Je consulte régulièrement Psychoactif. Je parcours les différents forums, je découvre les témoignages et les expériences des uns et des autres. Ca m’aide à me sentir un peu moins seule. Je réalise qu’il y a d’autres histoires que la mienne, d’autres parcours, d’autres joies et souffrances que celles que j’ai vécu.
Récemment, j’ai découvert la rubrique « Paroles de femmes » et particulièrement la discussion sur « La prostitution ».
C’est l’endroit où nous, nous pouvons nous exprimer. Nous, les asphalteuses, béguineuses, belle-de-nuits, boucanières, cocottes, coureuses, croqueuses, demi-mondaines, femmes de petite vertu, galantes, légères, fleurs de macadam, gaupes, gourgandines, grues, hétaïres, horizontales, marchandes d'amour, marmites, michetonneuses, peaux, péripatéticiennes, pierreuses, raccrocheuses, racoleuses, sirènes, souris, trimardeuses, turfeuses, catins…
J’ai lu une grande partie des témoignages de cette discussion et aujourd’hui je me lance. A mon tour d’ajouter mon histoire sur ce sujet.
Lire les récits des autres a crée beaucoup de résonances en moi. C’est assez étrange, de découvrir des bouts de vies qui font échos à notre propre parcours. Malgré les différences, les particularités de chaque chemin, ça fait du bien de lire les mots de ceux qui se sont retrouvés dans des situations similaires aux nôtres. A lire ces témoignages, je me sens un peu moins seule. Un peu moins folle. Un peu moins honteuse.
Alors, si ma propre histoire peut apporter quelque chose à quelqu’un, si cela peut aider des femmes à se sentir moins seules, moins folles, moins honteuses, je me dois de faire cet effort d’écriture.
Non pas qu’il soit agréable d’exposer sa vie de façon si impudique, de s’exhiber dans sa plus grande nudité, et de mettre le lecteur en position de voyeur. Nous avons tous une sorte de fascination pour les faits divers. Les psy expliquent cet intérêt morbide ainsi : les faits divers provoquent un va-et-vient entre identification et rejet, questionnent sur la nature humaine et renvoient à la fascination pour la mort. Je crois qu’on retrouve cela concernant le sujet de la prostitution. Entre fascination et répulsion.
C’est une bien longue introduction pour repousser l’écriture de mon histoire… Je brode, je brode, et je vous ennuie surement. « Abrège », pensez-vous.
Vous avez surement raison. Alors, j’y vais. Je commence.
Pour commencer une histoire, on raconte d’abord ce qui s’est passé « avant ». Ce qui nous a amené à ça.
Pour raconter une histoire, on commence par le début.
C’est donc ce que je vais faire.
J’ai eu une enfance et une adolescence heureuse.
Je n’ai jamais été violée. Je n’ai jamais subi d’attouchements.
Non, contrairement aux idées recues, toutes les prostituées n’ont pas été victimes de violences sexuelles dans leur jeunesse. Une grande partie, surement. Mais pas toutes. Pas moi.
J’ai eu des parents présents, aimants, avec qui j’ai toujours entretenus des rapports normaux. Ma relation avec mon père a toujours été parfaitement saine.
J’ai eu mon bac littéraire en 2009 avec mention TB, avec 18,5 de moyenne.
J’ai fait hypokhâgne, puis je suis partie à Paris pour intégrer la Sorbonne en Licence de Lettres modernes.
Je n’étais pas spécialement dans le besoin : mes parents me versaient un peu d’argent pour payer mon appartement, et j’avais des petits boulots à coté pour mon argent de poche : baby sitting, animation d’ateliers dans les écoles …
Alors, pourquoi la prostitution ?
Je ne pense pas qu’on tombe dans la prostituion par hasard.
Je ne suis pas tombée dedans par hasard.
Pour moi aussi, il y a bien quelque chose qui a précédé la vente de mon corps.
Je n’ai pas été violée, je l’ai dit.
Mais il n’y a pas que le viol qui crée une distanciation avec son propre corps.
Avant la prostituion, il y a eu l’anorexie.
Puis, la boulimie.
J’ai commencé à perdre du poids l’année de mon bac, en 2009, passant de 58 à 47 kg en deux mois. Je connais 3 années de restriction alimentaire. Je vomis de temps en temps, lorsque j’ai été obligé de manger des aliments interdits, ou que j’ai dépassé la limite fixée au préalable.
En 2012, je reprends un peu de poids.
Je passe de 42 à 48kg et ma maigreur en devient moins inquiétante. Mes proches me croient guéri.
Pourtant, je passe une grande partie de mon temps à faire des crises de boulimies.
Et les crises de boulimie, ça coute cher. Ca prend du temps. Ca fatigue.
Je vis en colocation. Ma coloc ne se rend jamais compte de rien. Je sais mentir, je sais cacher, je sais faire illusion. Je suis une très bonne comédienne, je dupe tout le monde.
Pendant l’été 2012, une amie photographe me demande de poser pour elle pour alimenter son book artistique. Je pose pour elle top less dans les champs du Sud, sous le soleil de Juillet. Je me prends au jeu. Les photos sont réussies. Elle me suggère de tenter d’être modèle photo.
J’y pense tout l’été. Je me dis que poser pour des photographes peut me permettre d’accepter mon corps. De peut être me réconcilier avec lui. D’apprendre à aimer mes nouveaux kilos. Je pars à Montréal avec une copine, pour rendre visite à une amie partie étudier là bas pour un an.
Elles ont envie de se faire tatouer. Je n’y avais jamais pensé, et je suis finalement séduite par l’idée. Je me fais tatouer un point d’interrogation dans la nuque. Je n’y avais jamais vraiment réfléchi, mais ce signe s’impose à moi, comme une évidence.
Là bas, je consulte les sites internet de petites annonces. Je découvre qu’il y a de nombreux photographes qui recherchent des modèles débutantes à Paris. Je décide de tenter l’expérience à la rentrée.
