourrice,
pas de sein, rien.
Cette femme, je l’ai appelé maman.
Maman Bihan, militante lutte ouvrière ou un truc comme ça. La région de
St Brieuc est le bastion rouge de la péninsule.
A propos de bastion, le port du Légué, boboïsé depuis, (j’aurais jamais dit, avec cette odeur de grain, de lisier, les papis-casquette-PMU-Peugeot103-pastaga etc), où j’habitais, était un endroit pittoresque. Mon premier chez moi était à
Ploufragan. Rien que le nom est tout un programme. Pas loin de Plumieux (sérieux).
Comme un signe, je viens au monde pendant un des 3/8 (explique ça à un enfant), en
1977. L’année du punk. Et le
wagon, bastion punk résistant à l’envahisseur, comme Astérix (sur le plan c’est chez moi). Les punks sont partis mais ils ont squatté là longtemps.
On y venait de Paris, Tracks a fait un sujet sur le lieu. Mais nous, ce qu’on aimait c’était la mer, les bateaux. Bébé d’une autre époque, plus destroy.
Un jour, mes parents discutent avec l’amie nourrice, et elle dit «vous pensez qu’il dort bien,
le gamin, j’lui en met dedans, dame» «quoi?», «
bah l’coup de cid’». Par contre j’ai échappé aux saloperies en plastiques et aux petits pots.
Du cidre dans le lait! Pourquoi tant de lait? J’aurais tant aimé téter, ou toucher ou l’ être (c’est pour ça que j’aime les seins charnus?).
Se sentir en sécurité, avec la
chaleur maternelle. On ne savait pas que c’était si important, la priorité était de libérer la mère de la contrainte et qu’elle travaille (3 jours pour ma mère), et que
le nourrisson apprenne la frustration (!).
Estimez vous heureux, si vous êtes jeunes.
Je passe ma vie à rechercher une chaleur rassurante.
C’est tellement rare, cette histoire, aujourd’hui, que je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme moi, vivant!
C’est vrai qu’un
bébé qui pleure, qui demande le sein, qui angoisse, c’est pénible. A leur place j’aurais attaqué à l’IV de
morphine.
C’est pas passé loin non plus! Des cachets, mais, heureusement (?), les calmants (pour adulte, ça veut dire que me mère en prenait!), me faisaient l’effet inverse, ils m’excitaient.
C’est l’époque de l’enfant privé,
sauvage (en liberté), et
autonome, des adultes de quatre ans. Pas de cadre, pas de
sécurité, peu de cadeaux. Mais de l’amour. Pas besoin de preuves, qui a dit cette connerie? Sûrement un enfant gâté! Ou battu!
On ne surveillait pas la santé de son bébé, ni la sienne comme aujourd’hui. Je suis
tombé du premier étage à un an. On en riait en famille (!).
Bien je sûr, suis devenu alcoolique. Ce n’est pas automatique, fatal, mais ça prédispose, un peu, beaucoup, pas du tout? (non? Chouia?).
Contrairement à beaucoup, je continue de boire quand je veux, sans rechuter, après
sevrage. Je peux garder de la bière une semaine au frigo.
J’ai troqué la
tise, contre l’action, peu éloignée, des
opiacés, en tout cas, j’y trouvais le même effet recherché. En fait l
’héroïne a sauvé mes organes!
L’héroïne en soi n’est pas toxique.
Addictive et autre, mais avec l’alcool j’ai rarement vu des
buveurs quotidiens de plus de 60 ans, sans au moins deux pathologies graves ou même debout.
Je n’ai rien du tout. Même mon foie est nickel, (jusqu’à ce qu’on me donne un traitement corrosif).
Dans les années 70, dans ma région, il y avait beaucoup d’
alcoolisme congénital. Le pire est l’alcoolisation au début de la grossesse (et après). A un an le petit ne tient pas sa tête, n’attrape pas un ballon à 3 ans...
Irréversible, merci maman.
Mais la mère, alcoolique sociale, a vu et fait cela toute sa vie, et ses parents aussi. Les chiffres que je vais vous donner sont incroyables, alors je les minore, c’est déjà impossible.
Mais vrai (cf
Les Bretons et l’alcool, celui des 60’s), dans les campagnes, où l’on buvait peu d’eau, 6 litres par jour, pour un ado, 11 pour un adulte, de cidre (4 à 5 degrés). Pour de l’eau ce serait de la potomanie.
Mais ils travaillaient aux champs, du lever au coucher.
Pour les
enfants d’alcooliques, j’ai été surpris de voir de tout, une femme, sublime, un canon vraiment, avait quatre enfants. Qu’elle a tous eu en buvant jusqu’à l’accouchement. Elle se barrait avec sa perfusion, acheter du rhum. Ils n’ont rien (pour l’heure). Incroyable, quand d’autres, en trois mois…
Avec la guerre de 14,
le pinard, qui n’était pas une production coutumière, arrive dans les mœurs, autant à Paris, dans la diaspora breizh, que dans les villes, comme Rennes.
