Supermarchés pour toxicomanes, simple effet d’un marché criminalisé. Mais comment c’est?
Attention ce n’est pas un partage de plan, mais d’expérience.
Je n’avais jamais connu que le dealer de ma rue, et des plans appart’, livraison.
Et j’ai fini par perdre contact. Pedru le goût et la patience de courir après Débrino le Zaïrois ou Dédé la cuiller.
Un jour, un de mes anciens fournisseur, Jean-Mi le Français, m’appelle «il faut que tu m’accompagnes à Champigny pécho» «quoi? Sans pine il fait chaud? Ah pécho! J’ai arrêté l’héro» «rends-moi service, j’ai besoin de toi» il était où, quand j’avais besoin de lui?.
Il m’explique qu’il a été deux fois en garde à vue, et que sa voiture est grillée.
Il a une 607, et moi...une super cinq rouge, discret!
J’ai été très étonné d’aller pécho en prenant l’autoroute, encore plus par Champigny, mais c’est dans Spirou!
‘Détrompes-toi, Champigny sur marne, c’est un terrain très ancien, et très connu.’
Les Mordacs
Nous arrivons dans un endroit qui paraît perdu.
Le nom de la cité est tout un programme, les Mordacs, je ne veux pas stigmatiser ceux qui y habitent, j’en connais, mais c’était «la zone». Avant la rénovation urbaine, qui à mon avis de l’époque n’allait rien changer. En fait pour ici, si, ça a marché, le plan s’est essoufflé, a migré. Pour qu’un plan soit un vrai terrain, il faut qu’il y ait du monde, tout le temps et pas d’attente, même pas une minute, grillé. Et ce n’était plus ce que c’était, avant ça s’y prêtait tant!
J’avoue qu’après avoir, toute ma vie, attendu la voiture luxueuse de mon dealer au coin de la rue, un arrêt minute, n’était pas une idée pour me déplaire. Surtout depuis que j’avais quitté mon quartier.
Et puis, maintenant, j’avais un véhicule.
Nous arrivons tous les deux, après un stop pour qu’il me rejoigne dans ma Renault écarlate, deux portes, quittant le confort de ses sièges en cuir. Je suis immatriculé dans le 93, lui dans le 92, nous sommes dans le joli 94. Bords de marne, Vincennes...et les Mordacs. Et moult autres quartiers sans cibles (c'est nul, mais pas moins que la vraie expression), oui, désoeuvrés...
Le lieu est lugubre, après avoir pénétré dans un couloir sombre, menant sur une galerie commerçante désertée, on débouche sur une placette, à l’abri des regards. Le seul commerce qui reste, est un bar
tabac PMU, ici on est spécialisé dans l’addiction!
Jean-Louis et Robert s’engueulent devant la porte, gitane au bec et haleine anisée.
Au bout du corridor, une dalle, vide, rideaux de fers tirés, et des issues de partout...très propice à l’activité qui nous amène. Au mur un tag «nike la police» fait la paire avec un «vive ben Laden», devant les halls, on prépare un couscous pour tous, les gens sont sympas. Pas tous.
Plus on avance, plus les mecs du coin nous matent, nous encerclent, et nous agressent un par un. Ils font chacun le coup de pression pour nous servir. Ces gars ont une trentaine d’année au moins.
L’un d’eux, un robeu nerveux, bien gras fait s’écarter les parasites. «wesh tu veux QUOI enculé?!!» s’il m’avait demandé mon porte feuille et le numéro de ma sœur sur ce ton, je les donnais!
Le gars dit, ok de la H?
Oui deux.
Cent euros. 50 le g, c’est 20 de plus que d’habitude (mais la qualité peut, ça dépend, être très bonne). Surtout, en y retournant, je m’apercevrai que les mecs lui prenaient 10e de trop!
C’est 40 le prix en banlieue de 2008 à 2014 (selon mon expérience). Enfin le gramme, après, il y en a pour toutes les bourses, et ça varie, peu (aux Beaudottes ils donnent des boulettes à dix euros, 5 pour un gramme, 50e).
Mon ancien vendeur vient de me faire découvrir les Mordacs et Champigny sur Marne. Je vais y passer beaucoup de temps, quand je ne serai pas dans les cités du 93.
Celles-ci, dans le 93, j’y suis allé au culot, et puis c’est là que j’habitais. Alors on me connaissait à Pantin, mais pas à Aubervilliers, au début, où j’ai trouvé à Jules Vallès (n’y allez pas c’est fini) un dealer de blanche (héro) qu’on vient voir depuis Versailles, pour un gramme à 40e…
Pour ouvrir de nouvelles routes, il faut prendre des risques. La seule fois où j’ai pécho de l’héro dans la rue à Paris, c’était à Chateau d’eau. A l’époque.
Donc découvrir ce terrain de jeu, fabuleux. Dur à trouver au début, j’ai connu là-bas la nouvelle génération. Celle d’après les vieux zonards du ghetto qui ont été déporté en maison d’arrêt où ailleurs.
Désormais les jeunes ont 16 ans et travaillent pour des grands. Qui ne laissent pas tout de suite la place.
Un jour j’ai traité avec un vrai mec, un daron de 100kg pas un gosse, les flics sont arrivés. Il venait de prendre mon argent, oui avant, mais il y a des gars que tu sens et lui, rien qu’à sa voix, était mon ami.
Il planque ses 5 000 euros dans ses couilles, et ses dizaines de sachets je ne sais où. Les keufs sont dans le hall et nous cherchent.on est dans l’escalier, au dernier, on les entend. On dirait qu’ils montent, non, c’est bon?
Et c’est là qu’il part avec ma thune dans les étages du bas.
Là normalement, le gars n’a aucun intérêt à revenir me servir.
