18 Janvier 2017 : Une table, une armée et un meurtrier
Huit heures et demie.
Je me réveille en sursaut, en sueur, une flaque de doxylamine, une trace de flubromazepam, un zeste de codéine et une vapeur de houblon encore présents dans le sang. Enveloppé d'un océan de draps, je redécouvre des lèvres désertiques, des paupières arides qui peinent à s'ouvrir.
Rien dans cette petite pièce. Rien, si ce n'est une vaste et pâle table.
A l'Ouest, un sopalin malmené parait plus sombre que jamais. Des filtres à café allongés non loin de plusieurs boites bleues et blanches déchirées fulminent à l'égard de celui qui jadis les malmena. Certains forment des boules solidifiées par la nuit passée, d'autres gisent à même le sol et n'attendent plus qu'on les porte jusqu'au paradis des déchets.
Des verres de plastique imprégnés d'un étrange plâtre composent à eux seuls un formidable dépotoir. Une bouteille de jus de pamplemousse blanc trépigne de douleur. Elle est à moitié vide, des pulpes demeurent accrochées à sa paroi translucide et la rongent sans vergogne.
Au Nord, un paquet de tabac collector non-neutre observe le triste spectacle du haut de ses quelques centimètres. Complètement froissée, cette "gueule cassée" est une véritable survivante de l'enfer sur table. Son jaune terni par l'âge n'a pourtant pas perdu de sa vigueur, et les quelques bribes de tabac qui s'accroche à lui donneraient presque envie de s'en rouler un.
Les jeunes toncars et feuilles vieilles dansent autour de leur vaillant général et lui font comprendre à travers un véritable culte de la personnalité qu'ils lui seront dévoués jusqu'à la mort tant que verdure il y aura. Pourtant verte il n'y a plus. Seules les impératrices végétales vivent encore en ce bas monde, mais elles sont intouchables.
Une rigueur des plus intimidantes se fait sentir à l'Est de la zone. Quelques sachets placés côte à côte réalisent leur ronde matinale. Ils sont tout-puissants, et ils le savent. Ils peuvent faire flancher n'importe qui en ces terres : tout le monde est à leur merci, sans exception.
Des lamelles de papier, arrondies pour certaines, roulées pour d'autres, se tiennent sur le devant de la scène et attendent patiemment qu'on leur donne des ordres. D'évidence elles mourront, comme sont morts les filtres à café avant elles.
Et c'est le moribond sournois qui les tuera.
"Et la bouche, fiévreuse et d'azur bleu vorace,
Telle, jeune, elle alla respirer son trésor".
Catégorie : Témoignages - 18 janvier 2017 à 09:28
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