La chienne et le puma 



En janvier 2020 je me suis retrouvé chez mon frère en bas des montagnes cotières de l’oeust des Etats-Unis.  Pour arriver chez lui de la ville, on prend l’autoroute à travers une vallée, puis une départementale, et pour finir, un chemin tortueux en gravier qui monte dans les collines.  Le terrain est raide, les pentes sont décorées de chènes, de bosquets de sequoias cotiers, et de l’herbe verte qui des la fin des pluies printannières devient jaune, puis dorée, et ensuite blanche.  Sa maison est la première sur le chemin, après 20 minutes de bagnole en roulant à pas.  C’est une ancienne cidrerie avec sa dépendance.  Les deux batiments sont en bois et ils datent du début 20ème.

C’est le pays de la marijuana.  La moitié des gens du coin travaillent dedans, et l’économie locale est soutenue par les grandes quantités de liquides provenant du marché noir.  On fume des joints pur de la taille de cigarettes à la longueur de journée.  Bizaremment ces mêmes gens—au moins ceux que je connais—s’interessent peu aux psychedeliques.  Ils carburent à l’alcool et à l’herbe, ce qui leurs permet de fonctionner au quotidien, mais ils touchent peu ou pas à d’autres drogues qui font parties des folies de leurs adolescence.

Pourtant ce sont les psychédéliques qui m’interessent moi.  A chaque fois que j’y vais, j’arrive à dénicher quelque chose de bon chez des amis.  Du 2CI oublié dans un tiroir, du LSD qu’on garde au congelateur depuis quelques années, en attendant un moment de calme sans enfants à la maison qui ne viendra jamais.  Cette fois ci ce sont des champignons (probablement cubensis) qu’un ami a recu en cadeau.  Un énorme sac, aux alentours de 100 grams à vu d’oeil, mal séchés et au point de moisir vu les goutelettes d’humidité qui s’accumulent sur le plastique.  Il m’en donne une poignée.  Je le remercie, et lui suggère de sortir le reste pour les sècher correctement, histoire que ça ne pourrisse pas.  Il affirme que c’est trop humide, et on se quitte, moi sachant que ses champis vont sûrement se retrouver à la poubelle d’ici quelque semaines.  Quel gachis!

Le lendemain matin je me réveille à 9h30 tout seul à la maison.  Mon frère, sa femme et leur enfant seront de retour vers 11h, et ils savent que je compte partir en voyage.  Mon frère m’a laissé une tasse de café et une balance.  Je pèse 3.5 grammes, un eighth comme on dis là-bas, car un huitième d’une once.  Ça faisait un moment que je n’en avait pas pris, et je me rappelait que c’était la dose que je prenais avant quand j’avais accès au champignons plus régulièrement.  Je gobe le tout mélangé avec de l’avocat et un oeuf sur des des tortillas mexicaines, avec pas mal de sauce pimentée pour cacher le mauvais gout.  (Je salive salé en écrivant cela… comme ce goût de champignon me repugne!)

Je m’habille et sors avec une de ses chiennes, Dina, une bergère allemande en surpoids dans la crépuscule de sa vie.  On se connait très bien, et je me sens en confiance avec elle dans la nature.  On commence à remonter le chemin principal dans la direction qui grimpe.  Il y a une brume qui limite la vue a une trentaine de metres, et les branches tordues des chênes couvrent le chemin.  J’ai des premières vagues de nausées, entre lesquelles je rigole sans raison.

Après quelques minutes je me mets à marcher très lentement, regardant les couleurs et formes resplendissantes autour de moi.  Je n’hallucine pas encore, mais ça reste un coin tellement beau que je suis émerveillé tout de même.  Je marche jusqu’a un plateau, ou se trouve un chêne particulièrement beau.  Je le regarde longtemps, pendant que les premières distortions occulaires se font.  À partir de ce moment, mon champs visuel se fractalise de plus en plus.

