Je voulais commencer par une citation, une citation de Camus. Je n'arrive pas à choisir laquelle. Alors, je vais présenter ce que je retiens aujourd'hui de cette pensée, en jetant les idées et les citations sans plus de formalisme, avec pour seule problématique la lutte pour rester en vie, ou la lutte pour espérer un jour avoir envie de rester en vie.
Je suis amoureuse de sa philosophie, quand je le lis, j'ai l'impression qu'il met des mots sur ce que je pense.
Camus, c'est la philosophie de l'absurde. Il nous explique que la coexistence de l'homme est de son monde fonde cet absurde, que la vie dans ce monde est une profonde injustice, que la mort est une injustice, bien que paraissant une solution à l'absurde lorsqu'elle est un choix, car elle est la seule manière d'y échapper.
« L'absurde n'est pas dans l'homme ni dans le monde, mais dans leur présence commune. »
« Ce qu'on appelle raison de vivre est en même temps une excellente raison de mourir. »
Mais c'est aussi la philosophie de la révolte. Pour que l'homme trouve sa place dans ce monde, il doit se révolter contre celui-ci.
Quand Camus nous dit que la seule question philosophique sérieuse st le suicide, quand il nous dit que la question fondamentale est de savoir si la vie vaut la peine d'être vécue ou non, il nous dit en même temps de vivre et de nous révolter.
« Se tuer, dans un sens, c'est comme au mélodrame, c'est avouer. C'est avouer qu'on est dépassé par la vie ou qu'on ne la comprend pas. »
« J'ai compris qu'il ne suffisait pas de dénoncer l'injustice, il fallait donner sa vie pour la combattre. »
Nous sommes tous coupables, nous méritons tous le châtiment aux yeux de ce monde. Mais nous sommes tous innocents. Camus nous dit que la première injustice , c'est que l'homme est le seul animal à penser et à remettre en cause son existence, c'est qu'il souffre.
« L'homme est la seule créature qui refuse d'être ce qu'elle est. »
« Commencer à penser, c'est commencer d'être miné. »
Vous comprenez maintenant pourquoi il parle d'absurde et de révolte. Car tout cela est plein de contradictions, l'homme est une contradiction dans et avec son monde.
Alors, on doit accepter ces contradictions, les vivre, et, cela fait, on peut se révolter, lutter, tout en sachant que cette lutte est vaine. Mais elle seule peut répondre à notre besoin de justice et de liberté.
« Si l'homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout. »
Camus, ce n'est pas la philosophie du suicide comme beaucoup le pensent en raison des premières phrases du « mythe de Sisyphe ».
« Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. »
Non, Camus nous dit qu'on a le droit de vivre, le droit au bonheur. Il nous dit que, certes, nous sommes tous coupables, mais qu'il ne faut pas accepter cette qualification. Mais on ne peut changer l'homme, en tous cas, pas maintenant.
« La révolution consiste à aimer un homme qui n'existe pas encore. »
Cette philosophie, c'est aussi assumer la vérité, assumer ce qu'on est, assumer la contradiction de notre condition d'humain, ne pas avoir peur de dire ou de faire selon nos envies, nos passions, notre amour. Assumer de s'aimer aussi.
« L'homme est ainsi cher monsieur, il a deux faces : il ne peut pas aimer sans s'aimer. »
Et ne pas se laisser enfermer dans des cases, refuser le jugement des hommes (et de dieu bien sur).
« Oui, l'enfer doit être ainsi : des rues à enseignes et pas moyen de s'expliquer. On est classé une fois pour toutes. »
Alors, autant accepter cette vérité et se donner le droit au bonheur.
« Le bonheur est la plus grande des conquêtes, celle qu'on fait contre le destin qui nous est imposé. »
« Le bonheur, pourquoi le refuser ? En l'acceptant, on n'aggrave pas le malheur des autres et même ça aide à lutter pour eux. Je trouve regrettable cette honte qu'on éprouve à se sentir heureux. »
Camus remet en cause la pensée des grandes religions monothéistes (il se réfère principalement au catholicisme en raison de la forte imprégnation de cette religion dans notre intime, bien souvent inconsciemment, qu'on soit croyant ou pas) qui imprègne notre monde en nous faisant croire qu'il faut accepter la souffrance qu'est la vie et qu'il faut se sentir coupable d'être heureux ou de vivre ses passions. Il dénonce la souffrance.
« Ce n'est pas la souffrance de l'enfant qui est révoltante en elle-même, mais le fait que cette souffrance ne soit pas justifiée. La souffrance use l'espoir et la foi. »
De ce fait, il revendique le droit au bonheur et à l'amour, ou plutôt le devoir de se révolter pour assumer ce bonheur.
On nous fait croire que la souffrance est indissociable de l'homme, de sa vie, mais nous avons le droit, le devoir, de lutter car cela est une profonde injustice, et, si nous cherchons à changer ce monde, il faut aussi changer l'homme, et la vérité, la justice, la liberté, ne vont pas avec la souffrance. Le bonheur est un combat, mais un combat qu'il faut mener.
« Aller jusqu'au bout, ce n'est pas seulement résister, mais aussi se laisser aller. »
« C'est déjà vendre son âme que de ne pas savoir la réjouir. »
« L'héroïsme est peu de chose, le bonheur est plus difficile. »
Ainsi, Camus nous aide à relativiser et assumer notre quotidien, notre souffrance, nos contradictions, notre culpabilité.
« C'est facile, c'est tellement plus facile de mourir de ses contradictions que de les vivre. »
A chaque jour sa peine.
« L'important n'est pas de guérir, mais de vivre avec ses maux. »
J'ai envie de dire, à chaque jour ses joies, et s'en donner le droit.