En septembre, je parcours de nouveau les annonces sur plusieurs sites internet. Je tombe sur l’une d’elle. Le photographe cherche de jeunes modèles menues pour poser nu dans les locaux des Frigos, dans le 13ème arrondissement. Il s’agit d’un ancien bâtiment frigorifique, occupé aujourd’hui par des ateliers d’artistes. J’en avais déjà entendu parlé, et ça m’intriguait de le découvrir.
Il est indiqué dans l’annonce que la séance est rémunérée 50 euros. Il y a aussi un lien avec les premières photos de la série. Je clique et je découvre le travail du photographe. Ca me plait. L’atmosphère est assez étrange, mais je trouve les clichés jolis. Ce sont des polaroids, les corps des modèles sont mis en valeur. Je contacte le photographe. Il m’appelle, sa voix me met en confiance. Nous convenons d’un rendez vous.
La séance se passe très bien. Les photos de moi sont réussies. Le fait de me mettre nue ne me pose pas de problème, je le fais assez naturellement et je suis moi même étonnée de mon audace et de ce courage inconnu. Devant les yeux de cet inconnu, j’assume mon corps. Rentrée chez moi, je reçois un message de lui. Il me propose d’aller au restaurant le soir. Il m’invite. J’accepte. Nous passons un moment agréable. Cette rencontre m’excite un peu. J’ai la sensation de vivre quelque chose d’un peu romanesque, qui sort de mon quotidien, de l’ordinaire. J’oublie quelques instants mon obsession pour l’alimentation, pour mon poids.
Je contacte ensuite quelques photographes dont j’ai trouvé les book photos sur le net et dont j’aime le travail. Je fais 2 nouvelles séances photos, cette fois non rémunérées, mais qui me permettent de constituer un book de modèle avec de jolies images de moi.
Je ne sais plus à quel moment c’est arrivé. C’est un souvenir isolé dans ma mémoire, sans lien chronologique avec le reste. C’était peut être mme avant ma toute première séance photo. Ou peut être suite à ces 3 premières expériences. Je ne sais plus.
Un jour, j’ai répondu à une annonce assez banale, d’un photographe amateur qui cherchait des modèles photos débutantes, pour des photos de nus non diffusées.
A présent, je trouve ces annonces assez explicites, assez claires sur la nature de la recherche du photographe. Je ne me souviens plus si à l’époque je suis trop naïve pour le percevoir, ou si je me voile la face en toute connaissance de cause. Toujours est il que je conviens d’un rendez vous avec ce photographe amateur. La séance a lieu chez moi, un après midi pendant lequel ma coloc n’est pas là.
La séance se passe bien, sans de geste déplacé de sa part, sans rien de particulier. Pourtant, je me rends bien compte qu’il ne s’agit pas de photos artistiques, et que son regard est celui d’un homme qui désire, pas celui d’un artiste.
Après cette séance photo, le photographe m’envoie aussitôt un message en m’avant qu’il avait très envie de me faire un cuni. Je suis un peu choquée par son message, mais je lui réponds quand même. J’exprime ma surprise, mon incompréhension De fil en aiguille nous entamons pourtant une discussion. Il me propose de se revoir rapidement. Pas de séance photo cette fois, mais une fellation. Je ne sais plus combien il me propose. 100 euros, peut être. Peut être 70.
Au début, je refuse. Ca me dégoute. Ca me semble très loin de moi. Je suis choquée de sa proposition. Mais je continue de lui répondre.
Je ne me souviens plus de la somme proposée, mais à l’époque je sais qe je la trouve alléchante. Attirante. De l’argent facile à gagner, qui va me rassurer, rembourser un peu de ce que je claque inutilement dans les crises de boulimies.
Au fil de la conversation, je me laisse convaincre.
J’accepte.
Je ne me souviens plus de cette première fois. En tout cas, je l’ai sucé contre quelques billets. C’était simple, finalement. Je n’en suis pas ressortie traumatisée ou dégoutée. Juste satisfaite de ce que j’avais gagné, en à peine une demie heure. Plus qu’une soirée entière de baby sitting.
J’ai continué de le revoir régulièrement. A une période, je crois qu’il passait toutes les semaines. Une demie heure à peine. C’était rapide et efficace. Il m’a apprit à bien sucer.
Et puis, j’ai continué les séances photos. J’avais à présent un book de modèle sur internet, où je montrais plusieurs photos de moi. Des portraits, des photos de lingerie, des photos de nus. Des jolies photos selon moi, mais qui attisaient le désir.
Je recevais pas mal de mails.
Entre quelques propositions de photographes professionnels ou d’amateurs ayant des projets artistiques, je recevais parfois des mails plus déviants.
Je répondais à certains.
Perdus au milieu de mes souvenirs, j’ai quelques bribes qui me reviennent, plusieurs épisodes d’une longue série. Je ne sais plus quelle est leur place chronologique. Il n’y a pas de suite logique, ils peuvent se lire dans n’importe quel ordre, de façon indépendante.
Episode 1
Je revois le premier photographe qui m’avait photographié aux Frigos, Laurent. Nous faisons une nouvelle séance photo, en fin d’après midi. Il fait déjà nuit. Je ne sais plus si c’est lors de la deuxième ou de la troisième. Je me souviens qu’il y a « La Nuit je mens » qui résonne dans le couloir froid au milieu duquel je me tiens debout. Je porte un jean taille 34 presque trop grand pour moi, un chemisier léger noir avec de petits pois blanc, des talons hauts Minelli achetés sur le bon coin. Mon chemisier est ouvert, mes petits seins apparents, il vient de me photographier avec son Leica. Il s’approche alors de moi, me carresse les seins et m’embrasse. Il commence ensuite à me caresser le sexe. Ca m’excite. Il passe un appel je ne sais où, et il me dit de le suivre. On entre dans une épicerie et il achète une bouteille de champagne. Puis nous allons à l’hotel. Nous buvons du champagne et nous faisons l’amour. Je sens mon corps désiré et aimé. Je me sens belle. Je frissonne de temps de désir.