La forêt respire autour de moi.  Les troncs se gonflent et se dégonflent.  L’écorce se contortionne.  Je vois des formes qui me rappelent l’art des aztecs et d’autres amèrindiens.  Je comprends où ils ont vu ces formes.  Que cette drogue transcende les peuples et les générations.  Dina n’arrête pas de retrécir, mais paradoxalement elle ne change pas de taille.  Je me demande si je m’étais pas trompé de dose, car c’est quand même très fort.  Je regarde mon portable.  Ça ne fait qu’une heure depuis ma prise… ça me fait rigoler, et j’entame le chemin pour rentrer à la maison.

Arrivant à la maison, il y a deux chemins.  L’un arrive le long de la cidrerie, jusqu’à la porte.  L’autre mène a un portail en fer du jardin.  Dina disparaît vers la maison, et je marche jusqu’au portail.  C’est la ou je retrouve Neige, une énorme chienne blanche aux poils longs, qui m’attends, sans bruit, sans battre de la queue.  On se regarde longuement a travers le grillage.  Je mets ma main.  Elle renifle.  Je me rejoues l’histoire que mon frère m’a raconté la veille, et je devient melancholique.

Neige est une chienne speciale.  Depuis 4 ans, elle vit jour et nuit à coté d’un petit troupeau de moutons dans un petit champs avoisinnant le jardin.  Elles sont une quinzaine à brouter l’herbe et à dormir sous les noyers, et Neige les accompagne.  Son poil blanc est devenu sale et plein de dreads comme celui des ses compagnons, et elle a même pris leur odeur.  Elle a finit par avoir l’aspect de ses amies, à force de trainer avec elles. Pourtant le jour de mon arrivée à la maison l’avant-veille, j’avais fait remarquer à mon frère que l’enclos était vide.  Il m’avait raconté:

“Il y a un mois, il y a eu un grand orage.  Ma femme voulait pas que Neige souffre sous les éléments, donc elle l’a cherché et elle l’a ramené a l’interieur à côté du feu.  Le lendemain matin, tout les moutons étaient mortes, massacrées dans la nuit par unepuma.  On ne savait pas que Neige les protégeait.  On ne savait pas non plus que les pumas étaient capable de massacrer un troupeau comme ça, d’un seul coup, sans raison. 

On a fait appel a un traqueur proffesionel pour tuer le puma, car un puma qui s’attaque aux bêtes peut ensuite être dangereux pour les êtres humains.  Nous aurions bientôt notre deuxième enfant, donc on ne prend pas de risque.  Certaines personnes dans notre vallée étaient d’accord, d’autres non, mais c’est comme ça.

Le traqueur a débarqué en camionnette deux jours plus tard au petit matin et quand il en est descendu une dizaine de petits chiens en sont sortis.  Ils se sont mis directement à pister.  Les chiens étaient censés trouver le puma, le chasser dans un arbre, et ensuite le traqueur viendrait lui tirer dessus.  Dans la journée les chiens ont mis deux ours dans des arbres, des ours noirs.  Le traqueur ne leurs a pas tiré dessus, bien entendu, car c’était pas l’animal ciblé.  Mais nous étions assez étonné d’apprendre qu’il y avait deux ours qui rodaient dans notre vallée, quelque chose qu’on ignorait.

À la fin de la journée, le traqueur est revenu brédouille.  Donc il a mis un piège.  Il y avait un cadavre de mouton qu’on a trouvé dans un verger voisin.  C’était l’a ou le puma venait manger tous les soirs.  On a hissé le cadavre dans le piége, un cage qui se ferme une fois qu’un animal rentre dedans, et on est revenu le lendemain matin.  Le puma était la dans le cage.  Il était énorme, un mâle de taille impressionante pour l’espèce, aux alentours de 85 kilos.  Il s’agitait et crachait, furieux d’avoir perdu sa liberté ainsi.  Et le traqueur lui à tirer dessus…”

