Je tourne un peu en rond.
J'écris des mots, je les efface, je les réorganise puis les efface encore.
J'ouvre de nouveaux fichiers texte, les idées sont bonnes mais elles défilent trop vite, trop vite pour qu'aucune n'ai le temps d'imprimer le papier.
Paris pue. J'avais presque oublié. Paris pue la pisse, les égouts, les poubelles et la transpiration. Paris pue mais j'suis à la maison.
C'est ici, perdue dans l'anonyme masse protéiforme, que je suis chez moi.
Paris pue mais je n'ai pas besoin d'y marcher sur la pointe des pieds. Ici, c'est ma maison.
Je manipule des concepts, ça m'amuse, c'est grand et c'est loin, il ne s'agit ni de moi ni de lui ni de elle ni de l'araignée qui glisse sur le bord de l'évier et que j'aide à sortir.
Je cherche dans le tiroir de la cuisine, je ne sais plus pourquoi je fouille, je retourne au salon, je m'assoie quand je me rappelle que j'ai faim, une fourchette...
C'est la rentrée et les abeilles buttent sur la grande vitrine.
Il fait chaud dans le métro, toutes les odeurs se mélangent, se battent pour savoir laquelle fouettera le plus. Nous avons un gagnant, un pet, dont l'auteur restera anonyme, feignant de ne pas savoir de quoi on renifle.
Paris pue, Paris est moite mais c'est là qu'est ma maison. Quand je pousse la porte de l'immeuble, l'air frais qui remonte de la cave m'accueille agréablement.
Maison, sucrée maison.Ici le bruit des véhicules de travaux publics sonnent, bipent, cognent, les ouvriers communiquent en criant pour passer par dessus le bruit ambiant, le marteau piqueur retenti.
Paris ça pue, c'est bruyant mais c'est ici que je vis, c'est ici que j'suis bien.
J'attrape un pigeon qu'est rentré, lui aussi se cogne dans la vitre, foutue vitre, je sens son coeur paniqué, je le mets dehors.
J'aime bien les animaux, même les pigeons dégueu.
J'aime les idées générales, du moment que ça ne parle ni de moi ni de elle ni de lui ni de la chenille que je suis allée déposer dans le parc.
Je veux être une pensée. Une idée. Immatérielle. Une de celle qui défile trop vite pour que je ne la saisisse.
Je veux être une onde ou bien une particule, à l'humeur, au besoin.
Où ai-je rangé mon pass ? Ou j'ai planqué ma
Weed? Est-ce que j'ai mis du déo? Les plaques sont-elles éteintes? J'ai bien fermé la porte? Je remonte, je vérifie, j'ai bien fermé la porte.
Paris, sa mine grise, qui pue de la gueule et qui pue des dessous de bras, Paris et ses vieux monuments démodés, Paris c'est ma maison.
C'est la rentrée et je rentre.
C'est la rentrée, je me suis cognée dans la vitre.
C'est la rentrée et Jacques Prevert récite sa "
Page d'Écriture" :
«Deux et deux quatre
quatre et quarte huit
huit et huit font seize…
Répétez ! dit le maître
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize.
Mais voilà l’oiseau lyre
qui passe dans le ciel
l’enfant le voit
l’enfant l’entend
l’enfant l’appelle
Sauve-moi
joue avec moi
oiseau !
Alors l’oiseau descend
et joue avec l’enfant
Deux et deux quatre…
Répétez ! dit le maître
et l’enfant joue
l’oiseau joue avec lui…
Quatre et quatre huit
huit et huit font seize
et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ?
Ils ne font rien seize et seize
et surtout pas trente-deux
de toute façon
ils s’en vont.
Et l’enfant a caché l’oiseau
dans son pupitre
et tous les enfants
entendent sa chanson
et tous les enfants
entendent la musique
et huit et huit à leur tour s’en vont
et quatre et quatre et deux et deux
à leur tour fichent le camp
et un et un ne font ni une ni deux
un à un s’en vont également.
Et l’oiseau lyre joue
et l’enfant chante
et le professeur crie :
Quand vous aurez fini de faire le pitre
Mais tous les autres enfants
écoutent la musique
et les murs de la classe
s’écroulent tranquillement
Et les vitres redeviennent sable
l’encre redevient eau
les pupitres redeviennent arbres
la craie redevient falaise
le port-plume redevient oiseau.»