Je le revois plusieurs fois. Il ne me paye pas, mais il compte pourtant dans mon cheminement vers la prostitution. Il me fait découvrir une nouvelle façon d’appréhender le sexe, le désir, mon corps. Je découvre une jouissance de situations hors du commun. Il me fait découvrir les clubs libertins et échangistes. A ses côtés, une femme me caresse pour la première fois. Je suce plusieurs hommes à tour de rôles. Je vis des fantasmes avant de les avoir imaginé. J’ai 21 ans, et en quelques mois le sexe se banalise. Je donne mon corps facilement, simplement, naturellement. Je touche les corps des autres et je les fais jouir presque innocemment, avec autant d’évidence que lorsque je fais la bise en rencontrant quelqu’un. Ce que je vis ne me perturbe pas, j’y pense assez peu en rentrant chez moi. Je suis à la découverte de nouvelles sensations et j’en frissonne de plaisir, je me sens vivante.
Episode 2
Il y a une séance très tardive, dans un hôtel des beaux quartiers. Nous avons probablement convenu 150 euros pour une séance de nu.
Il doit être au moins 22h lorsque j’arrive.
L’homme me dit qu’il est fatigué et qu’il n’a pas envie de faire de photos. Il propose un massage à la place. Il est bel homme, plutôt attirant.
J’accepte.
Je ne sais plus à quoi je pense, ce qui me passe par la tête. Je crois que je pense assez peu, que j’agis de façon assez automatique, assez détachée, sans me poser de questions.
Je me souviens qu’il me propose de l’eau de coco.
Je ne sais plus c’est lui qui me masse ou si c’est moi qui le masse.
Bref, on s’en fout, le massage dérive et progressivement se transforme en rapport sexuel.
Nous n’avons rien convenu au préalable. Pas parlé d’argent, de supplément, rien.
Pendant qu’il me pénètre, je me souviens qu’il me dit « Je t’aime ». J’hallucine un peu, c’est la première fois qu’on se voit. Je suis complètement interloquée.
C’est assez représentatif de ce que je vis à l’époque.
Le fait que cette séance photo soit un rendez vous sexuel déguisé me surprend à peine, je ne réagis pas.
Par contre, le fait qu’il me dise je t’aime me fait penser qu’il s’agit d’un gros tarré complètement allumé.
Avant de partir, il me donne 500 euros. Le rendez vous aura duré une heure. Je jubile intérieurement.
Nous nous reverrons quelque fois.
Episode 3
Un homme m’écrit pour me proposer une séance photo avec sa femme. De moins en moins naïve, je pose plusieurs questions assez directes pour lui faire avouer franchement qu’il ne désire en fait pas vraiment faire de photos mais plutôt un plan coquin à 3. Je crois que nous convenons de 200 euros.
Nous nous rencontrons dans l’hôtel Vice Versa de Chantal Thomas.
Je retrouve d’abord la femme devant l’hotel. Nous allons dans la chambre, nous nous embrassons timidement, puis l’homme arrive. Nous commençons à nous caresser mutuellement, à nous déshabiller. Je ne me souviens plus trop de la façon dont les choses se passe. C’est la première fois que je lèche une femme. L’homme me caresse. Il me conduit jusqu’à l’orgasme. Je crois que c’est la première fois qu’un homme me fait jouir.
Je reverrai l’homme plusieurs fois, seule. J’ai de très bons souvenirs avec lui. Des rendez vous dans de beaux hotels, à chaque fois du champagne, du plaisir, des orgasmes. J’aimais embrasser ses lèvres.
Et de l’argent.
Je rencontre un photographe avec qui je commence une vraie relation. Je suis amoureuse, corps et âme. Et en plus, j’adore le sexe avec lui.
Pourtant, à coté, je continue à voir d’autres hommes.
J’ai de nombreux amants, qui ne me paient pas.
J’ai aussi progressivement quelques « clients », qui m’ont à la
base contacté via mon book photo de modèle. J’ai plusieurs clients réguliers.
Je fais des rencontres sexuelles tarifées plusieurs fois par mois.
Je continue mes études à la fac, en Master.
Je continue mes crises de boulimies.
J’ai une double vie. Personne autour de moi n’est au courant ni de mes crises alimentaires, ni de mes rencontres sexuelles, qu’elles soient tarifées ou non.
Je me dis que personne ne le découvrira jamais. C’est mon secret. Si personne ne le sait, ça n’existe pas vraiment. Ce n’est pas grave. Je le gère très bien.
Pour tous mes proches, ma famille et mes amis, je suis une étudiante sérieuse, très mince et surveillant son poids mais sans rien de trop inquiétant, épanouie et fidèle dans son couple. On remarque bien que j’ai une bonne
descente en soirée, que je bois un peu plus que de raison et que je suis souvent la plus saoule des groupes… que je fume pas mal… Mais je suis encore loin de l’image de borderline, fille excessive et autodestructrice que j’ai aujourd’hui.
Les mois passent.
Septembre 2014.
Alors que je sors de chez moi pour m’acheter de quoi faire une crise de boulimie, j’oublie les clé à l’intérieur de mon appartement et je m’enferme dehors. Je fais venir un serrurier et je suis victime d’une arnaque. Je signe un chèque de 900 euros, comme anesthésiée.
J’ai terminé mon Master, je cherche un stage.
J’ai rendez vous pour un entretien. Avant de m’y rendre, je m’achète une bouteille de vin rouge que je bois pour me donner du courage.
Mon entretien se passe bien.
Le lendemain, j’ai rendez vous avec un client. Nous avons échangé plusieurs messages, sur Facebook.
Je vois un photographe avec qui j’ai déjà couché plusieurs fois. Il me prend en photos, je le suce. Je bois plusieurs
coupes de champagne, avec excès.
Il est plus de minuit, je vais chez mon copain.
Je m’effondre, épuisée.
A 3H du matin, il me réveille. Il a regardé mon téléphone et a découvert des messages en « notifications » de l’homme avec qui j’ai rendez vous le lendemain. Des messages assez explicites.
