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Une journée dans la salle de consommation à  moindre risque de Münster 



M¼nster est une ville allemande située dans le nord du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

10h30  Préparation de la salle :
Préparation des seringues et des aiguilles ainsi que de l'ensemble du matériel de réduction des risques (cuillères, filtres, acide ascorbique, tampons alcoolisés…). Préparation des documents en allemand et en langue russe du contrat moral qui lie la personne qui consomme de la drogue et la SCMR et vérification du matériel d'urgence (réanimation, oxygène…).

10h45  Briefing avant ouverture :
La répartition des postes de travail est effectuée : Il y a deux professionnels en permanence dans la salle de consommation supervisée et un troisième est toujours prêt à  intervenir sur simple appel.
Echanges sur les différents évènements qui se sont déroulés la veille comme par exemple des situations de personnes potentiellement vulnérables et en situation d'urgence : la veille, un téléphone portable a été oublié, lequel servait de caution contre du prêt de matériel (garrot) ; Ulrike vient quotidiennement pour un changement de pansement, la plaie s'est aggravée au cours des derniers jours. Celle-ci doit maintenant être suivie de très près. Ulrike peut avoir une consultation avec le chirurgien de proximité...

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11h00 Devant la SCMR, trois personnes attendent déjà  : Claudia fumeuse d'héroïne, Barble injecteur d'héroïne et Robbie injecteur de cocaïne. Ces trois personnes utilisent la salle de consommation supervisée régulièrement et ont déjà  lu et rempli le contrat moral qui les lie à  la SCMR. Chaque personne reçoit, en rentrant dans la salle de consommation supervisée, le matériel de réduction des risques complet nécessaire à  leur mode de consommation.
Robbie donne la sensation d'être bien, il annonce qu'il commence un nouveau travail le mois prochain. Une atmosphère tendue reigne entre Claudia et Barble parce que Claudia lui doit, depuis un certain temps, 20 euros. Ils se disputent. Comme ils deviennent bruyants, des bouchons d'oreille sont donnés à  Robbie, vu que la cocaïne rend hyper sensible au bruit.

11h45  Neuf personnes sont déjà  dans la salle de consommation supervisée.
Lucas à  fumer pendant plus de 15 minutes dans l'espace dédié et il lui est demandé de sortir. Gerhard a, après une consommation intraveineuse, une réaction allergique. Il semble qu'il est mis trop d'acide ascorbique dans son mélange d'héroïne. Il informe le personnel et reçoit du gel Fenistil.
Alex rentre à  son tour dans la salle de consommation supervisée. Cela faisait un petit moment qu'il n'était plus venu. Il a une valise avec lui et est en liberté surveillé. Il aimerait pouvoir s'injecter de l'héroïne. La tolérance aux opiacés diminue très vite et l'équipe est inquiète quant à  son dosage. Un des professionnel lui demande alors, dans un premier temps, de tester le produit et de n'en prendre que la moitié afin d'éviter une overdose car il n'a plus rien consommer depuis un certain temps.
Deux hommes d'une trentaine d'années, migrants d'Europe de l'Est se présentent à  la SCMR. Ils sont inconnus et ne parlent presque pas l'allemand. Le contrat moral est effectué à  chaque visite. Ils remplissent les documents. Dans la salle de consommation supervisée, chacun doit ramener son propre produit mais eux n'ont qu'une dose pour deux. Le personnel leur explique que le partage des substances est interdit, que ce n'est pas un lieu de non-droit et qu'il y a des règles à  respecter s'ils veulent y avoir accès.
Alex a fini de consommer et il est très satisfait de son produit. Venant du Kazakhstan, il joue le rôle du traducteur et leur explique les règles de la SCMR. Les deux hommes repartent donc et après quelques minutes reviennent avec deux doses d'héroïne. Le personnel, avec l'aide d'Alex, leur expliquent quelles aiguilles sont le mieux adaptés et ceux dont ils ont besoin. Alex reçoit un ticket pour un café médical (espace d'accueil) qu'il peut prendre à  l'étage. Après il se rend au bureau du travail social vu qu'il doit trouver un appartement durant sa liberté surveillé. Il habite actuellement chez sa mère.
Les deux consommateurs étrangers ont vite consommé leur dose d'héroïne, et comme c'est la première fois qu'ils utilisent la SCMR, l'équipe les laisse partir pour ne pas leur faire peur avec trop de contraintes afin qu'ils reviennent.