Je reste là devant le portail à rejouer cette histoire dans ma tête.  Presque chaque détail, du début à la fin, n’a rien a voir avec m’a vie citadine.  Les images qui me traversent l’esprit sont cinématographiques, et elles sont d’abord du point de vue de la chienne.  Les éclairs, le tonnerre qui éclate ses tympans, la pluie qui la mouille à travers sa masse de poil jusqu’à la peau, la maîtresse qui l’appelle de loin, l’invitant dans la maison, la porte qui claque derrière elle, la serviette qui la sèche, le nonosse a grignoter, la chaleur du poêle… et ensuite, les cris d’angoisse des moutons que seules ses oreilles de canin perçoivent à travers les bruits de l’orage, la panique, la découverte du massacre à l’aube, ses amies inertes qui ne bêlent plus, l’odeur de mort, de violence, de fauve…

Puis je pense à la scene de pistage.  L’absurdité de ces petits chiens, des chiens qui feraient des fières trophées domestiques des riches parisiens, mais qui ici fasaient peur aux ours pesants 30 fois leurs poids.

Et je pense au puma, cette créature fière et discrète.  Ça a du faire des mois qu’il rodait autour de l’enclos, attendant le moment quand leur chienne protectrice baisserait sa garde.  Comment savait-il qu’elle n’était pas là ce soir la?  Une fois dans l’enclos, il suivait ses instincts face a ces curieuses proies qui ne fuyaient pas.

Il mageait une des carcasses tranquillement pendant plusieurs soirs, assez loin des habitations pour ne pas être répérer.  Puis, un soir, il a retrouvé son repas entouré par une boite en metal.  Ça n’avait pas de sens, ces nouvelles odeurs d’être humain et d’acier.  Quelqu’un a manipulé sa carcasse.  Mais il voyait qu’il était seul, donc il est entré dedans pour manger.  Qu’est-ce qu’il a ressenti quand la porte a claqué derrière lui, quand il a aperçu qu’il était piègé?  Comment a t-il passé la nuit?  A-t-il dormi?  Et surtout, comment peut on tirer sur cette bête magistrale, sans défense dans un cage?

Je pense à tout ça en contemplant la truffe rose et humide de Neige, en contemplant la vapeur qui monte de son corps.  Elle attend calmément, de l’autre coté du portail.  Est elle triste? Est-ce qu’elle regrette d’avoir céder à la tentation de quitter ses amies pour le confort domestique d’un seul soir?  Est-ce que ses amis lui manquent?  Est-ce qu’elle sait que ses amis ont été vengé? 

Je n’ai qu’une evie: la caliner.  J’ouvre le portail, sûr qu’elle veut la même chose que moi.  Mais elle part en courrant, et en quelques secondes elles est déjà perdu dans le bois de l’autre coté de la route.  Je l’appelle plusieurs fois, mais je me rends compte que c’est en vain, qu’elle n’a aucune raison de m’obéir, ni de se fier à aucun être humain.  Je l’entends faire craquer des branches de loin, et je suis attristé par l’idée qu’elle est en train de chercher ses amies.  Je rentre donc dans la maison pour faire autre chose.

Il y a Dina qui m’attend à la porte.  Je nous ouvre, et je me mets à jouer du piano.  C’est difficile, le piano est désaccordé (pas seulement dans ma tête), et les touches bougent dans tout les sens (seulement dans ma tête).  Mes doigts ressembles des saucisses gonflées, mures, prêtes a explosées.  J’arrête à jouer du piano, mais reste assis sur le banc.  Je baille beaucoup.  J’ai le nez qui coule.  En fermant mes yeux, c’est un monde magiques que je vois, avec des formes et des lignes colorées qui se croisent impossiblement.  Les choses se mettent dans l’ordre, pour retomber dans le désordre.  Toute cette impossibilité de formes et d’espace me fait rire.  J’ai un rire de fou, plus gutural que d’habitude.  C’est mon rire de champignons.  Je surencherit en disant à haute voix des jeux de mots qui me traversent l’esprit, et je suis de bonne humeur.

