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Un dimanche d'avril 



Une semaine entière de galère.
Une de celles qui t’enfoncent la tête sous l’eau et t’apprennent à respirer dans la boue.
Une bonne crève qui a réveillé la fibromyalgie, la bête est sortie de sa somnolence.
Explosion de douleurs, raideurs, fatigues. Classique et pourtant. Violent.

La nuit entre samedi et dimanche dernier, je me suis réveillé malade, trempé de sueur.
Cette nuit-ci, je me suis encore réveillé mais cette fois parce que j’allais mieux.
Un mieux étrange, nerveux : à 1h30, debout comme une pile  ; à 3h30 encore pire, le mental au taquet, le corps qui avait envie de bouger, hyperactif, impossible de rester allongé.
Seule une clope au cannabis m’a permis de replonger dans un sommeil profond.
Quelle mécanique absurde.

Ce matin, je me lève détendu, soulagé, cabossé.
Le rhume rôde encore, la toux tambourine au troisième stick.
Faudrait sérieusement penser à moins fumer.
Ça fait combien de temps déjà ?
Dix-sept ans.

J’en ai trente-deux.
Bordel.

Petit-déjeuner bricolé : avocat écrasé, deux œufs, un vieux bout de pain ranimé au four.
Dehors il ne fait pas si moche — presque une promesse.

Aujourd'hui y'a braderie dans toute la ville.
Je glisse un petit bout de buvard sous la langue.

Bouillotte chaude sur le ventre :
un instant de grâce.
Deux années de douleurs chroniques, à chercher des solutions dans tous les recoins du monde visible et invisible...
Et il aura fallu qu'elle me souffle cette évidence.
“Achète une bouillotte”.
J’ai l’art de passer à côté de la simplicité la plus élémentaire.

La microdose s'agite doucement: rien de brutal,
juste un tressaillement discret du monde intérieur.

Je retourne au lit, bouillotte calée derrière la nuque et je pousse un soupir profond.
La nuque:
Ce carrefour oublié et perpétuellement tendu, martyrisé jour après jour par mes mouvements les plus simples.
C’est là que la fibro fait son nid, qu’elle aiguise ses griffes.
Le chaud détend, apaise et me permet de me focus sur cette sensation douce.

La fibromyalgie a pris ma vie.
L’a retournée comme une terre en friche.
Elle m’a fait comprendre que survivre n’est pas donné à tout le monde ;
que tenir bon est un art que personne ne t’enseigne.

Il faut une force mentale d’acier pour ne pas sombrer.
Il faut une patience infinie pour continuer à chercher, à tester, à se remettre en question quand tout en toi hurle d’abandonner. Mais abandonner ne calme pas le mal. Au contraire.

C’est une bataille. Une vraie. Invisible.

D’un côté, elle a aiguisé ma curiosité jusqu’à l’obsession.
Comprendre ce foutu corps, ses rouages invisibles.
J’ai avalé des études scientifiques, de médecine comme d’autres s’enfilent des séries.
J’exagère à peine.

Elle m’a forcé à apprivoiser mes pulsions, à réinventer ma manière d’aborder ce que je mets dans mon corps — et dans ma tête.

De l’autre, elle a brisé net les chaînes du monde classique.
Travail salarié, pression sociale, marche au pas...
Tout ce cirque a explosé dans mon corps et je n’ai même pas essayé de recoller les morceaux.

Les relations amoureuses ?
Compliquées à 95 %.

Aujourd’hui, je vis mieux seul.
Pas par choix romantique. Par nécessité pure.

Je n’ai déjà pas assez d’énergie pour porter mon propre poids ;
alors porter aussi celui d’un autre, ses doutes, ses blessures, ses attentes, son amour aussi...
Non, pas encore.

Mon quotidien est fait de fragments, de compromis perpétuels :
saisir les heures où l’énergie revient, fuir celles où elle me trahit.

Comme dit le docteur : la fibromyalgie, c’est l’art de la gestion.
Et putain, il a raison.
Alors je m’entraîne.
Jour après jour.
Aiguiser le mental.
Renforcer la carcasse.

Avec lenteur. Avec entêtement.

Les améliorations sont là.
Petites, fragiles, mais bien réelles. Elles s'accumulent.

Je continue d’avancer,
quoi qu'il arrive.

Catégorie : Tranche de vie - Hier à  19:09



Commentaires
#1 Posté par : elonnx Aujourd'hui à  07:11
La microdose est couplée à quelques sticks d’herbe, une sativa qui agite bien le cerveau.
Combo parfait pour un dimanche actif et chill.
Le soleil rebondit timidement sur le bâtiment d’en face, éclat fragile mais présent.

