Paris
22.00 un samedi soir, février 2019. L’observateur, s’il y en avait eu à 25 mètres sous terre, aurait été étonné par ce groupe bizarre. La guirlande des six personnages se déroulait lentement dans les catacombes de Paris au son d’une enceinte qui diffusait du Massic Attack.
fresque dans les catacombes " comment l'été est rouge dans mes veines"La colonne se composait d’un couple de deux garçons d’une vingtaine d’années, l’un des deux était défoncé à la
kétamine et au
cannabis. Il méritait une attention particulière car il avait tendance à rester planté là, en oscillant comme un arbre caressé par vent, à écouter la musique s’éloigner doucement dans le noir des galeries souterraines, et à laisser partir le groupe. L’autre garçon menait le groupe, il connaissait bien les souterrains.
Il y avait deux femmes.
La plus âgée, d’une trentaine d’années, était complètement partie à force de tirer sur des
joints de pure
beuh après s’être envoyé son taquet d’héroïne habituel agrémenté d’une trace de
ké. Célèbre dans l’univers PA, elle tirait une grande prestance de son mode de vie, de sa liberté , et de sa puissance intellectuelle.
La plus jeune avait 19 ans, elle paraissait menue comme ça avec ses
Doc Martens et ses cheveux raides.
doc martens blanchies à la craie des cataBien que très délurée, elle venait de débarquer de province pour rejoindre ce groupe dont elle ne connaissait aucun des membres, ce qui dans l’absolu est une prise de risque étrange. Dans ce marché libertaire où, au sein du groupe, on troquait l’héroïne, la
kétamine et le
cannabis, c’était elle, la plus jeune, qui fournissait la
Ke. Cela lui donnait un certain ascendant, la majorité de ses camarades étant rompue aux
opiacés et aux
dissociatifs, mais naïve à la
Ke.
Une autre créature était une lesbienne aux cheveux roses. Sobre, elle tenait un rôle de leader au sein du groupe. Elle se situait à l’intermédiaire entre une relation d’amitié et de couple avec le sixième personnage.
Lui, c’était une personne d’apparence homme cis à la barbe blanche, se revendiquant lesbienne. Un druide en cette assemblée hétéroclite? Il venait d’être initié à son premier rail de
Ke et il était tombé par terre en fou rire à deux reprises sur le chemin des catacombes. Merlin l'enchanté, un vrai gosse. Très proche de la fille aux cheveux roses, il la tenait en très grande affection et il l’admirait pour notamment ses capacités d’analyse hors pair. Il avait déjà pas mal écrit sur elle, et sur leur relation (très) incongrue et non reproductible ( peut–être comme toutes les vraies relations ?) .
Voilà la fine équipe décrite.Un mot sur la pratique d’IV au sein de l’équipe… ils étaient deux dans le groupe à les pratiquer. Les deux plus âgés, d’ailleurs. Pour l’une, l’IV c’est ambivalent : c’est une de ses addictions, elle rêverait que ce ne soit qu’occasionnel, que ça redevienne juste un plaisir et que ce ne soit plus un besoin. Pour lui, l’homme à la barbe, l’IV reste une pratique rare, il s’y est mis tard il est vrai, en bénéficiant notamment des conseils de
RDR de PA : et pour lui l’IV est toujours ritualisée dans le cadre d’une consommation en société, entre personnes de la
RDR, et lui poursuit une quête quasi métaphysique au travers des
IV, que ce soit avec les
opiacés, ou encore avec les stimulants (option
chemsex). L’IV lui est un chemin, pas un besoin.
plateau pour préparation IV de H. Noter la présence d'outils RDR: balance au mg, filtres toupies, cup stériles, dosette eau ppi, gel antiseptique, etcCe petit groupe avait vaqué à ses occupations dans Paris la veille, deux allant chercher de la
came dans un four de la Seine Saint Denis, d’autres s’occupant des repas, tous essayant divers produits ( deux initiations à l’héroïne durant ce week end , chasses au dragon synchronisées, injection et test allergique étaient au menu.
scènes de chasse au dragon. Au briquet, ou à la bougie (plus facile mais attention aux gouttes de cire qui coulent...) A cela, on ajoute trois initiations à la
Ke en première session.
Mais dans les catacombes, on avait un projet commun.
Ce projet était de dîner d’une fondue sous le Val-de-Grâce. On se rendit compte à mi-parcours que les défoncés avait oublié le pain et que les sobres n’y avaient pas pensé! On fit alors une halte sous les Feuillantines.
discussion enfumée sous les Feuillantines Au milieu des guirlandes lumineuses, de l'humidité et des bougies, on parla de tout , et notamment des orgasmes spontanés. Ces intéressants sujets, qui ne peuvent être abordés que dans ces endroits bizarres. Puis, affamées, on fit demi-tour pour retourner à la maison.