J’entends une voiture se garer devant.  Vite, j’essaie de faire plus sobre que je ne le suis.  Je joue du piano de nouveau, très mal.  Mon frère, sa femme et sa fille entrent.  Ils confirment que je suis complètement pété, et on rigole.  Ils me rassurent que ce n’est pas grave que j’ai laché Neige dans la nature.  Je pianote encore.  Après une dizaines de minutes, mon frère me fait comprendre que je joue très mal du piano, que c’est chiant (mais il le dit avec un rire).  Je les laisse, pour marcher de nouveau dans la nature.

Une fois dehors, tout brille.  Il est midi.  Le brouillard se lève, on voit loin dans la vallée.  Les fleurs s’ouvrent dans les champs, et un doux vent fait onduler l’herbe.  Neige me retrouve, et repart.  Pour le reste de mon trip elle rayonne autour de moi, comme un esprit bienveillant et protecteur.  On quitte les champs pour descendre dans un bosquet de sequoias pas loin de la maison.  La pente est raide avant d’arriver sur un replat tout en bas. 

Les sequoias sont impressionants dans leur taille et leurs couleurs.  On les voit souvent isolés dans les parcs et jardins botaniques europeéns.  Mais être dans un forêt entière de ces monstres rouquins, c’est encore autre chose.  Malheureusement une grande partie des très vieux arbres
ont été abattus par les blancs entre 1850 et 1950.  Mais même une forêt de jeunes arbres de 100-150 ans reste impressionante.  Leur écorce est entre roux et marron, avec des grandes traces écumes et blanches de lichens et de mousse.  La toxicité des feuilles qui tombent et le peu de lumière qui arrive à travers la haute canopée fait que seules certaines plantes poussent sur le sol autour d’eux, des fougères et quelques lilas endemiques, entre autres.

Au milieu du replat, entouré par les arbres, il y a une cabane de forestier en bois.  Elle ne comprend qu’une seule piece avec mezzanine, et les murs sont décorés de vieilles scies rouillées et de petites peintures amateurs.  Je fait un tour à l’interieur avant de m’assoir sur une chaise sur le porche.  Je vois la forme de Neige apparaître de loin comme un spectre blanc dans les ombres de la forêt.  Elle vient jusqu’a moi, et je la caresse un long moment.

Une heure plus tard, nous remontons à la maison.  Mon trip arrive a sa fin, et j’ai un début de mal de tête.  Mon frère m’amène a la brasserie locale, ou on voit quelques amis à lui.  Mais mon mal de tête devient accablant. Il me pourrit la nuit, et reste jusqu’au lendemain soir, malgré les médicaments que je prends pour le calmer.  Je quitte mon frère, sa famille et ses chiens deux jours après mon voyage pour rentrer à la ville.  Je garde une grande empathie envers cette chienne-mouton, je penses à elle presque tout les jours pendant deux ou trois semaines.  J’ai hâte de la revoir, et je suis content de savoir qu’elle a récémment acquis des amies chèvres, qu’elle ne quittera jamais la nuit!

*les pumas ne sont plus menacés d’extinction aux states, ils sont même très courants.
**touts les noms des animaux ont été modifiés pour protéger leurs identités.

Catégorie : Trip Report - 26 septembre 2021 à  17:07

#psilocybine

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Exotique^^ MG ~



Commentaires
#1 Posté par : joel92 26 septembre 2021 à  20:07
Super TR

 
#2 Posté par : Bootspoppers 04 décembre 2022 à  21:39
Tu fais rêver...
On a tous vécu des trips en pleine nature.
Enfin si vous n'avez pas encore pu... Essayez !
Au bord des Océans ou des montagnes. Dans les bosquets les champs les chemins.
Parfois dans des grottes ou des rochers.
Et on y sent avec nous l'éternité.

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