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Le dealer et la psychiatre 



L'autre jour, je suis chez mon pote qui est aussi mon dealer, ou plutôt chez mon dealer qui est devenu un pote. On s'assoit sur le canapé, son visage est concentré et m'écoute, acquiesce, tandis que je lui parle alors qu'il est également en train de peser, de baser, de fumer, de baser, de fumer. Lorsqu'il a pris une bonne fume et qu'il est content, il se lève, la pipe à la main, et là il commence à sourire et à vraiment échanger, il a l'esprit vif, la joute verbale est l'un de nos challenges très réguliers (on se voit parfois un peu trop souvent à mon goût...). Il a pas le bac et il parle 7 langues. Il a des cicatrices résultant des actes de  torture que les dealers s'infligent parfois entre eux, j'en connais quatre ou cinq qui portent ce genre de cicatrices, des mutilations au couteau sur le visage et les mains. Hier, il m'a montré qu'il n'avait plus d'ongle sur le pouce, avec un grand sourire, j'ai eu un instant d'effroi, je le fréquente régulièrement et je n'avais jamais remarqué cela ( où voulu le remarquer, en plus de la très longue cicatrice qui traverse sa joue en diagonale).

D'ailleurs, est-ce que c'est répandu partout en France et ailleurs, cette manière de se marquer le visage au couteau entre dealers, ou c'est une spécialité de l'Est ? J'en connais au moins 4 ou 5 qui ont genre de cicatrices. Le sourire de l'ange,  l'Homme qui rit de Victor Hugo.

Le temps passant, il accepte peu à peu d'en parler. C'est lui qui a abordé ce sujet le premier, je n'avance quasiment jamais la première sur les questions liées aux cicatrices, qui sont à mon sens très personnelles. Hier, je lui ai demandé pour la première fois où est-ce que cela s'était passé, dans l'une des barres en attente de rénovation des citésde notre ville, vidée de ses habitants en raison de travaux importants à venir, ou dans une tour déjà rayée de la carte,
promise à la démolition... Il arrive fréquemment que des dealers s'emparent d'une cage d'escalier dans un immeuble de logements désaffecté et en fassent temporairement une sorte d'empire, des milliers de mètres carrés, tes entrées et tes sorties contrôlées, placées sous la surveillance de guetteurs. Il m'explique tranquillement que non, ses cicatrices, ses coupures, il se les ait fait infligées en plein centre-ville, à 100 m de la plus grande place publique, dans un appartement de centre urbain.

Après je lui parle un peu de moi, je raconte quelques anecdotes, parfois je râle, parfois je m'énerve, et je finis par conclure :

- Ma psychiatre me conseille de changer d'entourage.

Il réfléchit quelques secondes et me répond, droit dans les yeux, un léger sourire aux lèvres :

- Ton entourage te conseille de changer de psychiatre.

Bon sang, qu'est-ce qu'on en a rigolé de cette vanne... tout en se remettant avec application à baser fumer trouver la cuillère le briquet ptain où est l'ammoniac, le vla, tu veux du bica, fais-en deux sur celle-là, non je ne te prêterai pas ma pipe en verre, tu vas encore la cramer et boucher le charbon avec ta manière de fumer, vas-y sérieux, bon bah tant pis passe la bouteille de Coca, et ton Bic ou ton feutre, cigarette, briquet, trou pour la paille, aluminium, élastique, cendres. Ouf. Et puis de temps en temps on se prend une bonne latte qui requinque le cerveau, on rigole et nos yeux s'équarquillent, et puis c'est reparti, passe tes cendres s'il te plaît, celle-là elle est pour toi, touche pas ma bouteille t'as ta pipe en verre pourrie et bouchée, m’en fous je vais la gratter, et fumer la gratte, mais tu vas la fumer dans quoi, bon sang, il voudra jamais te la prêter sa pipe...

On rigole bien, avec les potes et les clients qui passent, au moins pendant ce temps là tout s'écoule vite, de manière fluide, déconnectée, dans cet appartement où les horaires et les lois du jour et de la nuit n'ont guère droit de cité, pas trop le temps de cogiter, on  n'est pas trop mal là.

Mon entourage a raison.

Il faut vraiment que je change de psychiatre.

Catégorie : Tranche de vie - 20 janvier 2025 à  10:01

#freebase #dealer #free base #psychiatre

Reputation de ce commentaire
 
Texte mis dans les morceaux choisis de Psychoactif. (pierre)
 
Ton psychiatre devrait goûter à l'isolement qu'il te prescrit ! PTX.
 
La classe ce texte - Cub3000
 
On y est !



Commentaires
#1 Posté par : pierre 20 janvier 2025 à  18:30
Bonjour

Les psychiatres et leur conseils normés  à la con sur les drogues….
Ton psychiatre il veut pas changer de métier ?

Pierre

 
#2 Posté par : meumeuh 21 janvier 2025 à  05:32

Akela a écrit

Mon entourage a raison.

ns
Mais bien sûr qu'il a raison, et ton  psychiatre, si jamais il change,  qu'il n'aille pas en addictologie, d'ailleurs moi pour la méthadone, vu que j'avais mon taf en CDI à 20 km de chez moi, donc impossible pour moi d'aller dans un csapa, et grâce à mon médecin traitant que j'ai depuis 15 ans, j'ai pu aller au service psychiatrie d'un CHU pour avoir ma primo prescription avec direct le relais ville pour mon médecin traitant.


 
#3 Posté par : H3ather 21 janvier 2025 à  13:07
Le texte est super bien écrit, et ta psychiatre devrait le lire pour apprendre que tu vas bientôt la quitter...