C’est souvent dans ces journées légèrement boostées au LSD que je pense le plus à mon bien-être, aussi paradoxal que ça puisse paraître.

Rasé de près, rassasié d’un bon bowl (riz, courgette, oignon jaune, oignon rouge, carotte, ail, gingembre, poulet mariné dans la sauce soja et le miel, recouvert d’une sauce yaourt-ail-sel-poivre-gingembre râpé).
J’vise large, pour ne pas avoir à remettre les pieds en cuisine ce soir.
Manger plusieurs fois le même plat ne m’a jamais dérangé:
C’est bon, ça cale, et ça vient casser cette vieille habitude toxique, ces troubles alimentaires qui revenaient m’emmerder ces derniers jours.
La crève n’aidant pas, je mangeais peu. Trop peu.
Un sandwich et un peu de houmous avec du pain, pour tenir toute une journée. Ridicule.

J’ai longtemps carburé à une alimentation aussi instable que mes horaires quand je bossais encore comme un dingue comme livreur.
Un énorme plat le midi pour survivre, et le reste ? Aléatoire.
Des jours à un seul repas, parfois un simple kebab.
Quelques semaines à manger comme trois personnes, sans logique, sans constance.

À force j’avais plus vraiment faim.
Même les sept ou huit joints par jour n’éveillaient plus rien, pas même l’ombre d’une fringale.
C’est une neuropsy qui a mis un mot dessus, un jour, calmement : troubles alimentaires.
Bam.

Ce sont des schémas qui reviennent.
Sous stress.
Sous maladie.
Ou sans aucune putain de raison valable.

Aujourd’hui, j’essaie de reconstruire de nouveaux schémas.
De veiller.
De reprendre les bases, de me rééduquer doucement.
Maintenant que j’ai mis la main sur ces choses-là, je les vois.
Et les voir n’aide pas tant que ça à les corriger.
Jamais je n’aurais cru dire ça un jour.

Bref.
Je me retrouve pétard au bec, le bide calé, dans un appart’ propre qui sent l’encens et la lessive tiède.

Dehors, les gens passent.
La braderie attire son lot de curieux.
Ça me motive un peu de les entendre s’enthousiasmer en bas.

J’enfile un jean, un pull blanc cassé que j’aime bien en ce moment et je descends.

Les joints répétés et le petit plateau qui s'est installé m’ont plongé dans un état de détente viscérale.
Les douleurs se font minuscules, presque discrètes.
Je glisse dans la foule en pilotage automatique.
L’esprit ailleurs et pourtant, le radar sensible.

Le bruit des oiseaux sur les arbres me percute plus que le brouhaha humain.
La molécule m’ouvre l’oreille, aiguise mes sens, affûte mon écoute.

Je déambule de rue en rue, regarde distraitement quelques stands qui tirent la gueule.
Des montagnes de fringues en équilibre précaire. Des cables, quelques bibelots.
Je cherchais une jolie boîte en bois pour ranger mes molécules mais rien à l’horizon.
Fallait sûrement venir ce matin.

Les traboules m’appellent.
L’architecture cachée me tend ses bras.
En quelques pas, je passe de la Place bondée à un petit square silencieux, désert, suspendu hors du temps.
J’aime cette ville.
J’aime ces contrastes brutaux entre le vacarme et le secret, ces petits lieux cachés qui me laissent l’impression d’être le seul à les connaitre.
Ces petits passages prennent presque une dimension spirituelle aujourd’hui.

J’ai envie de marcher.
Mais pas au milieu des gens.
Pas au milieu de la consommation criarde.

J’ai envie de marcher pour ressentir.
Quoi?
Je n’en sais rien.
La Vie.

Un gars, rue Costa de B. sort de chez lui, la gueule encore chiffonnée par le sommeil.
Il tient une vieille tasse ébréchée avec des fleurs roses dessus. Le café fume encore.
Je le vois venir, je le connais de loin:
Il va me taxer une clope.

Il me taxe une clope.

Le dos commence à tirer.
Je redescends vers le faubourg, les petits numéros.
Tout le quartier est dehors : cafés, rires, discussions qui flottent dans l’air lourd.
Ça vit. Ça zonarde. Ça existe, tout simplement.

Les cloches sonnent.
Le ciel se couvre.
Je rentre chez moi.

Une tisane au miel m’attend, fidèle compagne.

Il me reste un bouquin à terminer, du théâtre à relire, une machine à étendre, deux ou trois bricoles à faire.
Les plantes sont arrosées.
Les chats dorment.

Ça y est, dehors il pleut.
L’orage gronde.

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