Et bien, il revient, et me sert. Puis me salue avec cette façon de parler disparue depuis, des vieux requins vicieux ou dans le genre. En fait des mecs qui ont une mental’.
Puis ce fut les trajets hebdomadaires, toujours au détail.
Ils ont refait la cité, qui n’était plus glauque du tout. J’avais cru que ce n’était qu’un coup d’épée dans l’eau concernant le trafic. Mais non, le
coupe gorge, décrit au début a disparu.
Les voyous voyants, volatilisés (en cage), avec la zone et la peinture décrépie. Pour laisser la place à des enfants, qui ne savant même pas ce qu’est le queman, mais qui sont moins voyants, et ne tapent pas dedans.
Toutefois, le biz se concentre dans un autre quartier, dont les Mordacs ne sont qu’une mini succursale. Et finalement la source se tarit. Quand j’arrivais aux Mordacs, avec ma voiture rouge, ils me repéraient de loin. «c’est Monsieur un plus un» (je le sais par d’autres habitants). Je prenais "un g de H un g de C" Un plus Un qui finissaient chacun dans une narine, sur le parking. 100e, et dix minutes après tout était dans mon sang.
En shoot, pas tout d'un coup...Je revenais aussi léger qu'un drogué sans billets.
Toujours la même commande, au drive in, non ils ne servent pas au volant.
Il faut aller dans une cage d’escalier qui pue la pisse, pendant l’attente, un à 10 minutes (au delà je pars, si j’ai un autre plan). Quand j’étais là dedans, au rdc de la tour, je me demandais combien de temps de ma vie, j’avais, ainsi, patienté dans un escalier pourri, juste pour du techi.
J’ai rencontré un bon vendeur, qui faisait
héro et coco, par téléphone, livraisons et tout. Surtout il avait, était honnête, oui on peut être un dealer honnête, d’ailleurs si on ne l’est pas, avec les clients, c’est éphémère.
Un jour, Las, c’est son nom, me donne rendez-vous à Bois l’Abbé, le nom d’un quartier très connu à Champigny, pour son attaque au mortier du commissariat chaque 14 juillet. Et, bien que je l’ignorasse, pour le trafic d’héroïne.
On parle surtout
héroïne et
cocaïne, mais si tu veux du
shit, pour avoir quelque chose à fumer ou à donner aux policiers...Dix euros (il disent, entre eux, un rouge, couleur du billet), 4 grammes de
shit! Que je jetais en plus, parfois. Je ne fumais pas.
Le quartier de Bois l’Abbé n’a l’air de rien, ou plutôt de tout sauf un lieu de deal ou la zone.
Le journal Le Parisien a fait un reportage sur les cités de la
came, le supermarché de l’héroïne, saisies de 10kg. Oui, mais quand ils ont voulu illustrer, pour montrer, comme ils l’écrivent, la catastrophe pour les habitants (ce qui n’est pas vrai), ils n’ont pas trouvé de photo! Le quartier étant beau, propre et bien tenu, on a trouvé un caddie renversé devant un immeuble tout beau, mais flou! Bravo l’info.
En plus tout se fait devant le commissariat! C’est pas secret mais discret on peut très bien l’ignorer.
Non il n’y a pas de rapport avec Servran/Aulnay au niveau qualité de vie, danger…
Même la petite cité de Rougemont, Sevran, qui n'est pas Chicago, est plus bordélique. Plus il y a de biz, plus c'est calme, sauf le jour de la fête nationale. Et entre eux...
Un soir où il n’y avait personne aux Mordacs, je vais à Bois l’Abbé, et je demande à deux jeunes noirs bourrés un demi de C.
A ce moment là j’ignore encore s’ils vendent.
Le gars pose un sachet, à un mètre de moi, et part puis revient prendre les sous (j’aurais pu partir avec). Super, 2h du mat 30e, un demi. Mais où ai-je garé ma voiture?
J’ai une superstition, ne jamais acheter de
stéribox quand je n’ai pas encore pécho. 2H du mat..Donc je n'ai rien.
Mais la topographie fait bien les choses, tout est une question de connaissance du terrain, et de maîtrise du temps. Un
distribox n’est pas loin. Il y a une appli pour ça? Avec le nombre de kits restant et la position des patrouilles de police!
Il y a une liste des
distribox, sur le net.
J’ai occupé pas mal de terrain et de temps, pour cette fois, je raconterai la suite, Bois l’Abbé, Champigny sur
came, la prochaine fois…
Tu veux combien? Un plus un, oui c’est prêt, dès qu’on voit ta caisse au loin, on prépare ton keutru, t’a vu. Va dans la tour, j’arrive.
C’était pour les Mordacs, il y a plusieurs gros terrains à Champigny, pour le
shit seulement il y a deux très gros, et l’héro, la C avec les vieux clients de quarante ans et les nouveaux, se concentrent surtout dans les cités citées.
Il vont apprendre à me connaître, bon client ou bonne poire.
A bois l’Abbé on me donnera d’autres surnoms...une mauvaise (bonne) réputation.
Ce fut et c’est peut-être encore, un des plans les plus faciles et fiables.
Mais ça ne dure pas, les équipes changent et les nouvelles têtes sont mal reçues, après les
descentes.
C’était il y a quelque temps, 5 ans. Mais c’est un plan historique, pas prêt de sa tarir avec la transition assurée par la C, après la H.. Pour l’instant, ça va ensemble.
Les Mordacs c’est mort.
En gros il y a des hauts et des bas, n’y allez pas, faites vous, plutôt, bercer par les récits nostalgiques, de personnes qui préféreraient se passer de ses souvenirs, et regrettent de les avoir fabriqué.
Une prochaine fois, Bois l’Abbé, le "supermarché" pour Le Parisien, et la messe est dite.