Paris 19, du vendredi, 23 novembre 2012
Novembre et décembre, jolis mois des morts, jolis mois des fêtes.
Novembre et décembre, les mois qui savent tuer les enfants, ceux que Barbara a chanté dans les enfants de Novembre, et Si d'amour à mort.
De l'assassinat d'Etat de Malik Oussekine en 1986 à mon suicide à crédit en 1992, c'est la bonne période pour partir aux jeunes âmes. Mourir au printemps où en été quand on est enfant, jeune, ou dans la force de l'âge, c'est commettre faute de goût. C'est empêcher que la tristesse soit glauque et totale.
J'aurai tant voulu que ce mois de novembre fut le dernier.
Sept heures du matin, je ne suis pas couché.
Comme chaque jour dorénavant.
Dès que le soleil, ou la lumière embrumée naÎtra sur la place des Fêtes, j'irai me terrer dans ma chambre, obscurité toute jusqu'à ce que l'alarme du réveil me tire de ma torpeur; à onze heures ou midi, la bouche pâteuse de l'excès de Champagne, les narines endolories par l'abus de colombienne, les couilles pleines de frustration d'avoir chassé jusqu'au bout sans vraiment chercher, et le coeur vide de toi.
Il me faudra alors accueillir la nouvelle domestique, la troisième en deux semaines, repasser les mêmes consignes, planquer ce qui doit l'être, accepter de ne pas être totalement libre chez soi pour échapper aux corvées ancillaires qui me débectent et que je suis par ailleurs totalement incapable d'assumer.
Violence qu'est la résolution à me coucher, comme si j'allais rater quelque chose d'important dans ma vie (ta venue inopinée ? ) autre héritage de mon aïeule Anaïs qui passa sa vie à attendre ce père disparu corps et bien entre 1898 et 1902.
Moi, je sais qui j'attends, c'est toi, l'artisan qui saurait me faire sortir de cette spirale infernale qui a pris le contrôle de ma volonté depuis 6 mois, mais dans le respect de ma totale indépendance, sans en souffrir, ou bien j'attends la faucheuse que je provoque depuis 20 ans, et avec laquelle je joue chaque jour, inventant des alchimies légales ou non qui échouent toujours. Je sens bien parfois que je finis par le faire réagir, ce muscle cardiaque, je sais dorénavant générer des douleurs, mais il résiste et la force dont la nature m'a doté me condamne à vivre d'autres mois de novembre, d'autres mois de décembre.
Comme je le disais plus haut, e fuis dorénavant les journées comme ces infirmes génétiques atteints de protoporphyrie érytropoïétique : la lumière mère de toute vie nous tue.
Sept heures du matin.
Douze heures avant, j'avais ma mère au téléphone.
Elle venait de se coucher, je la réveillasi presque.
Plus tôt, à quatorze heures elle avait appelé, je sortais d'un plan cul à domicile pitoyable, comme souvent, avec un mec dont je n'aurai jamais voulu s'il n'avait fait l'effort de se déplacer. Je m'étais pourtant fait sauter deux heures avant par une bombe et avait le matin même déboité le cul d'un jeune gymnaste à Javel, l'autre bout de Paris.
Toxicomane du cul sans plus savoir jouir. Je chasse pour chasser. Le plaisir est absent de ma quête. Je ne trouve plus de reconnaissance dans ces conquêtes quand bien même le garçon est beau. Je ne régule rien. Je m'abime, c'est tout.
Encore quarante-huit heures sans sommeil, avec en renfort de l'
alcool et la dope et alternativement l'encre ou du foutre. Aujourd'hui encore, si je parviens à dormir 4 heures, ce sera bien.
L'essai avance. C'est médiocre. Peut-être carrément mauvais. Ca ressemble plus à un biopic qu'à un témoignage de warrior ou de survivor. Pour le moment c'est du sous Angot. Du trèsmauvais Rémès, c'est dire.
J'en suis de plus en plus convaincu, je ne serai pas écrivain quand bien même je joue avec les mots, malgré les invitations y compris des géants, malgré votre reconnaissance dans vos commentaires. Si la tristesse, l'isolement, l'injustice, la colère, la haine, l'amour, l'
alcool, les drogues, la révolte, l'indignation, le manque de toi ne m'animent pas, je ne produis que de la merde, mais certes la merde s'édite aussi.
Sauf que je ne serai pas un auteur de merde.
Je veux vos larmes, vos sourires, vos invectives, vos excès : mon salaire c'est l'émotion que je créé. Jusqu'à parfois chialer moi-même sur un billet que j'écris. Immodeste et égotique jusqu'au paroxysme sous couvert d'une humilité réelle mais perverse.
Je n'ai donc pas répondu à ma mère. De toute façon, je n'ai plus rien à lui dire sinon que je ne suis pas mort. Mais je ne lui confirme jamais d'être totalement en vie. Sa vieillesse ne m'émeut pas. Je ne l'épargne pas.