 
#4 Posté par : OliAzary Hier à  14:21

pierre a écrit

Bonjour

Les psychiatres et leur conseils normés  à la con sur les drogues….
Ton psychiatre il veut pas changer de métier ?

Pierre

Hum avec ce genre de raisonnements on va pas loin..
Ça serait comme dire : "les (choisir ta minorité visible) posent problème parce que ils volent, ils profitent des alloc..."

Bref t'as saisi le truc.

Je connais beaucoup de psychiatres très humains qui font face à des patients en souffrance. A chaque patient son discours.

Il faut de façon sûre et certaine changer le discours général sur les drogues et ça passe par la modification des représentations en particulier chez les soignant.

Mais j'en connais un paquet qui ont déjà fait ce boulot là et on a tout intérêt à œuvrer dans le sens commun plutôt qu'à s'opposer parce qu'on est usagers, professionnels... quid des professionnels usagers (dont je fais partie) ?

Je m'envoie moi même me faire foutre quand j'essaie d'appliquer des conseils de RDR à moi même ou à mes connaissances ?


 
#5 Posté par : cependant Hier à  17:53

OliAzary a écrit

Ça serait comme dire : "les (choisir ta minorité visible) posent problème parce que ils volent, ils profitent des alloc..."

Salut,

Juste pour dire que pour moi, non ça n'a rien de dire de mal d'une minorité stigmatisée, car au contraire le status de psychiatre, même s'il y en a des bons comme tu dis, ne font pas partie d'une minorité stigmatisé, mais plutôt partie des dominants, qui dominent par le biais du pouvoir médical la normalité des stigmatisées...(des conso, en passant par la disporie de genre, tout ressenti de la réalité neuroatypique).

Alors, oui, c'est peut être une généralité de faire de tous les psychiatres un même panier, mais il n'en reste que comme discipline médicale c'est profondément enraciné dans la morale et la normalisation de la "deviance" et ça exerce un pouvoir sur nous...

Ce qui n'a rien à voir non plus dans l'appliquer des conseils de rdr, car l'addicto souvent ne fait pas de réduction de risques, mais de l'addicto (qui veut soigner une addiction et non pas accompagner un usage pour en limiter les éventuels risques).

Heureusement qu'il y a des soignants humains, mais la relation est extrêmement inégalitaire et je crois qu'on a tout intérêt à la déconstruire pour se servir des savoirs et outils médicaux sans pour autant les mettre sur un piédestal, car dans la plupart des cas on subi cette relation...


 
#6 Posté par : OliAzary Aujourd'hui à  00:42
Salut !

C'était une manière de mettre en évidence le biais de généralisation.

Parfaitement d'accord avec ça (le médecin est du côté de l'ordre etc), mais là encore ça reste plus contrasté d'après ce que je peux voir.

Il y a des médecins arriérés et d'autres très progressistes.

L'idée n'est pas d'être dans le tout ou rien. Si on tombe sur un bon médecin ça devient une ressource. Et il faut, si on peut, éviter les mauvais.
Mais ce qui est bon pour l'un ne l'est pas forcément pour l'autre.
Alors la notion de bon ou de mauvais médecin est également subjective.

D'où, de mon point de vue, l'inutilité de balancer des généralités sur les psychiatres.

Après si ça permet d'exprimer une frustration, ça ne me dérange pas.
Mais que ça n'en devienne pas pour autant une vérité absolue.

Ça m'arrive de gueuler contre "les flics" car j'ai fais les frais de leur répression mais j'ai assez de discernement pour savoir qu'ils font ce qu'on leur dis en étant parfois en désaccord (on a tous quelqu'un au dessus de soi) et que tous ne sont pas racistes, violents, homophobes etc.

 
#7 Posté par : cependant Aujourd'hui à  08:53

OliAzary a écrit

Il y a des médecins arriérés et d'autres très progressistes.

Salut,

on peut parler à plusieurs niveaux pour moi :
- niveau "humain", quelque part individualisant, où on reconnait qu'il y a des bons medecins comme des bons flics (sic)
- niveau politique où on reconnait le rôle joué par ces statuts...
Même un "bon" flic va devoir obeir aux ordres, après il a une marge de manoeuvre dans l'application des lois (en bien et en mal d'ailleurs), mais ça represente quand même le monopole de la violence d'État, ça represente le pouvoir repressif d'un État aux lois discutables...
pareillement la psychiatrie represente une discipline de la medecine que, contrairement à toutes les autres, ne soigne pas des maladie physiologiques. Et le fait qu'il n'y a pas d'infection ou de fracture, ça fait que l'interpretation de la maladie et sa définition même est profondement ancrée dans la morale, la culture et les rapports de pouvoir (qu'on trouve par ailleurs aussi dans les autres branches de la médecine).
L'"hystérie " féminine, comme l'homosexualité ou la toxicomanie en sont de beaux exemples de maladies psychiatriques qu'à des moments ont conduit à des vrais abus et des violences (même en "bonne foi").

C'est pas pour autant qu'on peut généraliser au plan humain et même au plan conceptuel, il y a eu des psychiatres, voir Fanon ou Franco Basaglia, qui ont remis en question certains rapports de pouvoir. Et il y a des psychiatres qui sont respectueux des personnes qui ont en face (heureusement !!), mais ça revient à leur pouvoir de les considérer malades ou pas, d'où l'inégalité de la relation et la difficulté à faire l'impasse sur le rôle investi pour moi...


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