Une semaine entière de galère.
Une de celles qui t’enfoncent la tête sous l’eau et t’apprennent à respirer dans la boue.
Une bonne crève qui a réveillé la fibromyalgie, la bête est sortie de sa somnolence.
Explosion de douleurs, raideurs, fatigues. Classique et pourtant. Violent.
La nuit entre samedi et dimanche dernier, je me suis réveillé malade, trempé de sueur.
Cette nuit-ci, je me suis encore réveillé mais cette fois parce que j’allais mieux.
Un mieux étrange, nerveux : à 1h30, debout comme une pile ; à 3h30 encore pire, le mental au taquet, le corps qui avait envie de bouger, hyperactif, impossible de rester allongé.
Seule une clope au
cannabis m’a permis de replonger dans un sommeil profond.
Quelle mécanique absurde.
Ce matin, je me lève détendu, soulagé, cabossé.
Le rhume rôde encore, la toux tambourine au troisième stick.
Faudrait sérieusement penser à moins fumer.
Ça fait combien de temps déjà ?
Dix-sept ans.
J’en ai trente-deux.
Bordel.
Petit-déjeuner bricolé : avocat écrasé, deux œufs, un vieux bout de pain ranimé au four.
Dehors il ne fait pas si moche — presque une promesse.
Aujourd'hui y'a braderie dans toute la ville.
Je glisse un petit bout de
buvard sous la langue.
Bouillotte chaude sur le ventre :
un instant de grâce.
Deux années de douleurs chroniques, à chercher des solutions dans tous les recoins du monde visible et invisible...
Et il aura fallu qu'elle me souffle cette évidence.
“Achète une bouillotte”.
J’ai l’art de passer à côté de la simplicité la plus élémentaire.
La microdose s'agite doucement: rien de brutal,
juste un tressaillement discret du monde intérieur.
Je retourne au lit, bouillotte calée derrière la nuque et je pousse un soupir profond.
La nuque:
Ce carrefour oublié et perpétuellement tendu, martyrisé jour après jour par mes mouvements les plus simples.
C’est là que la fibro fait son nid, qu’elle aiguise ses griffes.
Le chaud détend, apaise et me permet de me focus sur cette sensation douce.
La fibromyalgie a pris ma vie.
L’a retournée comme une terre en friche.
Elle m’a fait comprendre que survivre n’est pas donné à tout le monde ;
que tenir bon est un art que personne ne t’enseigne.
Il faut une force mentale d’acier pour ne pas sombrer.
Il faut une patience infinie pour continuer à chercher, à tester, à se remettre en question quand tout en toi hurle d’abandonner. Mais abandonner ne calme pas le mal. Au contraire.
C’est une bataille. Une vraie. Invisible.
D’un côté, elle a aiguisé ma curiosité jusqu’à l’obsession.
Comprendre ce foutu corps, ses rouages invisibles.
J’ai avalé des études scientifiques, de médecine comme d’autres s’enfilent des séries.
J’exagère à peine.
Elle m’a forcé à apprivoiser mes pulsions, à réinventer ma manière d’aborder ce que je mets dans mon corps — et dans ma tête.
De l’autre, elle a brisé net les chaînes du monde classique.
Travail salarié, pression sociale, marche au pas...
Tout ce cirque a explosé dans mon corps et je n’ai même pas essayé de recoller les morceaux.
Les relations amoureuses ?
Compliquées à 95 %.
Aujourd’hui, je vis mieux seul.
Pas par choix romantique. Par nécessité pure.
Je n’ai déjà pas assez d’énergie pour porter mon propre poids ;
alors porter aussi celui d’un autre, ses doutes, ses blessures, ses attentes, son amour aussi...
Non, pas encore.
Mon quotidien est fait de fragments, de compromis perpétuels :
saisir les heures où l’énergie revient, fuir celles où elle me trahit.
Comme dit le docteur : la fibromyalgie, c’est l’art de la gestion.
Et putain, il a raison.
Alors je m’entraîne.
Jour après jour.
Aiguiser le mental.
Renforcer la carcasse.
Avec lenteur. Avec entêtement.
Les améliorations sont là.
Petites, fragiles, mais bien réelles. Elles s'accumulent.
Je continue d’avancer,
quoi qu'il arrive.