Une dizaine de jours après mon retour en saison, après 3 ans d'absenceQuasi 3 ans qu'on ne s'était pas vu, je me pensais prêt, blindé. Prêt à rejoindre cette raïa d'âmes tordues, terribles et géniales. Cette bande qui se retrouve chaque été - soi disant pour ramasser des fruits - dans une ruine magique, perdue en campagne, au sommet d'un plateau, sans voisin pour nous emmerder. Un terrain de jeu propice à toutes les conneries dont on peut rêver, avec bien sur
alcool et drogues à profusion. Un lieu qui en a fait fuir plus d'un et plus d'une, tellement c'est fort. Une espèce de zone d'autonomie temporaire du rire et de la déglingue, où même les patrons n'osent pas vraiment approcher.
Tu m'étonnes que ça me manquait, comment se passer d'autant de liberté ? Mais là bas, il y a aussi elle, et notre histoire terrible, beaucoup trop triste. On avait enfin coupé les ponts, après 7 ans de montagnes russes émotionnelles. Dans la douleur et la colère pour moi, une nouvelle histoire qui démarrait pour elle.
Quasi 3 ans qu'on ne s'était pas vu. 3 ans où j'ai essayé de me ranger, de me convaincre que faire la bringue ne me rendra pas heureux, essayer d'autres choses, de me sédentariser, tout en me défonçant de plus en plus, subir mon dos et une sciatique, découvrir le monde merveilleusement pratique des médocs. Et le souvenir amer en travers de la gueule de ce lieu, de cette bande, d'elle.
Mais je me sentais prêt depuis mon 'blast'. Prêt à remettre le couvert pour 2 semaines de cinglé. Avec elle, essayer de partager cet espace sans se faire de mal.
Le retour a été à la hauteur, les retrouvailles, les idées loufoques qu'on emmène jusqu'au bout, des conneries aussi drôles que destructrices. Le rythme intense de la dope et de l'
alcool, du manque de sommeil et de nourriture, et des 8h de taf quotidienne bien sur. C'est l'éclate, l'extase, on se marre.
La cohabitation avec elle tient bon, quelques échanges bienveillants, guère plus, peut être serait-ce suffisant.
Et une nuit, elle revient, se blottit contre moi, je l'enlace, on s'embrasse, du bout des lèvres. Mon corps, ma tête, mon âme s'enflamme et explose. Feux d'artifices d'émotions, bien au delà de ce que la défonce peut offrir. Mais tous les pansements et toutes les agrafes sautent en même temps, je m'en rendrais compte bien vite.
Un événement quelconque nous sépare. Dans nos yeux, on se veut, On réalise aussi que c'est dangereux et que tous les potes nous surveillent. Ils savent qu'elle et moi, ensemble, ça peut faire beaucoup de dégâts. Mais comment dire non à cette explosion de bonheur ?
Finalement nous n'iront pas plus loin, grâce ou à cause d'elle, plus forte que moi. On recommence à se parler, les vieux schémas ressortent, on marche sur des œufs. Mais elle est ferme, décidée, tristement rationnelle.
Et moi je repars de zéro. les 3 ans de soin sur ma plaie ont disparus. Je suis en chien d'elle, c'est pire que la
came. La boucle infernale des pensées stériles s'est remise en route et ne me lâche plus. Je constate aussi que tout a l'air plus simple pour elle, ça m'enrage et me culpabilise. Et pour achever le tableau, je me suis refait mal, vraiment fort, au dos. J'ai forcé au boulot malgré les cris de mon corps en lettres de feu qui me disait d'arrêter, pour rester avec elle dans les champs, la regarder de loin, rire, épanouie.
Mais un faux mouvement m'achève, une sciatique brûlante me laboure nuit et jour, je ne travaille plus, me défonce d'autant plus, essayant de ne pas répandre ma tristesse pour ne pas emmerder les autres, ils m'ont déjà trop subi par le passé.
Dans quelques jours, la bande se dispersera pour retourner à la vie d'en bas et je vais sûrement me retrouver bloqué ici, incapable de conduire. Avec une douleur permanente, des souvenirs lancinants, un amour stérile, une colère et une honte d'être retombé. Je ne me sens absolument pas prêt à recommencer tout le travail de soin de mon dos, le parcours des
docs, des kinés, des IRMs, retrouver le sombre plaisir du
skenan ou de l'
oxy. Me traîner cet énième échec cuisant, cette tentative ratée, et la solitude amère. Je suis dans la merde, j'angoisse à mort de ce qui m'attend et de savoir que je reviendrais sûrement l'année prochaine parce que je continue à la regarder s'amuser, avec un infime espoir malsain que nos corps et nos cœurs se rencontrent à nouveau.