11 ans, c'est le nombre d'années depuis que j'ai quitté mes amis d'enfance. 11 ans, c'est le nombre d'années que j'ai passées seule face à ma déchéance. 11 ans, c'est le nombre d'années que j'ai passée à sonder mon esprit et creuser mon corps. 11 ans, c'est le nombre d'années de mon histoire d'amour avec les substances.
J'avais 13 ans. J'ai connu les joies et les
joints de l'adolescence. Ce premier baiser, amoureux, se languissant de l'état second qui l'attend, de l'altération de mon esprit. Première bouffée qui pénètre mes poumons, la chaleur les enveloppant comme d'un voile fin mais si chaud, si doux. Je retiens mon souffle. Puis j'expire. Ce long filet de fumée qui sort de ma bouche, caressé par mes lèvres dans un doux au revoir. J'en reprends une deuxième, puis une troisième, puis une autre, dans une valse lente mais sensuelle. Je ne saurais pas mettre d'autre mot sur mon état que celui ci : flotter. C'était ma sensation. Je flottais par dessus le monde et les gens. Je flottais par dessus mon esprit et ses pensées. Je flottais par dessus cette eau bleu qui s'étendait devant moi, montrant toute la magnificence de l'océan devant mes yeux.
Cet état de bien être aura duré des heures, 4, 6 ou 8 heures. Je n'avais plus la notion du temps, pas plus que la notion de réalité. Jamais dans ma vie je n'avais senti un tel apaisement. Jamais dans ma vie n'ai-je senti cette sérénité, qui m'enveloppait le corps et l'esprit. Pour la première fois depuis des années, mes pensées ne m'ont pas envahie. Je ne me noyais plus. J'étais vivante. J'étais présente et la vie était belle.
Cette valse dure aujourd'hui depuis 11 ans. Comme dans tous les couples, des hauts et des bas. Des moments où on se dispute fort, où je l'accuse de tous mes maux, et d'autres ou je l'enveloppe dans la chaleur de mes doigts pour de nouveau caresser cet amour que seule elle me procure. En 11 ans de mariage fidèle, nous ne formons pas le couple parfait. Parfois, elle m'empêche de travailler, accapare mon temps et mes envies. Elle est capricieuse des fois, requérant toute mon attention. Elle n'est pas partageuse. Jalouse amante.
Depuis cette belle et heureuse rencontre avec Mary, ma fidélité n'a eu de cesse d'augmenter. J'en ai fait mon antre, mon refuge. J'en ai fait ma fidèle amie et ma merveilleuse amante. Les nuits passées à me cacher de mes parents, simplement pour une heure avec elle. Ces nuits passées auprès d'elle, repoussant le sommeil d'heure en heure, uniquement pour profiter un peu plus de ses caresses. Elle est ma chair, elle est mon sang. Elle sera toujours là quand les autres ne sont que des passants.
L'altération de l'esprit, aujourd'hui est bien loin. Dame Mary restera la première, mais pas l'unique. Elle restera mon premier amour, ma passion. J'ai grandis avec elle, je me suis forgée grâce à elle. Mais l'altération de l'esprit, aujourd'hui, est bien loin.
On découvre la
MDMA, on découvre les
amphétamines. On découvre le
LSD, les champignons, le
peyotl, la
mescaline, la
DMT. On cherche avec espoir quelque chose de transcendant. Quelque chose qui nous ferait visiter les Cieux et au-delà. Quelque chose pour nous transporter là où n'arrivions pas. Le voyage d'une vie, ou celui d'une nuit. Cet esprit qui parle timidement mais qui a simplement besoin d'un ami, un assistant. Des vibrations dans nos veines aux étoiles devant nos yeux, il n'y a qu'un pas. Qu'une bouffée, qu'un
buvard, qu'une trace, que quelques grammes.
A la recherche de l'expérience de ma vie, je me suis perdue. Je ne me trouve plus. Cette impression de ne pas encore la toucher, de ne pas y être, me perd. Ces substances magiques ont encore tout à m'apprendre, mais quand ? Ca m'obsède, ça me ronge. Peut-on passer toute une vie dans cet état ? La magie de certaines substances m'émerveillera toujours. Leur naissance, leur croissance et leur vie dans notre esprit. Ce tampon indélébile qu'elles laissent en nous, nos souvenirs marqués par ce voyage astrale. Ces secrets qu'elles renferment au fond d'elle, n'en dévoilant que ce qui est nécessaire. Se faisant désirer, comme une femme aux formes généreuses et envoûtantes, cachée derrière un voile d'ombre. On les appréhende, on les courtise, en espérant qu'elles nous feront découvrir les merveilles de l'univers que renferme notre esprit.
11 ans après cette première latte, je repense à une réplique du film "Thirteen" où la protagoniste, le visage creusé par les drogues dit, dans un ton vide d'émotions "Je ne sais même plus écrire 'Photographe'". Je ne comprenais pas sur le coup. Aujourd'hui, je le ressens. Aujourd'hui je le vis. Aujourd'hui je vis ma décadence, ma déchéance choisie. Aujourd'hui, je vis cette dégringolade que je subis sans savoir l'arrêter. J'aimerais redevenir comme avant, j'aimerais me sauver. Les années passées sont des bribes dans mes souvenirs, récoltés par ci par là. Ma vie racontée par mes amis. Mes souvenirs rappelés par mon entourage. On se sent bien idiot de ne plus se rappeler sa propre existence, ses propres expériences. On continue de se chercher, dans l'espoir de rattraper le temps passé, retrouver sa force. Mais le passé n'est pas beau, le passé est triste et décadent à sa manière. Le passé me creuse ma chair et me fait perdre mon sang. Le passé, est loin maintenant.
Je ne regrette pas ces choix. Mes mots peuvent être durs et la blesser, je lui dis que je ne veux plus d'elle, qui m'étouffe et me prend ma vie. Mais je reviens vers elle, honteuse et toujours amoureuse. Je reviens chercher son étreinte, je reviens chercher sa bienveillance. J'ai découvert mon esprit, j'ai découvert l'amour sans chichi. J'ai découvert des merveilles sans m'y attendre. J'ai choisi la vie que je mène, j'ai choisi d'être moi-même.