Je prend des drogues pour rester en vie. Je prends des drogues potentiellement mortelles pour pas crever. Pour lutter quelques minutes, quelques heures, contre la quasi certitude qui m'étreint : je n'ai plus grand chose à faire ni à vivre. Je suis un échec ambulant, l'inutilité personnifiée.
Ma sœur faisait attention à sa santé. Elle buvait de l'
alcool raisonnablement, du moins la plupart du temps. Elle buvait de l'eau dans des gourdes en métal pour ne pas ingérer de particules de plastique. Elle courait tous les jours sur les quais de Seine pendant les confinements. Après s'être fracturé le coude, elle veillait à ne pas prendre trop de médicaments, en particulier les
opiacés, pour ne pas risquer la dépendance et éviter tout effet malencontreux sur sa santé. Ma sœur faisait de la randonnée et contrôlait parfaitement son alimentation. Ma sœur, paraît-il, fumait des
cigarettes, mais elle n'a que très rarement fumé devant moi, alors que j'ai été une grosse fumeuse très peu portée sur le jugement envers ceux qui fumaient avec moi.
Ma sœur était belle, en bonne santé, mince très mince, et avait accumulé les diplômes jusqu'à obtenir un job d'un certain prestige.
Ma petite sœur, que j'avais biberonnée, a franchi des étapes importantes de la vie professionnelle avant moi.
Ma sœur était hypersensible et sans doute dépressive. Ma sœur s'est suicidée et a mis 6 semaines à mourir de sa tentative de suicide dans les hôpitaux de l'AP-HP.
Et aujourd'hui je prends des drogues pour elle, à sa place, des drogues qui auraient pu lui amener un peu de gaieté ou soulager ses nombreuses et terribles douleurs. Je prends des drogues pour rester en vie, pour lutter contre l'envie de la rejoindre. Je prends ce qui me tombe sous la main en essayant de gérer entre l'envie de crever et la nécessité d'atténuer mes douleurs.