Il me questionne, me force à lui donner les mots de passe de mon Facebook et de ma boite mail de modèle. Je refuse, je refuse, mais il n’abandonne pas. Je finis par abdiquer. J’ouvre devant lui mes boites à secrets.
Il découvre mes différents échanges concernant des rencontres sexuelles tarrifées avec plusieurs hommes. Il lit tout.
Il me pose des questions. Je m’effondre. Il me demande de tout lui raconter, et il réussit. Je lui raconte tout. Je me livre complètement.
Je me dis que c’est la fin, que je suis en train de mourir de honte. Mais en mêmee temps, quelque part, cette vérité me soulage d’un poids.
Je ne parle pas, cependant, des crises de boulimie.
Nous décidons de partir ensemble 10 jours en Normandie, sans prévenir personne.
Nous coupons nos téléphones portables.
Nous parlons beaucoup, et il décide de me donner une chance.
Je jure de changer complètement de vie.
Sous les yeux de mon copain qui vérifie tout, je change de numéro de téléphone, je supprime tous les numéros de cette deuxième vie, amants et clients, je supprime mon compte facebook, mon adresse mail de modèle, mon book photo du jour au lendemain.
J’arrête complètement les séances photos. Je disparais complètement de ce monde.
Suite à ce séjour, quelques personnes proches s’inquiétèrent de ma disparition.
A mon retour, je dévoile la vérité à une de mes meilleures amies. Elle ne me juge pas, et je suis soulagée de sa réaction.
Ma mère me questionne beaucoup. Elle s’inquiète de savoir ce qui s’est passé. Elle ne comprend pas mon changement de numéro de téléphone, ma suppression de Facebook etc.
Un soir, nous allons manger dans une crêperie.
A un moment, après avoir de nouveau parlé des changements brusques qui ont eu lieu, lle me prend la main. Elle me dit « Quoi que tu ai pu faire, sache que je ne te jugerai pas ».
Je comprend alors qu’elle a deviné.
Nous n’en parlerons jamais directement, nous ne mettrons jamais le mot « prostitution » dessus. Mais parfois, nous évoquerons cette période de ma vie, à demi mots, de façon un peu floue, comme s’il s’agissait d’un mauvais rêve qu’on s’efforce oublier.
Je deviens une compagne fidèle. Je ne couche plus qu’avec mon copain.
Mais en secret, e continue les crises de boulimie.
Et je commence à boire, seule, au travail.
Et puis un jour, sans raison particulière, j’y reviens. Je suis toujours avec mon copain. Avec lui, il y a des hauts et des bas. Ce n’est pas simple. Nous nous disputons beaucoup, il exerce sur moi une espèce de domination. J’ai une espèce de reconnaissance éternelle un peu malsaine envers lui, mon dieu, mon roi, qui m’a sortie de cette boue dans laquelle j’étais.
Nous n’habitons pas ensemble. Je sous loue à présent une chambre de bonne, près de la place de la République. Lui habite toujours avec son ex copine. C’est un sujet tabou, qu’il n’aime pas aborder lorsque j’explique que cette situation n’est pas normale et me déplait.
Un jour, donc, j’y reviens.
C’est comme une force plus forte que moi.
Je m’inscris sur un site de petite annonce, et je parle avec plusieurs hommes.
Cette fois, je ne veux pas passer par la photographie.
Il ne faut surtout pas laisser de trace.
Je cherche à me prostituer, c’est clair maintenant, arrêtons l’hypocrisie en déguisant ça en séance photos.
Je commence à faire des rencontres.
Pas très souvent, mais de temps en temps.
Je choisis les clients avec soin, je fais des rencontres qui se passent toujours bien, plutôt sympas.
Ca me fait pas mal d’argent de poche. Je peux payer mes tournées, m’acheter des clopes sans scrupule, de nouvelles fringues. Et puis, payer mes crises de boulimies sans trop culpabiliser. J’en fais de plus en plus. Je m’achète de la bouffe plus chère, même si c’est pour la vomir après.
Le 1er Janvier 2016, je teste la
cocaine pour la 1ere fois avec des copines.
Nous sortons ensuite rejoindre une autre fête chez un copain.
Je passe une soirée merveilleuse. Il y a beaucoup de monde. Je parle facilement.
Je bois beaucoup, mais cette fois je ne subis pas les inconvénients de mon excès de boisson.
Mon copain arrive. Je me sens très à l’aise avec lui. Tout est simple, limpide. Je suis heureuse. En plus, je n’ai même pas faim. Je n’ai pas la sensation de me priver de la nourriture entassée sur la table du salon. Je n’en ai même pas envie. Aucune angoisse par rapport à ces sucreries et ce gras qui d’habitude me supplient de les dévorer.
Cette indifférence par rapport aux aliments m’étonne et me réjouit.
Deux semaines plus tard, j’ai rendez vous chez un client à Belleville. C’est la première fois qu’il fait une rencontre dans ce cadre.
Quand j’arrive, il m’avoue qu’il est en train de prendre de la
cocaine. Il m’en propose. J’explique que je n’en ai pris qu’une fois, au nouvel an il y a deux semaines. Mais j’accepte, excitée de revivre les sensations de cette soirée dont je garde des souvenirs magiques.
Le mec m’explique qu’il vient de rompre, qu’il est perdu, déprimé. Il se ravise finalement, il préfère discuter que d’avoir un rapport sexuel.
Finalement, lorsque je m’apprête à m’en aller, il revient sur sa décision. « On peut essayer » dit il timidement.
Je le suce et il semble apprécier. Il me remercie, il me paye et je m’en vais.
Nous continuons d’échanger.
Nous nous revoyons plusieurs fois. Il ne me paye pas, mais nous passons la soirée à prendre de la
cocaine ensemble. A discuter. A faire l’amour.
Je me confie beaucoup. J’adore les moments avec lui. J’ai l’impression de vivre des moments magiques.
Ca ne va plus très fort avec mon copain.
