20h30. Voilà bientôt 12h00 que j'ai pris mes 45 derniers milligrammes de
codéine base. Les premiers effets du manque se font sentir, le froid. Je tremble et je grelotte mais c'est tout.
22h00. Je prends un bain chaud. En sortant 40 minutes plus tard, je prends la melatonine et un quart de
lexomil. Je glisse dans mon lit.
23h30. Je m'ecroule et l'effet combiné à la melatonine me fait m'endormir comme une souche.
5h00. Je me réveille. Je lis les messages de soutien et d'encouragement sur PA. Je m'dis, bah ça va le manque en fait.
Je reviendrai là dessus 10 minutes plus tard, quand mes jambes commenceront à faire des leurs. Mon corps réclame sa dose. Ça fait 17h00 et sans être malade, j'suis pas bien. Je crois que je vais me branler un peu, ça génère des endorphines, c'est toujours ça de pris.
Mon esprit me souffle qu'il faut que je me soigne. J'ai mal au ventre. Mais ça va.
7h00. Je prends la
caféine, l'ibuprofen et le smecta, je m'habille chaudement, j'ai froid. Je fume un pet. Je traîne un peu.
8h30. Je pars au boulot. J'suis en avance.
La matinée s'écoule sans trop de
speed. Et ça va, ça gère. Mais régulièrement, comme un snoozer qui fait son petit bordel toutes les trente minutes, une petite alarme dans ma tête me souffle:
codéine.
13h00. C'est l'heure de la pause déjeuner. Cela fait un peu plus de 24h00 après ma dernière prise. Tout est trop bruyant, trop lumineux. J'ai l'impression que le monde est fait de métal. Tout paraît froid, l'écho des voix est métallique, la luminosité quasi bleuté et j'ai un goût de sang dans la bouche. Le monde est métal, si d'ailleurs la bouffe pouvait être en fer ça m'arrangerait. J'ai mal à la gorge.
14h30. 26h00 après, je commence à bien sentir le manque. J'ai la chiasse, j'ai froid aux os et j'ai encore l'après-midi à tenir. J'suis pas en forme mais je m'attendais à pire. Du coup je me mets à flipper. Et si j'avais arrêté trop tard et si demain j'ai pas le droit au
tso? Cette angoisses ne s'en ira plus. Jusqu'à ce que le flacon de
méthadone soit sous mes yeux.
20h00. Ma journée de boulot est terminée. J'suis presque à la maison. Par moment ça va mieux. Je me force à boire pour diluer mes urines, je me force à manger, mes jambes peinent à me traîner à la cuisine. J'ai faim mais je n'ai pas d'appétit. J'essaie de manger un truc que j'aime bien. Ça va sans doute se transformer en carnage pour les chiottes mais j'ai besoin de manger. J'opte en plat préparé néanmoins satisfaisant, qui aura essentiellement son mode de préparation à son avantage: 3 minutes au micro-ondes. À peine terminé que j'ai la gerbe. Tant pis. Je crois même qu'il n'aura pas le temps de visiter mes magnifiques intestins. J'essaie de ne pas vomir. J'vais m'fumer un pétard !
Le troisième de la soirée, bon, faut ce qu'il faut !
21h45. Je vais me démaquiller. A traîner mine de rien j'ai presque fais passer 2h00. H-10. Faut que je boive plus. J'vais pisser un coup. Je me démaquille enfin. J'ai les pupilles dilatées. Ça me fait des yeux bleus marine, j'ai même pas une sale gueule et j'ai pas vomi mon dîner, je loue les effets anti-émétiques de la
weed. Mes jambes me font souffrir. Un enfer. Je me fais un pu er et je m'y brûle les doigts. J'installe mon lit. J'attends scrupuleusement 22h30 pour prendre la melatonine. Alors que ma tête s'endort, mes jambes se réveillent. Mon dos couine. On dirait que toutes les parties de mon corps qui ont souffert un jour se manifestent. Je sais appréhender la douleur avec philosophie, mais aussi avec de la
codeine. Mon snoozer sonne, ça faisait longtemps.
Mais pourquoi ne pas prendre un ou deux comprimés, ça ira mieux, me chuchote mon cerveau, mon corps est de mèche, il me souffle des douleurs fantomatiques pour m'inciter. Si il n'y avait pas le Grââl au bout du chemin, j'aurais déjà cédé.
23h00.Des voix dehors raisonnent dans le monde métallique. La chaleur de mon lit est froide comme l'acier. Mon dos est parcouru de fils barbelés et ma tête est faite de plomb. Tout est lourd, ma demeure mentale est toute petite, il y fait poussiéreux et froid. Mon rocking-chair n'est plus, remplacé par une chaise froide en résine. Je m'endors.
3h00. Et me réveille brutalement. J'ai mal. Je m'lève pour pisser, je fume un pétard.
4h00. Je me rendors.
6h30. Je me lève. Ça fait 42h00 que j'suis à sec. Ça va. Je me dis même que c'est pas si terrible. Je m'habille. Pas de douche, j'ai trop froid, même si mon lit dit que j'ai eu chaud. J'ai mes règles. Pas de bol. Je me roule un spleef.
7h00.Je me maquille vaguement, juste un peu de poudre, du Rimmel et le truc infaillible quand on a une sale tête, le rouge à lèvre rouge. J'suis toute de noir vêtue, c'est le deuil.
7h40. C'est en descendant que... Ah j'ai oublié mon téléphone. C'est en remontant les escaliers que je me rend compte qu'en fait ça va pas tant que ça. J'suis essoufflée. Je halette. Je me traîne.
7h45. Le métro est blindé. Ça pue les parfums. J'ai la gerbe. Ma tête en plombs pèse lourd. J'ai mal aux cervicales.