« La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent. »
L'espoir est un piège, il ne faut pas attendre un hypothétique futur meilleur, il faut vivre chaque jour pour ce en quoi on croit.
Être triste, c'est ne pas accepter sa condition, en être abattu. Dès lors qu'on se révolte, on est dans l'action, pas dans expectative, on peut échapper à la tristesse.
« Les tristes ont deux raisons de l'être, ils ignorent ou ils espèrent. »
Accepter nos plaisirs, nos joies, les sentiments qui nous réchauffent. Ce n'est peut-être pas une évidence, mais, pour moi, Camus, c'est aussi une philosophie de l'amour.
« Rien au monde ne vaut qu'on se détourne de ce qu'on aime. »
Accepter de regarder ces plaisirs en face.
« Le grand courage, c'est encore de tenir les yeux ouverts sur la lumière comme sur la mort. »
Pour Camus, le plaisir est juste et vrai, on ne ment pas dans ses plaisirs.
« Nul homme n'est hypocrite dans ses plaisirs. »
Une limite toutefois, que le recherche d'absence de souffrance de l'un n'engendre pas la souffrance de l'autre.
« Faire souffrir est la seule façon de se tromper. »
Car nous sommes tous semblables. Nous regardons parfois l'autre être humain comme un concurrent, un ennemi, nous avons peur de la différence. Pourtant, il n'y en a pas. Nous sommes tous semblables, tous coupables.
« Ne sommes-nous pas tous semblables, parlant sans trêve et à personne, confrontés toujours aux mêmes questions bien que nous connaissions d'avance les réponses. »
Si la révolte est une solution, c'est parce qu'elle nous permet d'être en accord avec ce qu'on souhaite pour l'homme et son monde. Il n'y a pas de justice, pas de liberté dans ce monde. Et si nous voulons la justice et la liberté, alors il faut lutter. Ce chemin apporte son lot de déceptions et donc de douleur, mais c'est lui nous apportera apaisement et peut-être donc bonheur.
« Qu'est-ce que le bonheur sinon l'accord vrai entre un homme et l'existence qu'il mène ? »
Peu importe la manière, tant qu'il y a la volonté nous dit Camus.
« En vérité, le chemin importe peu, la volonté d'arriver suffit à tout. »
C'est ici qu'est la force que nous pouvons trouver. Et il en faut de la force pour se battre contre la contradiction fondamentale de l'existence.
« Ce n'est pas la révolte en elle-même qui est noble, mais ce qu'elle exige. »
Car nous sommes la proie de nos vérités, parfois visibles dernière l'injustice, parfois cachées intimement dans nos doutes.
« La vérité jaillira de l'apparente injustice. »
« Un homme est toujours la proie de ses vérités. »
« Les doutes, c'est ce que nous avons de plus intime. »
C'est à chacun de se construire, en acceptant son sort, et sa chance.
« L'homme n'est rien en lui-même. Il n'est qu'une chance infinie. Mais il est le responsable infini de cette chance. »
Alors, il faut créer. Par nos actes, par nos paroles, et par ce qu'on ne dit pas, ou par ce que nos mots cachent.
« Créer, c'est aussi donner une forme à son destin. »
« Il est vrai peut-être que les mots nous cachent davantage les choses invisibles qu'ils ne nous révèlent les visibles. »
« Nous finissons toujours par avoir le visage de nos vérités. »
Croire en nous -mêmes, et croire en l'homme. C'est une foi véritable qui nous permet d'avancer.
« Je continue à croire que ce monde n'a pas de sens supérieur. Mais je sais que quelque chose en lui a du sens et c'est l'homme, parce qu'il est le seul être à exiger d'en avoir. »
Et cette foi aussi du sens sachant que l'homme, bien que plongé dans ces contradictions et ses fautes, a toujours recherché une valeur fondamentale.
« La liberté, seule valeur impérissable de l'histoire. »
Mais pas de liberté sans égalité, sans justice, pas sans rechercher le bonheur de tous.
« Que préfères-tu, celui qui veut te priver de pain au nom de la liberté ou celui qui veut t'enlever ta liberté pour assurer ton pain ? »
« On a déclaré qu'il fallait d'abord la justice et que, pour la liberté, on verrait après ; comme si des esclaves pouvaient jamais espérer obtenir la justice. »
C'est encore une absurdité de ce monde et de l'homme. Voilà pourquoi nous devons toujours nous révolter.
Tant qu'on n'aura pas concilié la liberté avec la justice et donc le bonheur de tous, il faudra toujours se révolter. Et si la vie nous paraÎt vidée de sens sans liberté et bonheur, le combat pour parvenir doit suffire à donner un sens à nos actions, nos pensées, ce que nous faisons et ce que nous sommes.
Accepter ces vérités comme vérités premières.
« Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre. »
« Il n'y a qu'une action utile, celle qui referait les hommes et la terre. »
« Je continue à croire que ce monde n'a pas de sens supérieur. Mais je sais que quelque chose en lui a du sens et c'est l'homme, parce qu'il est le seul être à exiger d'en avoir. »
Ne pas oublier celle-ci.
« Dans l'univers du révolté, la mort exalte l'injustice. Elle est le suprême abus. »
Car c'est elle qui nous rappelle que nous sommes vivants, que malgré tout, c'est une chance.
« Le sens de la vie supprimé, il reste encore la vie. »
Pour finir.
« Il n'y a pas de honte à préférer le bonheur. »
Voilà ce qui m'aide à tenir, à me dire que rester sur cette terre n'est pas vain.
La révolte, voilà le sens de ma vie, la révolte sans rien attendre en retour, en sachant que ce monde ne donnera pas ce que j'en attend, mais que je peux contribuer à me rendre meilleure, et donc, en rendant l'homme meilleur, dire merde à cet absurde qui nous gouverne.