En avril, le jour de mes 25 ans, j’invite des amis chez moi pour faire la fête. Vers 3h du matin, un peu éméché, mon copain et moi laissons mes invités un instant pour aller chercher des bouteilles d’eau dans sa voiture, qui est garé à une quinzaine de minutes de mon appartement. Avant de sortir, j’enfile rapidement le manteau de mon copain, pour éviter de me faufiler parmi la vingtaine d’invités, entassés dans mes 25m2.
J’ai pris une
cigarette pour fumer sur la route, mais j’ai oublié d’emporter un briquet. Je me sens agitée, j’ai terriblement envie de fumer. Je fouille dans les poches du manteau de mon copain, je trouve un bonbon à la menthe, « La Pie qui chante ». Sans lui demander l’autorisation, j’engouffre le bonbon.
Il se met alors en colère. Il me reproche de lui avoir pris ce bonbon sans le lui demander, me dit que je n’ai pas le droit de m’emparer de quelque chose qui lui appartient, dont il est « propriétaire ». Sa colère est complètement démesurée.
Je retire le bonbon de ma bouche et le remet dans l’emballage, lui répondant sur un ton provocateur. Heurté par mon arrogance, il me donne une forte gifle, ma tête s’envole sous la violence du coup, mes oreilles tintent, je vois des chandelles.
J’entre en crise de nerf, il tente de me calmer, de gérer mon émotion.
Il me demande de me maitriser, que je ne peux pas rentrer à l’appartement en pleine crise d’hystérie, que ça ne se fait pas devant les autres.
Je me calme peu à peu.
Les mois passent. Notre relation se dégrade.
Début juillet, nous avons une forte dispute.
Il me reproche de trop fumer, de trop boire.
Je ne comprend pas ses reproches, qui me semblent infondés. Je suis fatiguée de ces plaintes me concernant, alors que je fume raisonnablement. Je soutiens boire avec modération, que les quelques bières hebdomadaires avec mes copines sont parfaitement normales.
En fait, il m’arrive d’acheter des fioles de vodka que je bois en cachète au travail. Mais je suis dans le déni. Encore une fois, personne ne le sait. Donc, c’est comme si ça n’existait pas vraiment. Tant que personne n’est au courant, ce n’est pas vraiment réel.
J’émet l’idée de se séparer.
Il n’accepte pas le fait que j’aborde cette éventualité. Il donne un coup sur ma porte d’entrée. Quelques jours plus tard, suite à la douleur qui persiste, il se rend aux urgences. Il s’est cassé la main.
Je ne sais plus exactement quand, mais je crois que c’est quelque jours plus tard…
Un après midi, je me décide pour la première fois à appeler un dealer de moi même. J’ai obtenu un numéro quelques jours avant. Je n’ai jamais fait ca, je stress. On m’a expliqué comment faire.
J’envoie un texto « Salut. Machin m’a donné ton numéro. t’es dispo? »
Je recois aussitôt « Oui. Envoi l’adres ».
J’envoie mon adresse, le mec me dit qu’il sera la dans 10min.
Il m’appelle, je sors et j’entre dans sa voiture. Je donne l’argent, il me donne le pochon.
Il me demande s’il garde mon numéro, j’acquiece. Je le trouve très sympa, très « normal ».
Je rentre chez moi, la
cocaïne en poche.
Tout ça s’est fait très rapidement. Très simplement.
Ca aussi.
Comme la prostitution.
Quand on y pense, ça fait peur.
Ca nous semble être un monde obscur, dangereux, très loin de notre vie. Ca nous semble être un monde à part.
Et puis, quand on le fait pour la première fois, on est surpris par la simplicité de la chose. C’est donc « juste » ça ? Ca entre dans notre quotidien comme ça, comme si c’était une chose banale et normale.
Il fallait pas en faire tout un plat.
On l’a fait, mais on est pas transformé, on continue à être la même personne. Même quand on a fait un truc interdit, on en devient pas pour autant quelqu’un d’autre.
Et pourtant …
Si, il y a quelque chose qui change.
Nos limites se transforment.
Le cadre qu’on avait éclate, nos idées sur l’interdit se floute.
Tout devient possible, et pas si grave.
Après cette première fois, je commence à consommer de la
cocaïne seule de plus en plus souvent.
Et, toujours, avant chaque rendez vous tarrifé. Ils en deviennent plus faciles. Je me sens plus sure de moi, plus confiante. Je suis très à l’aise.
Avec mon copain aussi, ça va mieux. Je lui tiens davantage tête. En soirée, je ne suis plus jamais saoule. Il apprécie, car il me reprochait souvent de finir ivre trop souvent.
Et avec la bouffe … C’est magique. Du jour au lendemain , je stoppe les crises de boulimie. Ce qui me suivait et me gâchait la vie depuis plusieurs années cesse comme ca, soudainement, et si facilement.
C’est la
cocaïne qui m’a guéri des troubles alimentaires.
Au début, c’est juste quelques traces de temps en temps.
Un gramme me dure plusieurs jours.
Je paye avec ce que je gagne pendant les rendez vous. C’est de l’argent qui ne se voit pas, qui n’existe pas vraiment. Des sous fantôme, invisibles, que je suis la seule à connaitre.
Le vice nourrit le vice.
En Juillet, suite à ce premier achat et consommations solitaires et secrètes, je ne sais plus combien de grammes j’achète, mais surement pas plus de 3 ou 4.
Le week end du 15 Aout, je pars quelques jours avec mon copain.
J’emmène deux grammes avec moi. Ca me rassure, et ça me donne du courage. Je prends une ligne en cachète de temps en temps. J’écrase la poudre avec une carte Franprix.
J’ai rencontré quelques jours avant un nouveau client, avec qui j’ai partagé plusieurs nuits à prendre de la
cocaine en refaisant le monde. Il ne m’a payé que la première fois. Nous nous sommes revus plusieurs fois. Je raconte tout ça dans mon blog, dans la série « Je suis une rencontre ».
