Le grand vide avec un cœur léger 

Sous quelque angle qu’on le prenne, le présent est sans issue. Ce n’est pas la moindre de ses vertus. À ceux qui voudraient absolument espérer, il dérobe tout appui. Ceux qui prétendent détenir des solutions sont démentis dans l’heure. C’est une chose entendue que tout ne peut aller que de mal en pis. « Le futur n’a plus d’avenir » est la sagesse d’une époque qui en est arrivée, sous ses airs d’extrême normalité, au niveau de conscience des premiers punks.
(comité invisible)

Ouais c’était sûr en fait, le der des ders n’aura pas lieu. Qui aurait pu croire le contraire ? Cette drôle de guerre... Mektoub, c’était écrit d’avance. Je ne peux pas lâcher l’affaire comme ça, j’ai besoin d’exposer/d’exploser l’exaspération qui consume mon corps, comme un feu sur du bois vert. Quand je dis « exaspération » j’entends par là ce sentiment lucide d’ambivalence que représente mon esprit. « En somme, voici venir l'âge béni, où tu t'crois homme mais t'es qu'un con, et y'a qu'à toi qu'on l'a pas dit. » dixit un rappeur de ma génération. J’ai cru que je parviendrais à tirer mon épingle du jeu en stoppant toutes consos de drogues récréatives. Mais sur le damier je suis échec et mat à chaque coup dur essuyé. On racontait dans le passé que La plus grande gloire n'est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute. La vérité c’est que je n’ai jamais pigé les règles du game qu’est la vie. Mes frères eux ont réussi, mais pas moi. J’ai un frère jumeau, faux jumeau, qui ne me ressemble en rien, j’ai deux grands frères, un p’tit frère et deux demi-sœurs. Je n’ai plus aucun contacts avec eux, la vie nous a séparé de manière assez brutale. Il n’y a pas une seule nuit sans que je rêve de mon frère jumeau : j’ai passé quarante ans de ma vie à vivre dans son ombre. Ce type réussit tout ce qu’il entreprend depuis toujours. Je suis son exact opposé, indocile, fuyant et pour mon plus grand « malheur », nihiliste. J’aurais aimé au moins ne jamais sombrer dans ce poison. Car le nihilisme c’est ce qui survient après ou pendant la mélancolie. Plus rien n’a de sens, le monde perd en éclats, la motivation de s’élever s’évapore, comme si l’esprit était une forêt sèche et que j’y lançais un mégot de clope, embrasant l’ensemble du lieu. Le nihilisme est un cauchemar. L’autre jour, j’ai menti à ma psychologue en la baratinant sur ce foutu Nietzsche, lui disant que je le trouvais « drolatique » à lire. En vérité je n’ai lu que des biographies de ce phénomène, plus deux livres à lui que je n’ai jamais su comprendre (le Gai Savoir et Ainsi parlait Zarathoustra). Pour moi ça n’est resté que de la branlette cérébrale comme me le disait une ancienne amante. Mais j’ai compris ce jour-là que… je commence automatiquement à me parer d’une posture intellectuelle dès que je suis en panique : je venais d’apprendre avant de la consulter que mon rendez vous avec mon toubib qui me prescrit mon tercian et mon valium avait lieu beaucoup plus tard que je ne pensais (je pensais le voir le 7 alors que le rdv était fixé dix jours plus tard). J’ai paniqué, et je me suis paré devant la psy d’une posture pseudo-intellectuelle, ma façon à moi de relativiser l’inquiétude qui me prenait à la gorge. J’ai pigé que cette façon de faire était un moyen de ne pas parler de « moi » mais de mes croyances, de mes détours, de certaines aspirations irréalisables, une façon idiote de m’oublier ne serait-ce qu’une heure. Si c’était à refaire, évidemment que j’aurais charbonné à l’école comme un damné. Évidemment que j’aurais suivi avec assiduité les cours au lieu de tous les sécher. On peut dire que ma chute a commencé dès l’entrée au collège, où je n’y ai vu qu’un enclos dont il fallait par tous les moyens sortir. Une chose est certaine, si je venais à déconner une fois de plus au niveau juridique, avec mon casier judiciaire bien fourni (c’te honte…) la première chose que je demanderais en prison serait de reprendre mes cours et de passer le bac. Un peu comme l’a fait ce philosophe admirable qu’était Bernard Stiegler. Je peux toujours tenter de retenter le DAEU, mais faut que je trouve la thune pour financer tout ça et SURTOUT sortir définitivement des benzos. Je perds la mémoire dès que je me retrouve en situation de manque, y’a des trous partout sur sa plasticité. Mais je dois - avant toute chose - me préparer mentalement, physiquement aux pénuries de médocs qui arrivent insidieusement dans le pays. Pénuries de benzos : il m’a fallut attendre deux jours avant de pouvoir en trouver dans une pharma. C’est inexorable. Et assez ironique en fait, de quoi devenir mystique. Le mal que j’ai fais se répercute dans le présent. Ce n’est pas rationnel comme idée. Pourtant, je signe et persiste, ça semble être une pure réalité. Dieu ne compte pas les jours. Dieu est en dehors du temps. Les saloperies que j’ai fais il y a plus de dix ans viennent tout à coup bousculer mon présent. On peut oublier le passé, je l’ai toujours dit, mais le passé lui ne nous oublie jamais. Je stoppe l’écriture ici, je ne veux pas que cela soit « indigeste ». Ces lignes écrites à la vitesse de l’éclaire ne sont au fond qu’un grand vide dénué de sens. Mais j’ai le cœur léger : après une semaine de manque au valium, un pote m’a dépanné ce matin. Et là tout se fige, le temps s’arrête, la musique prend une tournure quasi-extatique, les idées reviennent, la motivation aussi : je suis belle et bien dans un chaos psychique hors de ctrl. Je ne dirais pas que c’est un enfer, car l’enfer c’est de mourir de soif dans le désert. Non, ça ressemble à un trou-noir qui m’aspire et me recrache. Une sorte de cauchemar incessant. Mais du cauchemar on peut se réveiller. J’ose le croire. Pénuries de médocs sur le territoire, éco-stress, éco-furax, des amis qui te tournent le dos à la moindre difficulté, ma mère et mon beau-père très malades, un voisin maniaque mytho et cleptomane qui vient sonner chez moi à deux heures du mat’ pour tout et n’importe quoi ; ce connard m’a même piqué mon portable, quand je lui ai dis que je ne voulais pas de sa putain de cc. Je ne porterais pas plainte et mangerais mon pain noir jusqu’au bout. Ce salopard se croit dans un FJT. J’ai quarante ans, mais je sais au moins que je serais épargné par la crise de la quarantaine, je l’ai déjà faite. Et je n’éprouve plus aucune peur face au temps qui passe. Merci de m’avoir lu. Ça n’est jamais qu’une bouteille de plus jetée à la mer. Je vais aujourd’hui écouter jusqu’au soir de la zique de hacker, faire quelques vidéos musicales et attendre sagement que le circuit citadin reprenne son cours avec la rentrée qui arrive. Se préparer mentalement et physiquement aux pénuries de benzos, c’est ça l’enjeu. Je n’ai pas de boule de cristal, je ne veux pas jouer au devin, je n’écrit que ce que je vois et vis au jour le jour. Je ne suis pas une victime. Je ne récolte que ce que j'ai semé, je sème ce que j'ai récolté. Grand vide avec un cœur léger, ref à Alien évidemment...

À bientôt