La fondue mangée, il était deux heures du matin. Les deux jeunes hommes, épuisés, partirent se coucher.
Les deux créatures aux cheveux roses ou à la barbe poivre et sel, et les deux jeunes filles s’enfermèrent dans une chambre.
Un shoot d’héroïne ici, une tentative avortée de shoot de kétamine là sur la petite, le décor était planté, parmi les stocks de seringues et les aiguilles neuves, et les boîtes jaunes de collectes des déchets sanitaires.scène d'IV de H. Notez encore les outils RDR et notamment le champ stérile bleu, la cuvette pour dégueuler sans gêne, le récipient jaune à déchet sanitaire ... Les deux plus jeunes étaient sur le lit, toute habillées, les deux plus âgées se tenaient par terre dans le faible espace libre au pied du lit. La créature à la barbe blanche (poivre et sel) était torse nu, tout cela lui donnait chaud. Et puis il appréciait sans doute de montrer sa musculature.
garot individuel Premier rail de Ke pour cette deuxième session. Comme ce rail n’a produit aucun effet sur le barbu, il a documenté le
trip report des trois autres en prenant une vidéo. Et devant les yeux étonnés de la personne à la barbe blanche, trois nouvelles personnalités se découvrirent lors de ce trip.
Son amie intime, la lesbienne aux cheveux roses, semblait toujours très présente, c’était elle qui répartissait la parole et semblait veiller à la sécurité du groupe.
La femme plus âgée, qui finissait par
mélanger les injections d’héroïne et de kétamine, se trouvait évidemment très apaisée. A l’étonnement général, elle n’avait pas atteint le K hole. Pour elle, la défonce à la K c'est un peu comme celle du
DXM, il y a des "plateaux" avec une idée de progression par paliers de la défonce sur une échelle de hauteur. Ce soir-là, elle atteignit par deux fois des états de conscience bien altérés (avec pertes de conscience de quelques minutes suivies par des périodes d'hallucinations visuelles avec bodyload et dissociation bien marqués), mais sans dissolution de l'égo ou sensation de présence ou programme extérieur (intéressantes confidences en effet, elle ne savait pas trop comment l'expliquer
). Bref, elle était montée haut dans la défonce kétaminesque, mais sans aller jusqu'à atteindre le
K-hole cette nuit.
Quant à la petite, elle avait totalement changé de visage et d’attitude, c’était devenu une espèce de déesse hindoue dont les mains dansaient au-dessus du lit, son visage aristocratique et superbement maquillé avait mûri de cinq ans. Elle semblait proférer des oracles que les trois autres buvaient.
«
Car toi la gamine tu domines en Pythie
Notre cercle hagard de satyres éclairés
Nos regards vont vers toi Prophétesse Reine et Fée
Chacune nous buvons toute ta prophétie » Frédéric Nietzsche, dans « la naissance de la tragédie », mentionne, en l’opposant à l’attitude apollinienne, la position dionysiaque. Dans sa démonstration, le chœur de la tragédie antique est l’incarnation de la vérité naturelle, de l’unité retrouvée dans l’ivresse et la boisson narcotique.
Le druide à la barbe blanche a donc l’impression d’assister à la véritable Tragédie grecque, présent au milieu du cœur des bacchantes. Bizarre impression d’être le seul sobre au milieu d’un groupe enivré, mais enivré subtilement dans une perspective divine et unitaire. Aucun côté orgiaque ni dépravé dans cette scène d’une noble philosophie antique.
Ensuite, les trois jeunes s’offrirent un nouveau et
dernier voyage de Ke en trace, en compagnie du barbu, qui cette fois-ci partit sur un nuage. Il se retrouva littéralement dieu sur l’Olympe accompagné de trois autres entités divines dont il ignorait si elles étaient des dieux ou de déesses. Il serait bien resté là-haut sur ce nuage, il avait rampé sur le lit les yeux fermés, la couette était un cumulus. La lumière avait été éteinte, probablement que le voyage en était amplifié. On se tenait la main.
Mais l’une des bacchantes souhaitant fumer, il fallut mettre un terme à ce délire lumineux. Il a fallu s’habiller sous la conduite bienveillante de la fille aux cheveux roses, il a fallu descendre sans bruit dans l'escalier endormi, sans avoir froid dans la nuit de l’hiver. Fin du trip vers six heures du matin, un peu avant l’aube d’hiver, dans une rue calme du Paris résidentiel. C’est l’inconvénient de l’unité qu’elle est à la fois très intense et très brève.
Et après ? Ce chœur antique va-t-il à nouveau se réunir ? Va t il éclairer le monde ? Est-il possible d’avoir vécu des moments d’une telle intensité, sans que rien ne reste ? Quel est le sens de tout ça ?