Avec mon copain, on termine notre séjour en allant chez mon père. On passe une bonne soirée dans le jardin, on faisant un barbecue. Je prends plusieurs traces en cachète dans la chambre. Je bois beaucoup. Je me sens un peu en décalage avec la soirée, avec mon copain, avec cette vie là. J’ai l’impression de ne pas être en accord avec tout ça.
Avant d’aller se coucher, je vais boire quelques gorgées d’alcool fort dans l’arrière cuisine, là où sont rangées les bouteilles.
Je le retrouve dans la chambre.
Tout est alors flou dans ma tête.
Je ne me souviens plus de grand chose.
Quelques phrases me reviennent en mémoir, sans lien les unes avec les autres, perdues au milieu de nulle part.
Il me dit « Tu es allée boire de l’alcool avant de monter »
Et puis « C’est quoi cette carte Franprix qui traine par terre ? »
Je lui répond
« Mais non, je ne suis pas allée boire, qu’est ce que tu racontes. »
Et puis « Bah, c’est une carte Franprix tombée de mon sac, qu’est ce que ça peut te faire ? »
Je ne sais plus d’où ça vient, mais je lui dis aussi « Je t’ai trompée ».
Et puis, cela me semble incroyable, mais je crois avoir dit aussi « J’ai recommencé à me prostitué ». Mais je ne sais pas si ce souvenir est juste.
Alors, je me souviens ensuite des coups.
Il me frappe. Je tombe sur le lit suite au choc. Je me relève. Il me frappe de nouveau. Je tombe, je me relève. Et il me frappe encore.
Je me mets à pleurer, à crier.
Je lui ordonne de partir, de quitter cette maison.
Il ne se fait pas prier pour sortir de la pièce. Mais plutôt que de descendre pour s’en aller, il va frapper à la porte de la chambre de mon père.
Mon père se lève et vient ouvrir, les yeux endormis, sans comprendre ce qu’il se passe.
En pleurs, je sanglote « Il m’a frappé ! »
Mon copain demande à parler à mon père.
Ils vont dans la chambre. Je sors fumer une
cigarette dehors, en larmes.
Au bout d’un moment, je les rejoins dans la chambre.
Vous pouvez pas parler de moi comme ça sans que je sois là. C’est pas possible.
Leur conversation prend fin.
Mon père déclare que nous ne pouvons pas continuer ensemble comme ca.
Il demande à mon copain de partir.
Il demande à me dire au revoir.
Comme une petite chose fragile, je suis recroquevillée sur le lit. Je regarde mon copain avec crainte. Je le laisse m’enlacer et m’embrasser les cheveux affectueusement et tristement. Je tremble presque.
Il s’en va. Je vois les phrares de sa voiture s’allumer, et rouler sur les graviers du jardin. Le bruit du moteur s’éloigne. Il est partit.
Je ne l’ai jamais revu.
Mon père et moi sortons fumer une
cigarette.
Je demande à mon père « Il t’a dit quoi ? »
Le regard triste, il me répond « Des choses… »
Très directement, je ne sais aujourd’hui pas pourquoi et comment j’ai eu le courage de lui poser cette question, mais probablement parce que je connaissais déjà la réponse et que je me sentais incapable de rester dans le doute et le silence, je demande : « Il t’a dit que je m’étais prostituée? »
Mon père acquiece.
Je passe une nuit épouvantable.
Le lendemain, il me raccompagne en voiture à Paris.
Je crois que nous n’en parlons pas.
Le week end suivant, je vais passer deux jours chez ma mère.
Je suis décidée à lui expliquer ce qui s’est passé la semaine précédente avec mon copain, notre dispute, sa violence.
En omettant, bien sur, la prostitution.
Elle vient me chercher à la gare.
Nous nous installons dans le salon pour prendre l’apéro.
Je me décide à lui parler, je prends une grande inspiration.
Mais alors que je m’apprête à dire « Il faut que je te parle », elle me précède et me dit « Je suis au courant ».
Quoi ??
Elle m’explique que mon copain lui a téléphoné, et lui a tout expliqué. Sa perte de contrôle. La prostitution. Ma boulimie.
Je me sens trahie. C’est comme une nouvelle violence. On m’a volé ma parole.
Je nie.
J’affirme que la prostitution est une histoire ancienne, qu’elle connaissait déjà. Il a inventé cela car j’ai avoué l’avoir trompé récemment. Mais rien à voir avec la prostitution. Et la boulimie, oui j’en ai souffert, mais je l’ai surmonté. Il a raconté n’importe quoi pour la manipuler. Je nie en bloc.
Elle décide de me croire. Elle s’inquiète pour moi, mais condamne la violence que mon copain a eu envers moi. Quoi que j’ai pu faire. Elle me fait comprendre qu’elle me soutient, d’abord. Mais elle est inquiète, malgré tout. Elle ne sait pas si elle doit croire ce qu’il lui a confié.
Je commence à consommer de la
cocaine au travail. Je me mets à y aller après avoir fait des nuits blanches.
Je suis épuisée, à fleur de peau.
Deux semaines après l’épisode avec mon copain, j’ai une grosse altercation avec ma patronne. Elle me crie dessus, je me mets à pleurer.
Elle m’enferme dans une pièce et m’oblige à servir les clients alors que je suis en sanglots. Elle refuse que j’aille aux toilettes me rafraichir.
Je suis à bout. Mais je décide de rester, de tenir jusqu’à la fin de la journée. Les heures s’étirent et passent péniblement, au ralenti.
Et la fin de journée arrive. Je m’en vais. Je suis ravagée, humiliée, au bout du rouleau.
Je me mets en arrêt maladie et je demande une rupture conventionnelle qui est acceptée.
C’est le début du mois de septembre. C’est le début de l’année. C’est aussi le début de la fin.
Je me mets à consommer de la
cocaine tous les jours.
Les quelques traces quotidiennes appartiennent désormais au passé. Elles se sont transformé en un gramme quotidien.
Mes quelques rendez vous mensuels ne suffisent plus à financer ma consommation.
En plus, je ne travaille plus.