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12h20  Jusqu'à  la 17 consommateurs présents : 13 consommateurs d'héroïne, 3 de cocaïne et 1 polyconsommateur (héroïne + cocaïne mélangés) soit 13 consommations intraveineuses et 4 inhalations. Un visiteur, Hans, rentre dans la salle de consommation supervisée et remet son contrat moral rempli. Il lui est demandé ce qu'il a l'intention de consommer et il présente un flacon de Polamidon (Traitement de substitution en cas de dépendance aux opioïdes). Dessus il y a une étiquette avec son nom et celui de son médecin traitant. Il lui est expliqué que l'accès à  la salle de consommation supervisée aux patients utilisant des produits de substitution est interdit. Hans essaie d'argumenter qu'en tant qu'utilisateur de produits de substitution, il est beaucoup plus vulnérable que les autres par rapport aux overdoses. L'équipe lui donne raison et lui conseille toutefois de ne pas consommer seul mais lui refuse tout de même l'accès à  la salle de consommation supervisée. Pendant la discussion avec Hans sont arrivés Georg, Mustafa et Lula. Georg est stressé, il a eu un courrier du tribunal et demande à  voir l'avocat qui vient chaque semaine à  la SCMR. Il veut des conseils. L'avocat vient justement cet après-midi. Mais avant ça il voudrait d'abord se faire une injection. Il montre sa dose et reçoit du matériel d'injection. Lula commence sérieusement à  « partir ». Elle explique qu'avant de venir, elle a pris du Rivotril (Benzodiazépine). Un professionnel lui vérifie ses fonctions vitales et la met sous surveillance dans la salle de soins d'urgence. La bas, elle pourra se reposer un bon moment et se remettre sur pied. Un professionnel de la SCMR est responsable de ces situations et vérifie régulièrement ses paramètres vitaux et son niveau d'inconscience. Aussi longtemps que la personne reste stable, que la SCMR est ouverte et que le personnel est assez nombreux, il n'est pas utile d'appeler les services d'urgences.

14h  Les dernières heures se sont écoulées sans soucis. 32 consommations (28 hommes dont 21 consommations intraveineuses, 11 inhalations). L'atmosphère était décontractée et à  permis de faire de petits échanges sur différents thèmes comme le foot. Il y a aussi eu deux démarches pour demande de sevrage et une demande d'entrée en traitement de substitution. Lula s'est aussi un peu réveillée et a été emmenée par un des professionnel au café médical à  l'étage où elle sera encore surveillée. Mais la surveillance médicale n'est plus de mise. Elle reçoit un jus de fruit et quand tous ses réflexes seront là , elle pourra manger un morceau. Une personne est venue pour un changement de pansement car elle a fait un abcès après une injection. Un membre de l'équipe lui en fait un autre, lui donne de la crème et lui demande de revenir demain pour le renouveler. Une autre personne a été dirigée vers l'hôpital le plus proche car suite à  une bagarre, elle a une plaie qui doit être soignée chirurgicalement. 

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14h10  Dimitri et Alexander, deux consommateurs connus, pénètrent dans la salle de consommation supervisée. Alexander était à  l'hôpital hier encore via le Samu pour une overdose survenue dans la SCMR : il est considéré comme personne à  risque aujourd'hui. Il y a beaucoup de monde aujourd'hui et l'équipe décide d'arrêter de faire rentrer les personnes dans la SCMR car cela entraine du stress pour ceux qui attendent de pouvoir accéder à  la salle de consommation supervisée. Un professionnel de la SCMR est appelé en renfort suite à  la présence d'Alexander, pour qu'il puisse lui expliquer le dosage et le matériel adapté suite à  son overdose du jour d'avant. Mais il n'a pas l'air d'être vraiment intéressé. 