8h10. Je sors à Glacière. L'air frais me fait du bien. Ça va mieux. Je découvre la vie de la rue Broussais. C'est une rue habitée, de beaux immeubles, aux barres de HLM, des enfants qui vont à l'école, des parents qui les accompagnent. J'suis en avance. Pour une fois. Comme quoi suffit de m'appater avec une grosse récompense.
8h20. Mon corps maudits ces dix minutes d'attente. Je reste un peu à l'écart du groupe qui se tient devant le portail du
csapa. Mon corps est en guerre mais mon esprit ne va pas mal. Un mec qui a l'air d'un flic passe à côté de moi, il me dévisage de la tête au pied, l'air méprisant. Il a vraiment l'air d'un flic avec son trench Colombo et sa calvitie. Il disparaît dans le décors.
8h30. Je hais le temps suspendu. J'ai bu plus d'un demi litre de thé. J'ai envie de pisser. J'ai envie de pisser négatif.
8h30. Ils sont en retard. C'est quoi ce bordel ! Je les maudits. Je hais le monde. Mon corps me hais. Les gens rentrent. C'est la file d'attente. Mais ma
Doc me reçoit en priorité avec un autre médecin Docteur Psychiatre addictologue. Il à l'air encore plus sûr de lui que la Docteure jeudi dernier.
Le Docteur essait à son tour de m'orienter vers le
suboxone. A un moment je
coupe le confrère de ma
Doc, j'ai bien réfléchi, j'ai vraiment bien réfléchi et je connais tous les avantages du
suboxone. C'est que ça n'est pas raisonnable, j'ai un dégoût.
Il s'avoue vaincu.
Il m'explique qu'en parallèle ils s'occupe du suivi psy, des comorbidités, c'est pour ça que j'ai choisi Saint Anne, je crois que ça le flatte un peu. Il se détend un peu. Oui, mes décisions sont réfléchies.
Finalement on commence à 5mg.
9h00. Je fais pipi dans un gobelet, je tremble mais ça va j'arrive à maintenir le truc et je vise juste. Mes urines sont prélevées, on me donne la
méthadone. C'est sucré et amer mais ça va. L'infirmière est vraiment très gentille, c'est la première du centre à prononcer mon nom correctement, elle vient de la même région que moi. Je l'aime bien, elle a un regard bienveillant.
Je m'étais fait la réflexion plusieurs fois et si leur truc des urines négative c'était de l'arnaque? Un truc incitatif ? Parce-que là je n'ai pas l'impression qu'ils aient eu le temps d'analyser quoi que ce soit. C'est possible.
Je dilue le fond du flacon. Je bois un verre d'eau. J'enlève mon écharpe, au bout de quelques minutes je sens les effets de la
méthadone. Mon corps est à sec depuis 44h00, c'est comme une éponge déshydratée qui se gorge d'eau. Y a une montée. Non euphorique. Je lis le dépliant sur la
méthadone et signe un papier.
9h15. Va pour l'ECG. Un interne ? J'ai pas de soutient gorge, je blague avec l'interne, il en verra bien d'autres des pairs de loche.
9h25. Le monde a perdu son filtre de métal, tout est plus chaud, plus doux. Je vais mieux. Mes douleurs se sont envolée. J'ai faim mais je n'ai pas vraiment d'appétit. J'ai un peu la nausée. J'ai un peu la migraine mais j'ai oublié ma
caféine au boulot. Faut que je me sèvre de la
caféine, en douceur, j'vais acheté du guarana.
10h00. Tout va mieux. Je n'ai plus mal nulle part. Mes jambes fourmillent encore mais elles ne sont plus aussi douloureuses. Je ne vois même pas le trajet filer. J'arrive à la maison. Mes pupilles sont petites, mes yeux on retrouvé leur couleur d'huître. Je vais devoir dire que je prends un
opioïde à mes proches ça expliquera les yeux clairs. J'ai bricolé un mensonge. J'suis pas fière de moi. J'ai toujours voulu tenir mes proches à l'écart et m'y suis globalement tenue.
11h00. La
méthadone agit sur moi par vague, des vagues douces, j'suis détendue et pas du tout excitée comme avec la
codéine. J'ai encore rien mangé. J'ai l'impression que le diable c'est installé une petite bicoque dans mon oesophage, ça brûle.
12h00 J'ai faim.
12h30. Je mange bien. C'est l'avantage du
cannabis, ça ouvre l'appétit.
14h00. J'ai un coup de barre monumental. Ces derniers temps j'ai pas tellement dormi. J'suis épuisée. Je dors 2h00 d'un sommeil léger, sémi conscient et plein d'images qui défilent vite dans mon cerveau, des saynètes sans trop de queue, sans trop de tête.
16h00. Puis je sors du lit. Me roule un pétard et me fait couler un bain. J'suis maintenant entre deux. Ça fait moins de dix heures que j'ai pris les 5mg de
méthadone. Je ne sens plus les vagues mais je ne suis pas mal. L'effet antalgique s'est estompé. Il est possible que 5mg soit un peu juste. Mes jambes sont un peu instables. Mais c'est pas encore le marathon.
J'entame un nouveau cycle, rythmé par la prise quotidienne de
méthadone, plus d'
alcool, plus de sucre à foison, plus de
caféine, plusse de ferraille.
J'aurai compris durant cette aventure que je n'étais pas prête pour le monde métal et ses échos au
protoxyde d'azote. Tout y est trop froid, trop anguleux, trop lumineux, le monde métal éclairé au néon, serai-je un jour capable de l'affronter ?
Monde Métal, je te quitte, ta réalité crue m'effraie et m'abime, je repars dans l'espace doux et chaud de mon vaisseaux mental, ça faisait longtemps que je n'avais pas tâté de tes angles, dix ans.
Adieu.