Dans ma tête, je m’en réjouis presque. Ca va me laisser plus de temps. Maintenant, je n’ai plus de contraintes. Je peux faire des rencontres tarrifées comme je le souhaite. Si je ne dois plus aller au travail, je peux faire des rendez vous plus tardifs. Et plus souvent.
Je commence à multiplier les rendez vous.
Plus j’ai d’argent, plus je consomme.
En Octobre, je me fais cambriolée.
Même si je n’en ai jamais eu la certitude, je soupçonne un de mes dealers d’en être à l’origine. Je ne le rappellerai plus.
Je perds tout, sauf mon ordinateur que j’avais avec moi.
Mes appareils photos. Mes disques durs avec toute ma vie dessus : mes photos de modèle, mes photos souvenirs, mes textes, mes travaux …
J’ai perdu mon copain, mon travail, la sécurité de mon appartement.
Je sombre dans la dépression.
Je deviens peu à peu parano. J’ai l’impression que des clients ou mon ex copain sont dans mon jardin en train de m’épier.
Je n’arrive plus à sortir de chez moi.
Désormais, au lieu de me déplacer, je reçois les clients chez moi.
Les rendez vous me deviennent progressivement pénibles.
Je suis fatiguée.
Il m’arrive de consommer jusqu’à 3g de
cocaïne par jour.
Mes besoins d’argent augmentent.
Il me faut de plus en plus de rendez vous.
J’en deviens moins exigente, plus impatiente.
Je ne programme jamais les rendez vous à l’avance, j’en cherche toujours pour l’immédiat.
Je passe parfois des nuits entière sur le site désespérément à la recherche d’un rendez vous que je ne trouve pas.
J’accepte parfois des rencontres dont les conditions ne me conviennent pas vraiment. Je baisse mes prix, car il me faut absolument de l’argent, et que peu c’est toujours mieux que rien.
Je vis la prostition de plus en plus mal.
Avant, cela m’amusait presque.
Cela m’excitait, me nourrissait. Je me sentais vivante, extraordinaire, désirable. J’aimais le sexe, et joindre l’utile et l’agréable me semblait comme une évidence.
Même si cette vie restait secrète, je n’avais pas la sensation de me faire violence. C’était facile, presque agréable.
A présent, je le vis comme une contrainte, comme une autodestruction, comme un manque de respect vis à vis de moi mme.
Je me force parfois à me connecter sur le site alors que je n’en ai pas envie.
Je conviens d’un rendez vous alors que je suis fatiguée, mal dans mon corps, transpirante, tremblante.
Je me sens à coté de moi mme.
Je sais que je suis en pleine déchéance, mais j’essaie de me persuader que ce n’est qu’un mauvais moment à passer qui ne va pas durer longtemps.
Les
descentes sont de plus en plus pénibles.
Je décide d’aller voir une psy que m’a conseillé une amie.
Dès le premier rendez vous, il est évident que j’ai trouvé la bonne personne.
Cette psy me plait immédiatement.
Nous nous voyons une fois par semaine.
Je la paye en liquide, avec l’argent que je gagne pendant les rendez vous.
Je lui dévoile ma vie, je lui raconte mon histoire.
Cependant, je ne raconte pas la
cocaine. Impossible pour moi. Ce n’est même pas que je n’y arrive pas, mais il est évident pour moi au début que je ne lui en parlerai pas.
Comme la boulimie au début, comme la prostitutiton, cela « n’existe pas » encore vraiment. personne n’est au courant, alors ce n’est pas vraiment réel.
Tant que cela reste secret, ce n’est mêmee pas vraiment vrai pour moi.
Je crois que c’est ce qu’on appelle le déni.
Je consomme tous les jours, entre 1 et 3g, mais je pense encore que ce n’est que passager. Je me répète que je vais bientôt arrêter.
Je me rends souvent aux rendez vous en pleine
descente. Je pleure comme une madeleine, complètement effondrée.
Je suis en épuisement physique et mentale.
Comme je n’arrive plus à vivre chez moi, des copines me proposent de m’heberger temporairement.
L’une d’entre elle, celle avec qui j’ai pris de la
cocaïne pour la première fois, me prête son studio dans lequel elle ne vit pas vraiment, car elle dort la plupart du temps chez son copain.
Je continue de consommer de la
cocaine chez elle.
Et je continue les rendez vous. Parfois chez le client, parfois chez elle. Je culpabilise un peu de recevoir dans l’appartement de mon amie, mais c’est plus fort que moi.
Je suis de plus en plus mal. j’ai l’impression de me détruire.
Un matin, en pleine
descente, j’appelle mon père à 5h30, en sanglots. (Oui , encore ! c’est une période pendant laquelle je pleure beaucoup !)
Mes parents s’inquiètent beaucoup.
Mon entourage mettent ma dépression sur le compte des événements difficiles qui ont eu lieux successivement : mes ruptures avec mon copain et mon travail, mon cambriolage. Personne ne se doute de mes dérives.
Au fil des séances avec ma psy, il m’apparait que je ne veux plus me prostituer. Que cela me fait du mal. Que j’ai envie d’arrêter.
J’espace progressivement les séances. Je me dis aussi que sans l’argent des rendez vous, je n’aurai plus de quoi me payer la
cocaine, et que cela m’obligera à arrêter.
Peu à peu, j’espace les rendez vous.
Fin décembre, je quitte Paris pour retourner en province chez ma mère.
Je retourne tous les 15 jours à Paris, car j’ai commencé une nouvelle activité que j’exerce deux fois par mois. A chaque fois, je reprends de la
cocaine. Je reviens à chaque fois chez ma mère en
descente, épuisée, sans avoir dormi depuis 1, 2 ou 3 jours. Elle en conclue que Paris ne me fait pas du bien, mais ne se doute toujours de rien.
En Mars, je sous loue l’appartement d’une amie. Je suis malgré moi, toute excitée à l’idée de retrouver ma vie d’avant. Je vais pouvoir refaire des rendez vous, gagner plein de sous et m’acheter de la
cocaine.