Elle me dénie tout droit d'évoquer autre chose que l'ennui bovarien qui gouverne nos vies, j'ai la pudeur de ne pas lui détailler le champ de stupre, d'
alcool, de désespoir, de
coke à crédit qu'est ma vie devenue. Bukowski lui-même en aurait rougit.
Quand je l'ai rappelé, à 19 heures donc, alors que je sortais de ma douche "matinale" - je remarque je me néglige de plus en plus, elle n'a voulu entendre que la confirmation que le dÎner chez Jérôme s'était bien passé. Je n'ai pas cru pertinent d'évoquer le vieux crade que je me suis tapé au Secteur X en sortant de chez mon pote. Je reste un enfant digne mais malheureux à ses yeux, jusqu'à ce qu'un jour, elle reçoive ces textes car l'un de vous que j'aurai crucifié pour trahison le fera. Cela finira bien par arriver. On m'en a déjà menacé.
J'ai évoqué Noël, elle a évacué le sujet.
J'ai insisté, lui précisant que je passerai avec Fabienne, peut-être le 26 à la condition qu'elle blackliste mon frère ce jour-là . Seul instant de surprise, elle a acquiescé, entérinant ainsi le gâchis monumental par nous trois, ses fils, de l'éradication du foyer qu'ils ont mis 58 ans à construire. D'un trait. Je ne l'ai pas sentie touchée. Serait-elle lâche ou résignée jusqu'à valider les formes de désamour que nous subissons ?
J'ai dû ensuite me passionner pour la réception de la convocation à l'assemblée générale des copropriétaires du Port Royal, et me lamenter comme un juif Orthodoxe devant le mur sacré, de ce que l'entreprise générale du bâtiment qu'elle a choisi ne changera qu'à mi-janvier le store de la cuisine qui vient de céder. Un vrai souci.
Je ne lui réponds plus spontanément au téléphone quand elle appelle, un peu par méchanceté. Pour qu'elle s'inquiète. Mon âme est devenue anthracite à l'égard des miens, y compris de la plus chère d'entre eux. Par vengeance. Car paradoxalement après toute cessation d'analyse ou de thérapie, le travail commence de se faire. L'écriture m'aide. La colère aussi.
Me reviennent alors à l'esprit ces heures sombres de l'enfance ou, castratrice et dictatoriale, déniant sa dépression, elle se provoquait des éructations nauséabondes et incessantes au dÎner, se privant de nourriture et nous disant que c'étaient ses angoisses sous entendu, nous ; de cette quinzaine de jours sans mot-dire car mon père et moi, pour une fois complices, avions échoué à monter correctement un kit de serre en verre soudé de plomb : le couple s'est engueulé comme jamais ; de ces dizaines de fois où, quand nous étions seuls elle rabâchait son regret de ne s'être pas jeté sous un train à 20 ans, afin de s'épargner les souffrances que la vie lui a réservé par la suite sans que je ne sache lesquelles identifier, car si nous n'étions pas riches, nous ne manquions de rien en menions la vie d'une famille prolétaire moyenne dans une ville laide et pauvre, en fait nous étions presque des nantis.
J'ai tout pris sur mes épaules. Je n'étais pas à l'âge de raison. C'est donc qu'inconsciennement l'on me renvoyait à l'inconvénient de ma naissance tardive.
Ces rôts immondes à table que je ne supportais plus : ils étaient l'expression sonore de ma culpabilité d'être là , d'une forme de dégoût.
J'ai porté dès mes 8 ans révolus la responsabilité de l'échec du bonheur familial. par instinct. Non pas parce que j'étais désigné comme la source du malheur collectif fantasmé qui était la dynamique mouvante de notre maison, mais parce que mon cerveau reptilien me commandait de porter cette charge. Je la porte toujours. C'est que cela m'a donc été transmis.
J'ai mis 43 ans, dont 20 ans de thérapies surtout axées sur la psycho-généalogie pour comprendre que ce fardeau ne m'appartenait pas.
Et pourtant, comme Caraco, je suis séduit par l'idée du suicide dans la nuit qui suivra la mort du dernier de mes géniteurs, car s'il m'ont aimé même mal, le jour où je les aurai perdu, je serai désigné, même en silence, par les survivants comme la cause d'une mort anticipé, quand bien même mouront-ils centenaires, et d'avoir entravé le bonheur de leur quatuor initial, convaincu qu'ils ne furent heureux que jusqu'à ce jour d'août 1969.
Ce n'est pas paranoïa, c'est du ressenti, du non verbal.
«Tu me démolis» m'a-t-elle encore lancée il y a trois jours ou quatre alors que je requerrais son attention. Et pourtant je l'aime.
Je lui ai demandé des nouvelles du père, s'est étonné de ma question. Mon père va bien. Il est sourd et donc ne peut pas parler au téléphone. Point barre.
Cinq minutes de conversation.
Mais le jour s'est levé.
Alors je pars me taire et me terrer.
Sans vraiment savoir pourquoi cette soirée marquée par la joie d'un ami consolé a vrillé en besoin de me répandre encore sur le bonheur perdu de mon enfance. Pourquoi cultiver un instant de bonheur quand on est expert en auto-sabotage ?
08:40