14h18  Dimitri est encore en phase préparatoire. Alexander montre rapidement les signes d'une overdose d'héroïne. Ses pupilles sont en tête d'épingle, ses lèvres sont bleues et il est en dépression respiratoire. Il commence à  « partir » de nouveau. Immédiatement, l'équipe enclenche le 'Plan d'Urgence'. L'équipe fait attention à  respecter toutes les procédures et vérifie qu'il n'y est plus aucune aiguilles et seringues dans le périmètre d'intervention. Dimitri a été avisé qu'il doit mettre le capuchon sur sa seringue et attendre avant de consommer. La responsable de la SCMR s'occupe de détruire tous les produits utilisés d'Alexander. Ce dernier ne respire plus et est dans un état comateux. Maintenant c'est le plan 'Très Grande Urgence' qui se met en place. Tout le personnel est réuni et mis au courant de la situation. Alexander est transféré dans une autre salle et est allongé au sol en position latérale de sécurité. Il lui est mis une canule et est intubé. Appel du 112. 

14h23  Après avoir téléphoné aux urgences, un des professionnel s'occupe des autres consommateurs présents. Deux membres de l'équipe prennent en charge Alexander et s'occupe de ses paramètres vitaux : pression artérielle, glycémie (poult de 82 et saturation en oxygène de 79 %). Il n'a pas besoin de massage cardiaque mais uniquement d'une aide respiratoire. 

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14h28  Arrivée du Samu. Toutes les informations sont données au médecin urgentiste (substance consommée, nom, coordonnées, antécédents médicaux, langue parlée -russe- et que c'est sa 2ème overdose de suite). Une copie du protocole d'urgence est donnée au médecin. Ce dernier injecte une demi-ampoule de Naloxone à  Alexander. Quelques secondes après les récepteurs opiacés sont bloqués et Alexander recommence à  respirer de lui-même. Mais il est toujours profondément inconscient. Il est installé dans le véhicule du Samu. 

14h40  Une grande discussion commence suite à  cet incident et le stock est remis à  jour. Le sol et les tables sont nettoyées. La salle de consommation supervisée est de nouveau ouverte aux consommateurs de drogue.

15h30  Après 11 consommations, arrive Manfred. Il consomme régulièrement de la cocaïne et les professionnels savent qu'après la prise d'une dose trop forte, il a des hallucinations et voit des chiens. Et là , Manfred se lève spontanément de sa chaise et regarde autour de lui avec un air apeuré. Un professionnel l'emmène par sécurité dans la salle de soins d'urgence. Il est visiblement plus calme et le professionnel parle tranquillement avec lui (« Talking down »). Il est notifié comme légère overdose avec hallucinations dans le protocole d'urgence. Deux personnes, Nina et Ivan, se sentant non-observés s'échangent du produit. Là -dessus, l'équipe leur avise que les deals, partages et échanges sont interdis dans la SCMR. Comme ils le savaient déjà , les deux doivent quitter et nettoyer leur place et reçoivent pour la journée et pour les prochains jours une interdiction d'accès. Après ¼ d'heure Manfred s'est calmé et reçoit un ticket pour le café médical où il s'y rend et s'y repose un peu.

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16h20  Ulrike arrive dans la salle de soins d'urgence. C'était déjà  un sujet de conversation ce matin. Sa plaie ne se résorbe toujours pas. C'est un méchant abcès ouvert au mollet droit, qui malgré les traitements à  base de pommades, s'est développé sur une surface de 10x15 cm. Vu que la plaie s'étend maintenant jusqu'à  la cheville et est complètement gonflée et rougeâtre, il est envoyé à  l'hôpital se trouvant à  proximité. L'équipe les informe par téléphone de son arrivée.

16h30  Il n'y a pas eu d'autres évènements. Aujourd'hui la SCMR a accueillie 65 consommateurs de drogue, 58 hommes et 7 femmes : il y a eu 33 consommations intraveineuses, 28 inhalations et 4 consommations par voie nasale. Soit 40 consommations d'héroïne, 12 de cocaïne, 6 de speedballs, dont 4 mélanges de cocaïne et de Palamidon...

16h35 - 16h58  Nettoyage, désinfection des différents espaces et du matériel infectieux. Elimination du matériel usagé. Préparation des sets pour le lendemain. Débriefing des différents évènements de la journée, des interdictions à  la SCMR, etc.