Mais en fait, je n’arrive plus à faire de rendez vous. Je ne sais pas pourquoi, je ne trouve pas de clients. Et parfois je me dégonfle, trop cocainée pour assurer le rendez vous.
Je consomme 3g par jour.
Pour la première fois, je commence à retirer de l’argent pour acheter.
En quelques semaines, je me retrouve à découvert.
J’avais touché des sous par mon assurance suite à mon cambriolage, les 2 tiers disparaissent dans la
cocaine.
Je continue de vivre comme quand je me prostituais.
Mais en très peu de temps, je réalise que je n’en ai pas les moyens.
Je gagnais avant un véritable salaire. Ce n’est plus le cas. Je dois revoir ma façon de vivre.
Je ne peux plus me permettre de consommer de la
cocaine, mais pourtant je continue.
Je réalise que j’ai un problème, et que j’ai besoin d’aide.
Un jour, alors que j’ai rendez vous l’après midi avec ma psy, je lui téléphone et je tombe sur son répondeur. Je lui laisse un message.
Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ca, mais il se trouve que je l’ai enregistré, ce message que je lui ai laissé. Sans doute que je sentais qu’il s’agissait d’un moment important.
La voix tremblante, fragile, un peu nasillarde, je réécoute parfois ce message, après avoir consommé de la
cocaine. Il m’aide à me détendre, à m’endormir.
Ce message, ll disait cela : « Bonjour Delphine. Je voulais vous dire que je pense que je ne vais pas avoir le courage de venir aujourd’hui au rendez vous … (Longue pause) En fait, il y a quelque chose dont je vous ai encore jamais parlé mais je pense que ça ne sert à rien de continuer de venir, sans parler de ça . Donc là, je suis en train d’essayer d’écrire là dessus … Je l’avais encore jamais fait. Donc je sais pas si je pourrais vous envoyer ca, ou s’il faut absolument parler dans le cadre de la thérapie mais … voilà … Enfin, vous pouvez me rappeler, quand vous avez mon message. Merci, à tout à l’heure. »
Je n’ai pas dormi de la nuit, j’ai du prendre un gramme. Je dois être à mon deuxième.
Elle me rappelle un peu après. Je n’ai plus la notion du temps.
Elle comprend que je n’ai pas le courage de venir au rendez vous, et elle me propose de venir me retrouver là où je suis.
J’hésite, mais je finis par accepter.
Je me sens prêtte à avouer mon problème, même si je sens que les mots vont être difficiles à prononcer.
Avant de lui téléphoné, j’avais ouvert une page vierge sur mon ordinateur et commencé à écrire.
Au bout d’une ou deux pages, j’arrive à écrire ces mots là. C’est une première étape pour moi. « JE SUIS ACCRO A LA
COCAINE ».
Mais je digresse.
Je ne sais pas si quelqu’un a été assez courageux pour lire mes lignes et en arriver jusqu’ici.
Bref, je pense qu’il est assez évident pour le lecteur que j’écris tout ça en prenant de la
cocaïne. Ca me rend très locace, démesurément inspirée.
J’ai beaucoup détaillée, et je me suis largement éloigné du sujet initial de la prostitution.
Je vais essayer d’abréger, car je n’ai plus beaucoup de produit et ma motivation commence à s’estomper.
J’ai avoué à ma psy que j’étais accro à la
cocaine. Je suis allée voir un psychiatre qui m’a prescrit du
prozac. J’ai parlé de mon problème à une première amie proche, puis à une deuxième. J’ai décidé d’aller dans un centre de post cure pour me soigner.
Mais avant cela, il m’a semblé nécessaire de dire la vérité à ma mère. J’avais besoin d’en parler pour avancer, de reconnaitre mon problème et de recevoir le soutien de mes proches.
Comme je savais à l’avance que cela allait lui faire du mal, la chagriner, voir la bouleverser, j’ai décidé d’en parler au préalable à ma tante. Elle devait venir manger avec nous le soir de mon retour.
Pour qu’elle ne soit pas seule à recevoir cette nouvelle, et qu’il y ait quelqu’un pour la soutenir.
Ma tante est venue me chercher à la gare. J’avais eu 26 ans 4 jours plus tôt. Je n’avais pas dormi depuis 72 heures. J’avais racheté encore un gramme avant de prendre le train.
Ma mère avait prévu un repas pour mon anniversaire avec ma tante ce soir là.
J’étais complètement à coté de mes pompes, le nez bouché, la voix cassée d’avoir trop fumé.
A peine arrivés, debout entre la cuisine et le salon, ma tante déclare à ma mère « Elle a quelque chose à te dire qui va pas te faire plaisir ». Ma mère ne comprend pas ce qui se passe.
Je bafouille alors « Alors voilà, j’ai la raison de mon mal être de ses derniers mois… »
- Ah bon ? s’étonne ma mère. Cela m’encourage à poursuivre, elle a l’air presque soulagée qu’il y ait une explication à mon état, à ces crises de larmes, à ce sommeil sans fin, à ces retours de Paris tremblotante, à mon renfermement sur moi même.
Je poursuis : « Ben en fait, voilà … Je prends de la drogue ». J’ai un petit rire inattendu en disant cela. Je n’explique pas ce petit rire inapproprié. Il était surement la pour dédramatiser la situation, pour me protéger d’un surplus d’émotion.
Ma mère se retourne. Il y a un moment de suspension.
Puis, elle se met à crier. A hurler qu’elle en a mare, qu’elle n’en peut plus de moi. Elle demande « Mais quand est ce que tu vas enfin me foutre la paix ? Tu veux faire quoi après, tu veux aller en prison c’est ca? »
Elle se tourne vers ma tante : « Et tu sais qu’elle s’est prostituée, en plus ? »
Je vais m’arrêter là pour aujourd’hui.
J’ai terminé la poudre qui rendait mes doigts si bavards sur le clavier.
Je continuerai une prochaine fois.
Merci de m’avoir lu, s’il y en a.
Et pardon pour toutes mes digressions.