300 bistrots servaient le
cidre à la pression, disparu ces temps-ci, place à la bière et au chichon. Pire, du kebab, rue de la soif, hérésie au pays de la galette saucisse et de la piste . (soirée arrosée, tournée des bars, tu pars en piste fanche? C’est pô vrai! Tu payes ta liche, miche!).
Donc l’étudiant breton prend des
«murges» le jeudi, le marin pêcheur sitôt débarqué est au bistrot.
Quand vous êtes en Bretagne, à Belle île ou autre, ne vous installez pas à la place d’un
marin. Ce sont toujours celles du fond, à l’intérieur.
La terrasse c’est pour les Parisiens (jamais vu un dur prendre un perrier au soleil, il y a un côté viril), et le vin mauvais casse les têtes… des Parisiens. Personne, nul part, n’aime
les Parigots, ils ont tort en Armor, il y a plus de Bretons là-bas que chez nous!
En 1965
la Bretagne était l’endroit du monde (en comptant la Pologne!) où l’on
buvait le plus. En équivalant
alcool pur par an, je donne pas le chiffre, il donne des maux de ventre. Ce n’est plus le cas, on est toujours sur le podium français, mais rien à voir avec, ne serait-ce qu’il y a trente ans, quarante.
Toujours est-il que
cette spécificité existe, je ne suis pas certain que l’on m’aurait alcoolisé en toute innocence et
ignorance, ailleurs.
Il y a d’abord, une prédisposition culturelle à la transe, à la fête et à l’oubli de soi, par l’alcool.
Les Bretons, souvent, sont des gens très timides, effacés ou méfiants. En retenue. Mais, quand vient le soir, quelques verres nous font communier.
Si vous partez de la rue St Michel à pied (la rue de bars de Rennes), à deux, vous mettrez des heures à faire 1 km, embrasserez tout le monde, et arriverez à 10.
Les gens cherchent à se
désinhiber, la nuit, puis à entrer en communion. Traditionnellement c’est le
fest noz. La fête de nuit.
Pas besoin de boire, la danse, envoûte autant que la musique, plus même, car il s’agit parfois, de deux sonneurs (chant) et le rythme au pied. C’est tout. Et ça met le feu!
Il faut voir ces farandoles de visages rougis, ravis, de toutes générations, souriant, entrant en une
transe, ancestrale.
Le rapport au
surnaturel est l’’accès à une deuxième personnalité, celle de la nuit, dont on sort le matin.
La Bretagne est spéciale pour la
fête. Tous ceux qui y ont organisé des free, savent qu’en Armor,
il n’y a jamais assez de bar, tout part, partout. De Vannes, Gwened à Quimper. De Roazon à Douarnenez.
Pour le reste c’est pareil, ils consomment plus de tout, mais avec la même dose d’alcool. 30 verres pour une nuit n’est pas un truc de fou du tout.
Vous m’direz, quand
on biberonne depuis la naissance la zozotte. Nom donné au lambig (calva), quand il est mis dans le lait de l’enfant (70 degrés).
Le gwin ru.
Je disais que la guerre de 14, et le service militaire (on donnait des rations de vin et de gauloises), avaient changé les us des
hommes. Le gwin ru, vin rouge en breton, les appelés de 14 ne parlaient que le breton et pas le même. Ce mot, breton, sur un produit français allait détruire le tissus social.
Pas que là, dans toute la France,
l’abus est la norme, les accidents de travail une fatalité.
L’intoxication une vue de l’esprit, malgré les désastres.
Les curés partirent en croisade. Avec leur café sans
alcool, pour les abstinents (anciens buveurs, peu de vierges, en région). Car les gars ne se soignaient pas, c’était normal, comme pour moi.
Encore hier, à Recouvrance (Brest), j’ai vu un serveur débordé, avec...3 clients!
Dont une (oui, c’est mixte pas macho), qui est tombée de sa chaise, sans que personne ne soit capable de la relever. Chaque nuit, rue de Siam, chaque distributeur est squatté par un
mec bourré, incapable de rentrer.
Incapab’Beaucoup doivent boire avant le travail. Même moi je le faisais avant l’école, mais le travail, quel travail?
Ma mère était alcoolique, moi alcoolisé, et puis elle est morte.
De l’alcool? Non, de l’
amiante, de cette putain d’usine, où elle passait ses journées, quand on me me faisait téter de la zozotte,
du cid’ au bib’.Je te remets la même chose?
En écrivant, il m’est venu des anecdotes et autres expériences en pays breton, j’y reviendrai donc.
Kenavo les potos. Et ya’r mat, santé![