Pas de rendez-vous pour la première visite.
Je suis terrifiée. Voilà la réalité.
J'suis fâchée aussi.
J'ai l'impression de devoir me rendre à confesse. Vous ferez la queue mademoiselle, vous croiserez les regards honteux des autres âmes penitentes, elles aussi, mademoiselle, sont venues avouer leur infractions. J'ai fauté m'dame, m'sieur. Combien de pater combien d'ave ?
Je me raconte des histoires, pour justifier la terreur et le doute, l'inaction.
Solitaire. Je n'arrive pas à partager. Les mots refusent, ils restent, brûlants, coincée dans le creux de ma glotte.
Les inhibiteurs de pompe à protons n'y peuvent rien. C'est les mots qui m'abiment.
Mes jambes tremblent.
Une fois arrivée au travail je reprendrai mon sourire de façade. Aux compassions des gens parce-qu'il fait chaud je répondrai que ça pourrait être pire. Faut toujours avoir l'air d'être de bonne humeur.
Mais moi j'suis pas de bonne humeur.
Moi je tremble et j'suis terrifiée.
J'ai mal aux jambes.
J'suis fatiguée d'être fatiguée.
J'veux pas qu'on m'regarde comme une petite fille.
J'ai pas besoin de papamaman.
J'avais besoin de personne.
Maintenant faut que j'me soigne.
Je ne sais pas parler. J'ai désappris. J'ai refusé.
J'veux pas qu'on me tape sur les doigts ou sur l'épaule ou sur le haut de la tête.
Mon âme au bûcher.
Mon corps au boucher.
Et mes dents en collier.
Je rentre dans la bulle, je cherche des mots savants parce-que ça claque. Je joue la comédie. Je vacille. Tout va bien.
Rien ne va plus.
Je suis au bord, à l'horizon des événements, je me sens happée mais je reste juste au bord, à jamais. Les mots n'ont plus de sens. Ils font la teuf sur les papiers. Les numéros, la vie, rien n'a plus de signification.
Je suis terrifiée et mes problèmes c'est de la merde.
Je ferme ma gueule parce que malgré tout j'suis une putain de privilégiée.
Je suis terrifiée et mes problèmes c'est de la merde.
Je veux pas passer sous un train, je veux être le train, mieux, je veux être l'air qui ralenti le train, qui fait voler les feuilles, qui glisse sur son cou.
Je ne veux pas embrasser, je veux être le baiser, mieux, je veux être la salive qui va de bouche en bouche, qui coule dans sa gorge.
Je refuse de rester un être humain puisqu'il faut être sobre.
Immaculée.
Abstinente.
Responsable.
Puisque pour être humaine faut arrêter d'être humaine.
Qu'il faut, coûte que coûte que coûte, utiliser des mots pour fabriquer des phrases.
Je dénie.
Moi.
Le monde.
Et ces mots qui refusent d'exprimer.
« Par la violence du dépassement, je saisis, dans le désordre de mes rires et de mes sanglots, dans l'excès des transports qui me brisent, la similitude de l'horreur et d'une volupté qui m'excède, de la douleur finale et d'une insupportable joie. »
Georges Bataille. Les Larmes d'Eros (extrait)