Réflexion sur le mouvement de la reconnaissance après un cours sur la philosophie de Hegel
Aujourd'hui, un billet différent, pour ceux qui aiment la métaphysique.
Spoiler
Qu'est-ce que qui détermine si l'on reste insensible, ou si l'on compatit ? Qu'un être humain puisse ressentir pour autrui l'empathie, et quel autrui ?
Autrui, c'est l'autre, le différent, l'insemblable, l'incompris. Autrui, c'est la figure de la négation du moi, la négation de ma propre conscience, de mon intériorité, du rapport immédiat entre moi et moi-même. Autrui est une entité construite, qui ne se donne à voir que dans le mouvement de ma reconnaissance. Hors de cela, il n'est qu'un néant, dépendant de la totalité qui m'est extérieure, celle que je perçois comme totalité indivisible composée de tout ce qui n'est pas moi, tout ce qui n'entre pas dans l'être qui est le mien ; hors du lieu de ma pensée où seulement je suis adéquate à moi-même.
Hors du mouvement de la reconnaissance, autrui fait partie de cette extériorité que je perçois, tout relativement à moi, à l'ego que je porte et qui reçoit des sensations diverses.
Il n'y a que le soi qui puisse être adéquat à soi-même, hors de lui tout lui semble faire partie du monde de l'effet, des qualités fluctuantes d'un monde sans autre substance propre que lui-même.
Mais autrui sort de l'altérité pure lorsqu'il se donne à voir dans le mouvement intérieur de mon âme, lorsque je reconnais en moi l'effort de vivre de cet autrui semblable au mien. Ainsi je tue le caractère inessentiel d'autrui lorsque je le reconnais en tant que substance autre, existant en soi et pour soi. Je prends autrui dans sa singularité, son indépendance au monde et surtout son indépendance vis-à-vis du moi qui perçoit tout par et pour soi.
Comment fais-je cela ? C'est en saisissant ma propre étantité, l'irréductibilité de mon moi personnel que je saisis par là même celle qui lui est propre. En me saisissant moi-même, en définissant mes contours, mon exhaustivité et ce qui ne m'appartient pas ; je fais d'autrui l'alter ego irréductible, sujet de ses propres prédicats, ses propres qualités que dès lors je ne saurais plus prendre pour miennes.
C'est là tout ce que fait l'enfant lorsqu'il apprend à se singulariser, à se distinguer lui-même de ce qu'il perçoit hors de lui par l'entremise de ses sens. Lorsque l'enfant dit "je", il émet la prémisse de sa reconnaissance future, s'étant reconnu il prend conscience de sa finitude, son étantité propre toute à la fois est aussi celle d'autrui. Cela semble paradoxal, ce mouvement qui désintègre autrui du soi, pour finalement le reconnaître en soi et lui faire place en tant qu'alter ego que je reconnais comme moi-même ; dès lors je rencontre en lui cet être digne en soi.
N'est-ce pas contradictoire ? La véritable reconnaissance ne résiderait-elle pas justement dans une certaine absence de singularisation ? Dans un processus tout contraire à la distinction des substances ? Je ne le crois pas. Hors de ce mouvement de la reconnaissance qui nécessite la différenciation, ce que je reconnais d'autrui n'est pas une dignité propre, un sujet de droit en soi, je ne lui reconnais de dignité que la part que j'accorde à mes propres accidents et qui dépendent du moi.
Comme il est impossible pour ma conscience d'être aussi adéquate à ce que j'assimile comme ces qualités-là qu'à sa propre substance qui se trouve en rapport immédiat et constant avec elle-même ; je ne peux conférer à autrui, considéré alors comme accident du moi, toute l'étantité indépendante que j'accorde à moi-même. Le détachement de l'ego qui prend tout pour soi est donc nécessaire pour reconnaître autrui comme une substance en soi.
Sur ces bases, où placer le commencement et la fin d'autrui ? Autrui commence là où je reconnais l'effort de vivre semblable au mien, là où se fait sentir la persévérance en l'être, peu importe la rationalité où l'intelligence dite de cette démarche. On a souvent attribué à autrui la caractéristique dominante d'être conforme à l'essence de l'être humain (ou bien l'essence de l'homme, par une restriction traditionnelle) que l'on dit être l'âme. L'âme, l'esprit, la capacité rationnelle, symptôme de la conscience d'être ou que sais-je.
C'est définir à l'humain une essence restreinte, le détacher ainsi que toute forme de vie, et oublier par là même les handicaps qui peuvent altérer cette substance. Et qu'est-ce qu'une substance qui peut être altérée ? Rien de plus qu'un accident parmi d'autres, et donc inessentiel. Ainsi c'est peut être une source d'erreur que cette définition là - et la probabilité de cette erreur, bien qu'on l'accorde mince, est suffisante pour remettre au devant la question de la reconnaissance.
Je crois constater que la reconnaissance s'étend au delà de ce qu'on reconnaît comme intellect semblable à celui qu'on s'accorde. L'empathie ne s'arrête pas aux frontières de l'humanité, on le voit d'autant plus aux âges où le poids de la culture n'a pas fait son effet. Ainsi l'étantité reconnue à autrui est avant tout celle de son conatus, sa propre persévérance en son être propre, celle de tout être existant pour soi et porteur d'une singulière puissance d'être ; ce qui revêt le caractère commun de l'essence des êtres vitaux.
Catégorie : Expérimental - 25 mars 2019 à 10:20
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