Aujourd'hui, c'était une journée avec pas mal d'évènements.

Fin de service.

Catégorie : Témoignages - 26 avril 2016 à  19:31

#salle de shoot



Commentaires
#1 Posté par : PAI 26 avril 2016 à  20:21
Salut Bobby,

Merci pour cette journée passé dans une SCMR, c très interressant.

Votre position sur l'utilisation du polamidon (méthadone) et l'inverse que s'que j'ai entendut dire pour la France.
Cad que l'accès au SCMR sera autorisé en France a un publique consommant de TSO/MSO mais pas a un publique consommant des prod illicites.

C bien ça ou je me plante?

 
#2 Posté par : Tetris68 26 avril 2016 à  21:00
Très intéressant,  je connaissais ça en Suisse mais je savais pas que cela existait en Allemagne.

La Methadone allemande est injectable?

 
#3 Posté par : Bobby 26 avril 2016 à  21:39
Salut,
Je ne connais pas la position concernant la consommation de TSO dans les futurs SCMR en France mais elles sont bien destinées à  une consommation sous supervision de drogues illicites amenées par les personnes elles-mêmes.

PAI a écrit

Salut Bobby,

Merci pour cette journée passé dans une SCMR, c très interressant.

Votre position sur l'utilisation du polamidon (méthadone) et l'inverse que s'que j'ai entendut dire pour la France.
Cad que l'accès au SCMR sera autorisé en France a un publique consommant de TSO/MSO mais pas a un publique consommant des prod illicites.

C bien ça ou je me plante?


 
#4 Posté par : Bobby 26 avril 2016 à  21:58
Oui en Suisse mais aussi en Allemagne (24 SCMR), au Canada, en Australie, en Espagne, au Norvège, au Danemark, au Luxembourg, au Pays-Bas et prochainement au Portugal et Slovénie. En Ireland, le débat a bien avancé et au USA aussi !

Concernant la méthadone, je vous renvoie vers une discussion d'un autre forum : http://www.asud.org/forum2012/asud.org/ … ml?id=1865

Tetris68 a écrit

Très intéressant,  je connaissais ça en Suisse mais je savais pas que cela existait en Allemagne.

La Methadone allemande est injectable?


 
#5 Posté par : PAI 26 avril 2016 à  22:15
Un autre forum?!? C le meme sous un autre nom !

 
#6 Posté par : Mazette 26 avril 2016 à  23:12
Interressant,

Apparement la SCMR, n'a pas en stock de Naloxone. Je trouve ca plutot étonnant. Ils n'en ont pas, ou attendent l'arrivée de médecins du samu afin que l'injection soit faite par eux ?
Il me semble que plus on attend, plus on prend de risques.

En tout cas, merci pour cet article.

 
#7 Posté par : PAI 26 avril 2016 à  23:38
J'suis d'accord avec toi, Mazette, je pense que dans le cadre d'une SCMR, surtout quand l'UD se pointe avec un matos de rue au % "aléatoire" Il devrait y avoir un systeme de naloxone sous forme de spray nasale.
IL parle d'intuber ! c un geste que seul un medecin peu faire en toute securité et encore c pas le plus simple a mon avis! Un"psitt" de naloxone dans chaque narines declenche le processus, avant que les pompiers n'arrivent.
C un point de vue.

 
#8 Posté par : bighorsse 27 avril 2016 à  00:16
ce qui est vraiment super bien c'est que les gens peuvent de suite être soignés aux points d injection ! ceci serait necessaire dans d autre srtuctures je pense

 
#9 Posté par : sud 2 france 27 avril 2016 à  13:53
En France (enfin SI JAMAIS ça ouvre, je douterai tant que ça sera pas ouvert, car ça devait se faire en même temps que le mariage pour tous, y'à  3 ans...Et on attend encore) on pourra injecter de l'illégal et de la substitution, excepté de la méthadone...Enfin je sais pas si vous avez déjà  essayé de vous fixer de la métha; moi oui une fois c'est juste infame

 
#10 Posté par : JeRe 27 avril 2016 à  17:00
temoignage tres fort.
Ces allemands quand ils font un truc ils le font a fond et bien.

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